Et moi, et moi, et moi… qui sont les nouveaux acteurs de la bataille de l'espace ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un trou noir de l'espace.
Un trou noir de l'espace.
©Reuters

Décrochons la Lune !

Les explorations spatiales ne cessent de se multiplier. Tous les grands de ce monde semblent s'y mettre. L'espace est-il en passe de devenir un nouveau lieu d'affrontement ?

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : En dehors des États-Unis et de la Russie, qui ont initié la guerre de l'espace, qui, aujourd'hui, s'intéresse à l'espace de près et de loin ? Quels États sont les mieux classés dans cette guerre à l'espace ? Quels sont ceux qui peinent à s'y faire une place ?

Olivier Sanguy : Il faut savoir que pratiquement tous les pays de la planète se sont intéressés à l'espace.

D'un point de vue économique, on remarque une forte concurrence entre les États capables d'envoyer des satellites sur orbite sur le plan des marchés de lancement. En ce moment, le leader est européen : Arianespace. Arianespace a, en gros,  la moitié des marchés de lancement de satellites ouverts à la concurrence – il y a des marchés de lancement de satellites non ouverts à la concurrence, et qui sont forcément gouvernementaux. En guise d'exemple de "guerre commerciale" pour l'espace, on peut évoquer la firme américaine Space X qui tente, avec des tarifs extrêmement attractifs, de concurrencer Ariane V.

Pour ce qui est du militaire, il faut d'abord noter qu'un traité interdit d'avoir des armes (notamment massives, bombes atomiques, les missiles thermonucléaire) dans l'espace. Maintenant, il y a une "guerre" du renseignement avec des satellites espions – les plus grandes nations spatiales ont toutes des satellites espions – et certains pays ont même fait des essais de missiles antisatellites : il s'agit d'essais pour détruire des satellites. Pour l'instant, il n'y a pas eu de cas ouvert de destruction volontaire d'un satellite. A chaque fois qu'il y a eu essai de missiles antisatellites, cela s'est fait que sur des satellites du pays expérimentateur. Par exemple, les Chinois ont volontairement détruit un de leurs satellites pour tester cette technologique, mais aussi, pour montrer qu'ils la maîtrisaient. On a donc une guerre potentielle. Autrement dit, on sait que les grands pays peuvent espionner depuis l'espace d'autres pays mais en montrant qu'on a une arme antisatellite, on montre qu'il y a une limite à ne pas dépasser. En revanche, il y a déjà eu des cas de tentatives – peut-être même de réussites – d'aveuglement de satellites espions entre pays. On sait très bien aveuglé certains capteurs des satellites avec des faisceaux lasers, et, apparemment ceci s'est déjà produit.

Les États-Unis ont une doctrine dite de la "space dominance". Depuis la course à l'espace initiée par la Guerre froide, les États-Unis estiment qu'ils doivent être la première puissance spatiale. Ils surveillent de très près les actions des autres pays. C'est pour cela que quand la Corée du Nord a tenté d'envoyer des satellites, les États-Unis ont dit que ceci représentait pour eux un test déguisé. Les États-Unis veulent montrer qu'ils sont les gardiens de l'utilisation de l'espace.

Suit juste derrière la Russie. Le pays a moins d'infrastructures qu'auparavant mais elle revendique également une place de premier choix dans l'espace.

L'Europe, avec l'Agence spatiale européenne, s'oriente vers le civil. Les pays européens n'envisagent le militaire que seuls.

La Chine, elle, revendique de plus en plus une marche importante sur le podium de l'espace, et pas seulement la troisième marche. Elle a fait un essai antisatellite, elle est en train de développer son propre système de géolocalisation ; c'est-à-dire que les Chinois sont en train de mettre au point des systèmes GPS qui leur appartiendront, c'est une question de souveraineté. D'ailleurs, les quatre puissances citées précédemment possèdent toutes leur propre système GPS ou y travaillent (Etats-Unis, Russie qui relance son ancien système datant de l'URSS, Europe avec Galileo en cours).

Ensuite, il convient de traiter du cas de l'Inde. L'Inde avait un programme quasi exclusivement basé sur des satellites de télécommunication pour faciliter les échanges de communications vers les régions isolées du pays, ou d'observation de la terre pour mieux gérer les ressources de son territoire national. Mais elle est passée d'un programme de développement de son pays via l'espace vers un programme d'indépendance spatiale pour dépendre de moins en moins de ses pays alliés pour envoyer ses propres satellites. Ainsi, quand l'Inde a un satellite de télécommunication de quatre à cinq tonnes à envoyer, elle fait appel à Arianespace. Mais lorsqu'elle elle veut envoyer un petit satellite, elle le fait elle-même. On retrouve cette logique de souveraineté. L'Inde est une puissance spatiale montante : elle a déjà envoyé une sonde sur la lune et a récemment envoyé une sonde vers Mars.

Ariane V est parfois appelé dans les colloques spatiaux un "lanceur de souveraineté" ou un "vecteur de souveraineté". C'est parce que l'Europe possède Ariane V qu'elle peut envoyer un gros satellite seule. D'ailleurs, Ariane V est né de cette volonté d'être indépendant vis-à-vis des États-Unis avec l'affaire du satellite Symphonie.

De nouveaux acteurs entendent faire comme l'Inde : profiter de programmes spatiaux pour développer les filières universitaires pour ensuite eux-mêmes se lancer dans les programmes spatiaux. Le Brésil a de la sorte des accords avec les Russes, la Corée du Sud a mis au point un lanceur national toujours avec l'aide des Russes.

Il ne faut pas oublier le Japon qui est un acteur très discret mais extrêmement présent dans l'espace – mais pas présent dans le marché du lancement commercial. Le plus grand laboratoire scientifique au sein de la station spatiale internationale n'est pas américain, pas européen, pas russe (le leur est en projet) mais japonais.

De plus en plus d'États sont en train d'intégrer la composante spatiale comme à la fois un outil de souveraineté et d'affirmation.

Des pays pour le moment font l'impasse. Mais certains ont essayé d'entrer dans ce club avec du mal comme la Corée du Nord qui y est parvenue récemment (envoi d'un satellite le 12 décembre 2012). Des pays moins importants et des pays du Tiers-Monde font leur propre satellite, empruntent leurs lancements à des sociétés commerciales et dynamisent leur filière universitaire spatiale ainsi (Algérie, Turquie, etc.). Le spatial est outil de développement pour les pays du Tiers-Monde.

Quelles facettes revêt cet intérêt pour l'espace en dehors du militaire ?

Dans les années 1970-1980, on a parlé de faire des usines dans l'espace pour fabriquer des produits qu'on ne parvient pas à faire sur Terre. Mais ceci est resté au stade de discussions.

Aujourd'hui, on fait des recherches médicales dans l'espacequi ont des effets sur la recherche médicale sur terre. On ne fabrique pas encore de médicaments dans l'espace parce cela couterait trop cher. Ce serait faisable sur le long terme si un modèle économique viendrait soutenir cela. L'espace sert beaucoup la recherche météorologique ainsi que la recherche sur l'avenir terrestre. Le domaine de l'électronique bénéficie également de l'espace.

Cet intérêt est-il fort au point de pouvoir parler de "guerre de l'espace" ?

On ne peut pas vraiment parler de guerre, il s'agit plutôt d'une prédominance. Le pays qui veut être une puissance politique importante, voire une puissance à l'instar des États-Unis, ne peut y prétendre qu'en étant le premier dans l'espace. D'ailleurs, la Chine utilise son secteur spatial au service de sa diplomatie pour consolider sa souveraineté. En effet, la Chine offre la fabrication, le lancement de satellites, le transfert de technologie et propose le financement de ces satellites par des banques chinoises. En contrepartie, ces pays signent des accords diplomatiques pour un accès facilité aux ressources naturelles.

D'ailleurs l'histoire nous donne une bonne leçon. L'Empire romain s'est bâti sur la dominance des routes terrestres, l'Empire britannique s'est imposé grâce à ses routes maritimes. Aujourd'hui, c'est la prédominance spatiale qui compte.

Le terme de guerre est fort aussi parce que pour le moment nous sommes dans des affrontements de souveraineté, comme nous l'avons vu plus haut.

En août dernier, l'Inde pensait à une stratégie pour envoyer toute seule une sonde sur la lune. Le 2 décembre, la Chine y a envoyé son robot d'exploration "Lapin de Jade". Il devrait atterrir sur cette dernière à la mi-décembre. Les Japonais ambitionnent de construire des panneaux solaires sur la Lune. Enfin, la Russie programme une mission lunaire pour 2015. Pourquoi cet engouement pour la lune ?

Parce que la lune est une destination à la fois proche et lointaine. Proche car c'est le corps céleste le plus proche de nous. Elle est à environ 400 000 km, Mars à des millions de kilomètres. Et suffisamment loin pour qu'elle demande un effort technologique. C'est donc un bon exercice pour développer la filière universitaire scientifique, culturelle et technologique. De même, c'est le moyen de montrer que l'on est une puissance de premier plan, c'est le cas de la Chine.

La Lune a plusieurs avantages. D'abord, c'est un corps céleste sur lequel on peut se poser. Puis, un corps céleste sur lequel on peut établir des bases scientifiques. Ensuite, le géologue Harrison Schmitt avance que la lune est importante parce que comportant de l'hélium 3. Or, l'hélium 3 peut permettre de faire un réacteur à fusion aneutronique – il ne rejette aucun déchet radioactif.

La communauté internationale s'est mise d'accord pour une utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique. Seuls les actes inoffensifs sont autorisés. Mais cela n'empêche pas une utilisation militaire de l'espace si elle n'est pas offensive… Des États profitent-ils de cette faille ? Si oui, lesquels et comment ?

La faille est un oubli volontaire. Les États se sont interdits les actes offensifs mais pas l'espionnage. Or, le militaire dans l'espace est essentiellement de l'espionnage, du renseignement. Les satellites espions ne servent pas que pour l'espionnage mais à observer si des accords de paix ont été bel et bien respectés (on visualise si les troupes se sont retirées). Ils permettent également d'observer les grands mouvements de populations et permettent de mieux organiser certaines missions humanitaires.

Il est possible qu'une guerre terrestre s'exporte dans l'espace lorsqu'un pays détruit le satellite espion de son ennemi. Ce n'est pas autorisé mais qui va l'en empêcher dans l'espace ?

L'espace facilite-t-il la guerre sur Terre avec, par exemple, les satellites espions ? Des exemples parlants ?

Oui, le GPS est une invention militaire qui va dans ce sens. De même, les télécommunications servent beaucoup les guerres d'aujourd'hui pour que les armées communiquent. Et on peut imaginer qu'à l'avenir des guerres terrestres soient exportées dans l'espace en s'attaquant à son ennemi. L'ennemi ne perdrait pas la guerre mais ce serait un coup fort.

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