Sommet France-Afrique : derrière les sourires des photos officielles, le ras-le-bol anti-Hollande des dirigeants africains monte<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande en visite en Afrique du Sud.
François Hollande en visite en Afrique du Sud.
©Reuters

Le Mali n'y a rien fait...

En recevant les principaux partenaires africains à Paris, le président Hollande tente de relancer une diplomatie en veille dans la région depuis son arrivée au pouvoir. Un fait qui déplaît à de nombreux dirigeants du continent, qui n'apprécient pas la récente recrudescence d'interventions militaires françaises.

Patrick Pesnot

Patrick Pesnot

Patrick Pesnot a été grand reporter avant de devenir le producteur et présentateur de l'émission "Rendez-vous avec X" sur France Inter. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Les dessous de la Françafrique" aux éditions "Nouveau Monde" (2008)

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Atlantico : Avant le sommet de lElysée pour la paix et la sécurité en Afrique qui se tiendra les 6 et 7 décembre, chefs d'Etat, ministres et chefs d'entreprises africains et français sont à Bercy pour parler économie. Peut-on aujourd’hui faire un état des lieux des relations franco-africaines ?

Patrick Pesnot : On n’exagérerait pas en disant qu'elles ont radicalement changé depuis l'élection de François Hollande, qui avait déclaré qu'avec lui la Françafrique verrait ses derniers jours. Certes il y a eu, depuis, le déclenchement de l'opération Serval au Mali, mais il est nécessaire de rappeler que cette intervention n'était pas de même nature que celles que la France a pu mener à maintes reprises par le passé dans nos anciennes colonies (notamment la Côte d'Ivoire en 2011, NDLR). Il est tout aussi intéressant de regarder le phénomène à travers le prisme de ce qui se passe actuellement en Centrafrique, où des soldats français ont récemment été envoyés. Le gouvernement a mis longtemps a décider d'intervenir dans la région, et il avait d'ailleurs choisi de ne pas bouger en début d'année lorsque François Bozizé, le président déchu remplacé par Michel Djotodia, a appelé la France à son secours. Cette décision illustre bien ce qu'était alors la politique de l’Élysée, qui décidait de ne plus intervenir dans ce pré carré que l'on a appelé jusqu'ici la Françafrique. Finalement, François Hollande a pourtant fait le choix, à partir du mois d'août, de faire une entorse à cette doctrine en agissant face à l'éternisation du conflit centrafricain et les conséquences humanitaires qui en découlaient. En secouant les Nations-Unies et le Conseil de Sécurité pour engager une deuxième fois les forces françaises en Afrique, il se retrouve, de fait, acteur des affaires africaines.

Paradoxalement, un désaccord prononcé entre les chefs d’États africains et le gouvernement Hollande existe actuellement. Comment expliquer cette défiance en dépit du succès relatif de l’opération Serval ?

Justement, cette opération a été quelque chose de problématique pour le Président, et il n'a d'ailleurs pas envie de reconduire un autre déploiement pour stabiliser le nord du Mali, souhaitant ainsi éviter qu'on lui reproche d'agir comme tous ceux qui l'ont précédé à la tête de la République Française. C'est pourtant comme cela que certains commencent à interpréter les événements.

La remise du prix Houphouët Boigny pour la recherche de la paix remis en juin 2013 à François Hollande a déclenché une polémique dans les milieux politiques africains qui n’ont pas tous vu d’un bon œil l’intervention française, estimée parfois comme un énième alibi néo-colonial. Le Président français peut-il rattraper ce cafouillage diplomatique ?

Etant donné le lourd passé colonial de la France, ainsi que ses multiples ingérences depuis 1960 dans les différents pays du continent, il est clair que les évènements d'hier finissent toujours par peser dans la balance diplomatique. Les africains étant devenus au fil des années extrêmement succeptibles dans les relations qu'ils entretiennent avec Paris, ils peuvent facilement être tentés de voir l'action française au Mali, et aujourd'hui celle en Centrafrique, comme une ingérence plutôt que comme une assistance. Même à Bamako, où tout le monde semble reconnaissant de l'arrivée des troupes françaises en janvier dernier, des voix se sont élevées pour critiquer la France, notamment lorsque François Hollande a fortement insisté pour que les élections présidentielles se déroulent au plus tôt, dès le mois de juin. Les rapports restent finalement d'une nature méfiante entre l'Hexagone et ses anciennes colonies. Il y a donc beaucoup à faire pour rassurer en la matière.

Par ailleurs la nouvelle équipe Afrique de l’Elysée, dirigée désormais par Hélène Le Gal, est beaucoup moins active que du temps de ses prédécesseurs. Peut-on estimer que cela illustre un intérêt finalement limité de François Hollande pour le continent africain ?

Je ne pense pas qu'il ait un intérêt limité, mais dans ce domaine il marche en permanence sur des oeufs : tout activisme diplomatique finirait par être perçu comme un éternel retour de la Françafrique telle qu'elle a toujours existée. En même temps, l'Elysée s'est bien rendu compte qu'il était de fait impliqué sur le continent alors que des troupes françaises sont présentes au Tchad, en Côte d'Ivoire, et maintenant en Centrafrique qui est - son nom l'indique bien - le pivot de notre dispositif militaire dans la région. Les intérêts économiques ont aussi leurs part, notamment pour Areva, qui s'intéresse de plus en plus à l'uranium local (un site de l'entreprise a par ailleurs été attaqué en juin 2012, NDLR)

Face à la concurrence accrue des Chinois, des Indiens mais aussi des Américains dans la région, peut-on imaginer que cette "opération séduction" lancée par Paris ait des chances de produire des résultats positifs ?

La compétition est effectivement des plus vives, et le cas de la Centrafrique est encore une fois un bon révélateur. Idriss Déby, le président du Tchad voisin, est l'un de ceux qui ont activement participé à la chute (on pourrait dire au lâchage) de François Bozizé pour continuer à garder la main haute sur les zones de forages pétroliers qui s'étendent des deux côtés de la frontière, zones que s'apprêtaient justement à exploiter des compagnies chinoises (Bozizé ayant effectivement rencontré des officiels chinois de premier rang en septembre 2012, NDLR). Dans ce contexte, la France ne peut pas laisser le champ entièrement libre aux Américains, aux Chinois ainsi qu'au reste des puissances émergentes, en particulier lorsque l'on sait que l'appétit de ces derniers est des plus insatiables. Cela implique de renouer avec des chefs d'Etats qui entretiennent pour l'instant des doutes à l'égard de la politique menée. Difficile néanmoins de prédire ce qui pourra ressortir quant autant d'éléments extérieurs entrent en compte. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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