Grande lessive idéologique à la Fed : les partisans européens de l'austérité feraient bien d'ouvrir grand leurs yeux <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La "grande lessive" a commencé à la Fed.
La "grande lessive" a commencé à la Fed.
©Reuters

Massacre à Minneapolis

Si la chose peut sembler minime, le renvoi de deux cadres de la "Regional Fed" de Minneapolis est bien loin de l'être. Il révèle en effet la défaite progressive de l'école de pensée macroéconomique dite "freshwater" notamment associée à l'Université de Chicago. Une vision économique qui considère que la récession ne se combat pas par la politique monétaire.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »

Narayana Kocherlakota est inconnu en France. Cet économiste américain, membre de la Réserve fédérale américaine et président de la Réserve fédérale de Minneapolis est, en l’espace de quelques mois, devenu un symbole de l’anti-austérité outre atlantique. Sa récente décision de se séparer de deux éminents économistes pro-austérité, Patrick Kehoe et Ellen McGrattan, vient conforter la récente révolution académique en cours aux Etats-Unis.

Et pourtant, Narayana Kocherlakota était un « dur ». Depuis son arrivée au sein de la FED et jusqu’en 2012, il s’était vivement opposé aux décisions prises par le comité en faveur d’un large soutien monétaire à l’économie. Il était alors présenté comme un faucon, c’est-à-dire comme un représentant d’une doctrine monétaire stricte, apeuré par les éventuelles tensions inflationnistes. Il votera ainsi contre toute politique de soutien monétaire entre son arrivée en 2009, et ce jusqu’en 2012.

C’est alors que le président de la Fed, Ben Bernanke, va tenter de convaincre son pair que la crise n’est pas due à des facteurs structurels mais bien à un problème de conjoncture économique que la FED peut prendre en charge.

Jon Hilsenrath, journaliste au Wall Street Journal, relate les dessous de la conversion. « Plusieurs mois après son arrivée (…), M. Kocherlakota croyait que le marché de l’emploi souffrait de problèmes structurels contre lesquels la politique monétaire ne pouvait rien. (...) Il rejoint les sceptiques, les faucons, qui doutaient de l’efficacité de l’activisme de la banque centrale. Il votera à deux reprises contre les avis de Ben Bernanke. Messieurs Bernanke et Kocherlakota vont alors échanger des emails pendant des mois et débattre du chômage structurel (…). » Selon Bernanke, les employeurs n’embauchaient pas en raison d’une demande trop faible, problème qui peut être résolu par la politique monétaire. « J’ai beaucoup appris en parlant avec lui », dira M. Kocherlakota dans une interview après la tenue du comité de septembre 2012.

Ben Bernanke essaye de convaincre son comité en douceur. Un autre opposant, Richard Fischer, déclare que « Même si vous êtes en désaccord avec lui sur le programme, vous savez que votre voix a été entendue (…) il n’y a pas d’intimidation ».

Mr Kocherlakota est doucement influencé et va afficher un revirement remarqué de sa doctrine, notamment lors d’une intervention du 30 octobre 2012.

« Certains observateurs maintiennent que la FED est allée trop loin. Je suis en profond désaccord. A la lumière d’un choc d’une inhabituelle ampleur, je crois qu’il est dangereux d’évaluer les actions du comité au regard des 30 dernières années. Au contraire, nous devons évaluer la politique monétaire en comparant la réalité économique aux objectifs du comité que sont la stabilité des prix et le plein emploi ».

« En réalité, si l’action du comité avait été laxiste, cela se manifesterait par une inflation supérieure à 2.00%. Cela n’a pas été vrai au cours de l’année passée. La plupart des membres du comité anticipent une inflation inférieure ou égale à 2.00% pour les deux prochaines années. Etant donné le niveau actuel élevé du chômage, ces anticipations d’inflation suggèrent que la politique monétaire n’est pas trop laxiste, mais trop stricte ».

Le revirement est total et Narayana Kocherlakota devient un soutien symbolique de la nouvelle politique monétaire de la FED mise en place en septembre 2012. Cette nouvelle politique consiste notamment à se fixer un objectif de taux de chômage de 6.5%. 15 mois après cette décision, le taux de chômage américain est en effet parvenu à un taux de 7.3%.

Cette capacité de remise en cause sera saluée par le classement du magazine Foreign Policy, (du groupe Washington Post) pointant Narayana Kocherlakota au 10e rang des « penseurs » les plus influents de l’année 2012. De la même façon, le magazine classe Ben Bernanke au 15e rang, en compagnie d’un économiste inconnu : Scott Sumner de l’Université de Bentley.

Car en réalité, Scott Sumner est à l’origine de tout. « Les professeurs de l’Université de Bentley qui n’ont jamais publié de livre important n’ont pas l’habitude de modifier le cours du débat public ». Et pourtant, ce sont bien ses recommandations qui ont influencé la Réserve fédérale des Etats-Unis. Selon Sumner, « Il s’agit de fixer des objectifs spécifiques et de faire tout ce qu’il est possible de faire pour y parvenir », c’est-à-dire de conduire une politique monétaire agressive jusqu’à ce que la croissance reparte et que le chômage diminue. Sumner va théoriser la grande récession que nous connaissons depuis 2008, et celle-ci est de nature monétaire.

Ces déclarations sont à mettre en parallèle avec les mots du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, qui annonçait un changement de régime en juillet 2012 par son « Whatever it takes », soit « tout ce qu’il est possible de faire » pour sauver l’euro. Malheureusement, Draghi et les membres de la BCE n’ont pas défini les nouveaux objectifs nécessaires à la réussite d’une telle entreprise. Sauver l’Euro ne suffit pas, l’objectif se doit d’être plus ambitieux pour permettre une véritable relance de l’activité économique.

L’éviction récente des deux économistes de la Réserve fédérale de Minneapolis est un nouvel avertissement adressé aux partisans de la rigidité monétaire. La pensée économique est en train d’évoluer et les membres de la BCE devraient y prêter la plus grande attention. La grande lessive commence. En effet, cette décision de Kocherlakota a bien pour objectif de parvenir à réduire l’influence des partisans de la rigidité monétaire au profit des adeptes de Scott Sumner.

Car aujourd’hui encore, la citadelle de Francfort reste sourde, protégée par l’incroyable inaptitude des dirigeants européens à comprendre l’importance des évolutions académiques appliquées avec succès aux Etats-Unis, au Japon, en Australie, au Canada, au Royaume Uni etc…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !