Flop de l'Obamacare : la Maison Blanche a sous-estimé la réticence des Américains vis-à-vis de la montée de l'Etat nounou<!-- --> | Atlantico.fr
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La réforme de santé d'Obama fait un flop.
La réforme de santé d'Obama fait un flop.
©Reuters

Fausse bonne idée

Outre les "Tea Party", que l'on sait farouchement opposés au système de santé promu par Barack Obama ("l'Obamacare"), les Américains sont de plus en plus nombreux à craindre une européanisation de leur pays sur le plan social et fiscal.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Pour bien comprendre une certaine opposition à l'Obamacare bien au-delà des diatribes du Tea Party, il faut comprendre le contexte : l’Amérique s’européanise, et pour beaucoup d’américains lucides cette tendance est mortifère. Avec son coté "usine à gaz numérique", ses mensonges d’État sur la "liberté de choix", ses coûts cachés et sa propagande saint-sulpicienne de bazar, l'Obamacare n’est que le dernier avatar d’une dérive socialisante déjà ancienne.

1/ Des dépenses de moins en moins militaires, de plus en plus "sociales"

Amusant : ce sont souvent les mêmes qui dénoncent une Amérique ploutocrate, "ultra-libérale" et dure aux faibles, et qui dans le même temps s’interrogent gravement sur le déclin d’un pays qui ne pourra pas faire face à la montée inexorable des dépenses issues de Medicare, de Medicaid et de la sécurité sociale. Si ça ne coûtait pas si chère, on leur prescrirait bien une thérapie.

Structures des dépenses gouvernementales américaines, en % du PIB, avec estimations CBO pour 2025. NB : "discretionary" inclut le ministère de la défense.

NB : le coût de la dette (Net Interest) est très bas historiquement en % du PIB, et il faut une grosse montée des taux pour le faire remonter à l’horizon 2025 (c’est un graph’ de Deutsche Bank, tout de même…).

Le ratio des dépenses consacrées aux droits d’obtenir des prestations sociales rapportées aux dépenses discrétionnaires hors défense atteint d’ores et déjà son point haut historique, et devrait, selon les projections du Congressional Budget Office, bondir à des niveaux inédits au cours des prochaines années.

Je vais citer Cembalest, histoire de le plagier jusqu’au bout :

"Ce graphique soulève quelques questions:

Est-ce ce que les concepteurs des programmes de droits à prestations sociales avaient initialement envisagé ?

Existe-t-il un seuil qui, s’il était atteint, susciterait chez les hommes politiques progressistes des inquiétudes quant à l’évolution de la situation ? Le cas échéant, quel serait ce ratio ? Si vous étiez un partisan du conservatisme budgétaire à l’image de l’ancien Democratic Leadership Council, quelle serait votre opinion à ce propos ?

Comment la démocratie parlementaire est-elle affectée par le fait que 100% des recettes publiques soient déjà consacrées aux programmes de dépenses obligatoires, laissant aux législateurs peu de dépenses possibles dont ils peuvent débattre sans engager des déficits importants ?

Et encore une question : est-il possible de soulever ces problèmes sans être considéré comme un conservateur digne d’Herbert Hoover ? Je reste convaincu qu’un grand compromis sera trouvé au cours des 3-5 prochaines années (mais pas durant le mandat présidentiel actuel), et que ce compromis élargira la base d’imposition (mise sous conditions de ressources de la faculté de déduire les intérêts des emprunts hypothécaires, les impôts des États fédérés et des collectivités locales, les dons aux organisations caritatives, et peut-être un impôt fédéral modeste sur les obligations émises par les collectivités locales) en échange de réductions des droits à prestations sociales, qui ont été très peu nombreuses depuis la mise en place du système."

Le développement des droits à prestations sociales au cours des années 1960 était tout à fait indispensable : à l’époque, plus d’un tiers des personnes du troisième âge vivaient dans la pauvreté et environ 50 % n’avaient pas accès à l’assurance-maladie pour des raisons tenant à leur âge, à leur état de santé ou à leurs revenus. Les choses ont changé. Les dépenses sociales (Medicare, Medicaid, Social security) seront bientôt prépondérantes. L’État américain est de moins en moins soldat et de plus en plus nounou ; et il coûte de plus en plus cher. La position républicaine de responsabilité fiscale était donc bien fondée, mais elle a été très mal défendue, avec un mauvais sens du timing, un FED-bashing bête et buté, et des outils mécaniques idiots comme le debt-ceiling. Et pendant que cet arbre tombe bruyamment, la forêt des dépenses à l’européenne continue de pousser aux USA. A noter qu’un certain nombre d’aides sociales américaines ne sont pas comptabilisées. L’EITC (impôt négatif), par exemple. Les aides fiscales massives pour la philanthropie sont souvent exclues des mesures (on ne retient que l’aide publique !!). Je renvoie aux études du Luxembourg Income Survey, pour ceux qui voudraient creuser les comparaisons internationales, et aux études de Willem Adema pour l’OCDE.

En tous les cas, "on savait" : on savait que les estimations initiales pour le coût d’Obamacare ne tenaient pas la route : mais on voulait tant y croire…

Cembalest, sur les données CBO pour 2013-2022, conclut : "notre estimation réaliste du coût de la loi ACA (dite Obamacare) s’élève à 1 700 milliards de dollars". Bienvenu dans un monde où on peut reloger un million de personnes en dessous du niveau de la mer et dépenser sans compter.

2/ inflation réglementaire à tous les étages

Je fais vite sur ce point, qui est aussi une composante de l’Obamacare (Obama avait promis que dans son système socialiste, s’assurer serait aussi simple que d’acheter une télé via Amazon). Traditionnellement, depuis Milton Friedman, une façon de mesurer la dérive textuelle de nos petits planificateurs consiste à surveiller le nombre de pages dans le Federal Register. Méthode frustre mais robuste. Avec tous les efforts des avocats (principaux donateurs du parti démocrate), avec le "Foreclosure Gate" dans le domaine de l’immobilier, avec les écologistes, avec les milliers de pages encore à venir de réglementation financière, et maintenant le boulevard aux contentieux nommé Obamacare, on peut dire que l’Amérique se prépare un beau destin mi-kafkaïen mi-orwellien.

Je pourrais aussi vous parler de la complexité réglementaire qui est désormais (cf. l’enquête NFIB auprès des PME) le principal blocage à l’embauche aux USA, à égalité avec le manque de demande. Mais il y aurait tant à dire…

3/ hausse vertigineuse du salaire minimum fédéral sous W.Bush et Obama

Un minimum ça veut dire : empêcher tous les gens dont la productivité marginale se situe en dessous de travailler. C’est indispensable à l’émergence d’une société communiste fondée sur le ressentiment et sur l’exclusion d’une frange de lumpenprolétariat (en l’occurrence, aux États-Unis, les très jeunes). Eh bien, entre la fin de Bush et le début d’Obama, c’est +40 % pour le minimum fédéral. Avec en plus au même moment une extension de la période d’indemnisation du chômage ; il faut indemniser et de façon large, mais sur des périodes courtes, pas comme en Europe : l’actif le plus précieux des États-Unis était la flexibilité du marché du travail, commencer à y toucher est une catastrophe. Pour mémoire voici la synthèse des études effectuées par les FED régionales sur les effets de cette extension dans le temps, ça fait froid dans le dos :

4/ politique du logement via Fannie Mae,… on a vu le résultat

Je fais court ici, même si le public français n’a pas encore pris bien conscience du poids des structures soviétiques nommées GSE (Fannie Mae, Freddie Mac…) dans la bulle immobilière américaine et la crise financière ; et le coût pour le contribuable et pour la FED du sauvetage de ce système mafieux, qui était une pompe à fric pour beaucoup de monde et en particulier pour le parti d’Obama.

Là aussi, "on savait". L’article de Friedman et Stigler sur le logement date de… 1948.

NB : En 2002, Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d’économie et Peter Orszag, futur directeur de l’Office of Management and Budget, déclaraient que la probabilité d’un choc pour les bilans des GSE était "nettement inférieure à un sur 500 000", et estimaient que le coût anticipé pour les finances publiques de la garantie de 1 000 milliards de dollars de prêts hypothécaires serait de 2 millions de dollars. (« Implications of the New Fannie Mae and Freddie Mac Risk-based Capital Standard », Stiglitz, Orszag et Orszag, mars 2002).

5/ La fiscalité américaine est très progressive, en tous les cas de plus en plus, et bien plus qu’on ne le dit

Warren Buffett a affirmé que de nombreuses secrétaires sont assujetties à des taux d’imposition plus élevés que certains individus fortunés ; c’est n’importe quoi. La plupart des riches réalisent leurs plus-values et ne vivent pas à Omaha en sirotant du cherry Coke. La grande majorité des contribuables disposant d’un revenu brut ajusté supérieur à 1 million de dollars sont assujettis à des taux d’imposition effectifs compris dans une fourchette de 22-35 %, nettement plus élevée que celle des taux d’imposition des revenus bruts ajustés inférieurs à 100 000 dollars.

Le système fiscal US est très différent du nôtre ; il est surtout très dur pour les riches. L'impôt sur le revenu, progressif, domine largement. Les taxes plus proportionnelles, du type TVA, sont embryonnaires alors qu'elles dominent largement en Europe et en particulier en France. Les revenus du patrimoine représentent deux fois plus dans les recettes fiscales américaines que la moyenne de l'UE à 15. En outre, les entreprises (toujours détenue au final par des personnes physiques…) sont fortement taxées ; aujourd'hui l'IS américain est un des plus élevés de la zone OCDE (c'est en partie lié au fait que les USA n'ont aucune difficulté à attirer les capitaux du monde entier : la pression à la baisse s'exerce très peu pour eux).

Par sa loi de 1986, Reagan a certes diminué le taux marginal supérieur de l'impôt fédéral sur le revenu, mais il a également supprimé de nombreuses exonérations (les ''niches fiscales'', dont les plus pauvres profitaient rarement) et a grandement développé le crédit d'impôt pour les ménages aux salaires modestes (l'EITC). A l'usage, la taxation des bas salaires s'est réduite et celle des plus élevés a augmenté. De nombreuses études confirment ce virage socialiste de l'action fiscale à l'époque de Ronald Reagan. Par exemple, Feenberg et Poterba ont examiné en 2002 la part des impôts fédéraux payés par les 0,5 % les plus riches aux États-Unis sur la période 1960-1990 : ils observent une forte baisse à la fin des années 60, vers 15 %, et la part reste autour de ce niveau jusqu'en 1981. Quand Reagan arrive au pouvoir on est à peine à 14 %... puis cette part monte en flèche brusquement, et progresse significativement tous les ans. Quand Ronald Reagan part, en janvier 1989, on se situe à 22 %...

Plus le seuil est placé haut, plus la catégorie de revenus concerne des gens riches (le top 0,1%, le top 0,01%...) et plus l'augmentation de la part de l'impôt sur le revenu est importante depuis 35 ans. 

La moitié des Américains ne contribuent pratiquement pas à ce qui est de loin le principal impôt du pays. Les 1 % des Américains les plus riches comptent pour plus du tiers des revenus fédéraux. Par contre, l'étude des taux marginaux montre que les contribuables aux revenus les plus faibles bénéficient d'un taux marginal négatif. Autrement dit, ils sont subventionnés. Cela est en grande partie dû à l'extension continue de l'impôt négatif (EITC) depuis trois décennies. Comme structure fiscale régressive, on fait mieux.

Quelques comparaisons dans le temps et dans l’espace avec les autres pays de l’OCDE permettent de montrer qu’il est stupide de présenter les États-Unis comme une sorte de quasi-paradis fiscal pour les plus riches. Il n'est en outre pas évident du tout que les titulaires de revenus faibles seraient favorables à des taux marginaux supérieurs beaucoup plus élevés. C'est Okun en personne qui relatait l'histoire suivante : "En 1972, la proposition faite par le sénateur McGovern d'instaurer des droits de succession confiscatoires suscita une vague de protestations au sein de la classe ouvrière. Semble-t-il qu'ils ne voulaient pas voir disparaître les opportunités de progression sociale. La majorité silencieuse ne voulait pas que les yacht-clubs soient inaccessibles à leurs enfants ou petits-enfants tandis que ceux qui en étaient déjà membres pouvaient y rester sans inquiétude", Okun, Equality andEfficiency: The Big Tradeoff (The Brookings Institution, 1975). On retrouve cette idée, connue sous le nom d'hypothèse POUM, chez Albert Hirschmann, et plus récemment, sous un angle plus mathématique, dans les travaux de l'économiste Roland Benabou.

G.W. Bush n'avait pas réduit cette progressivité (avant qu’Obama ne refasse monter le taux marginal supérieur). Tantôt explicitement et tantôt implicitement, les critiques prétendent que les baisses d'impôt (tax cuts) auraient modifié la distribution des revenus afin de rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. C'est une petite musique agréable aux oreilles françaises. Mais c’est faux. Proportionnellement, ce sont les impôts des classes moyennes qui ont le plus baissé. La réduction du taux le plus bas, de 15 % à 10 %, a été de 1/3 si je sais compter ; celle du taux supérieur, de 39,6 % à 35 %, était deux fois moindre. Si l'on avait voulu garder le même fardeau fiscal relatif pour tous, les réductions d'impôt des plus riches auraient dû être beaucoup plus importantes. Si l'on veut toutefois comparer des montants, en dollars concrets, on constate que les réductions dont les riches vont bénéficier seront beaucoup plus grosses que celles des plus pauvres : mais comment pourrait-il en être autrement puisqu'aux États-Unis ce sont les riches qui paient presque tous les impôts ? 

Du fait des tax cuts de Bush et de l'extension de l'Earned Income Tax Credit, le groupe de ceux qui ne payent pas un dollar d'impôt direct au gouvernement fédéral monte en flèche. Ils étaient 18 millions en 1980 à l'arrivée de Reagan, 44 millions en 2005, et ça ne cesse de monter. C'est plus d’un ménage américain sur trois qui ne paye pas l'IR, contre moins de 20 % en 1980. 

On peut penser ce qu'on veut des riches aux États-Unis, mais on ne peut pas dire qu'ils soient fiscalement privilégiés : les ménages situés dans le quintile des hauts revenus payent chaque année 30 fois plus d'impôts et de taxes que les ménages situés dans le quintile des plus bas revenus (alors que les revenus varient de 1 à 10 entre ces quintiles extrêmes), et cela n'a guère varié sur la période récente. On peut penser que 30 fois, ce n'est pas encore assez, mais il n'est pas très honnête de cacher cette réalité. En fait, on se focalise trop sur les taux marginaux supérieurs et pas assez sur la part des impôts effectivement payée par chaque quintile ou chaque décile de revenus et, surtout, on s'écarte beaucoup trop vite des faits (tendance ancienne mais qui se renforce au cours des années Obama).  

Les mauvaises perceptions des acteurs économiques (de Warren Buffet à l’électeur médian) sont souvent déterminantes sur les questions fiscales où l’emprise du réel est très faible. Joel Slemrod a montré en 2003 sur données US qu'une majorité des contribuables est faussement persuadée que les familles aux revenus moyens paient un plus fort pourcentage de leurs revenus au titre des impôts fédéraux que les familles aux hauts revenus. En réalité, les ménages parmi les 1 % les plus riches paient 25 % de leurs revenus au titre de ces impôts alors que, selon le Congressional Budget Office, les 20 % du milieu (le quintile médian) payent 5 %. Cette représentation fausse conduit (selon Slemrod) nombre d'entre eux à se prononcer en faveur d'une flat tax (impôt proportionnel) : ils ne se rendent pas bien compte qu'avec une flat tax les riches paieraient beaucoup moins d'impôts qu'avec le système actuel, dont on sous-estime toujours grandement la progressivité (surtout si on passe son temps à lire Piketty).

6/ il y a au moins un point sur lequel l’Amérique résiste : l’emploi public est encore contenu

Ouf, l’Amérique est une nouvelle fois sauvée par sa structure fédérale (les collectivités ont massivement dégraissé, ce qui a compensé Obama) et par la FED (l’activation de la politique monétaire a limité l’activation de dispositifs budgétaires bien moins réversibles).

Sans remonter jusqu’aux intuitions de Tocqueville, c’est Peter Drucker je crois dans les années 70 qui notait que la diffusion des actions faisait de l’Amérique la première société authentiquement socialiste si l’on entend par ce terme la propriété collective des moyens de production, et Alexandre Kojève je crois dans les années 50 qui voyait dans les grandes banlieues uniformes de l’Amérique le lieu du communisme réalisé, la première société sans classes. Il y avait peut-être une petite part de provocation, mais à une époque où l’URSS et la Chine avaient rétabli l’esclavage. De nos jours, avec des dépenses publiques américaines qui flirtent avec les 40 % du PIB chaque année et qui sont de plus en plus sociales dans leur composition, il n’y a aucune exagération à dire que l’Amérique s’européanise, et ce n’est pas un compliment.

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