Consommation d'anti-dépresseurs en hausse : l'autre coût de la crise économique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Des comprimés de prozac, un antidépresseur.
Des comprimés de prozac, un antidépresseur.
©

Dommages collatéraux

La consommation d'anti-dépresseurs dans les pays membres de l'OCDE aurait augmenté de 10 % entre 2007 et 2012. L'Islande, dont trois banques ont fait faillite, occupe le haut du classement avec une progression de 50 %.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

Voir la bio »

Atlantico : Un récent rapport de l'OCDE révèle que la consommation d'antidépresseurs aurait augmentée de 10 % en moyenne sur l'ensemble des pays membres entre 2007 et 2011. Un fait marquant, sachant que le phénomène semble directement lié à l'émergence de la crise financière. Qu'en est-il concrètement ?

Jean-Paul Mialet : Depuis une vingtaine d’années, la prescription des antidépresseurs ne cesse de croître. Cela tient à l’efficacité de ces produits, au développement de molécules nouvelles bien tolérées, à un meilleur repérage diagnostic de la dépression et de troubles annexes – parfois éloignés de la dépression – dans lesquels ils peuvent se montrer utiles. On ne doit pas oublier que les antidépresseurs sont des traitements relativement récents (les tous premiers datent des années 60), accueillis au départ avec scepticisme par la communauté des psychiatres, et qui n’ont commencé à être utilisés à une large échelle que dans les années 80.  Cela dit, l’accroissement récent de la consommation est sans aucun doute lié aux conséquences de la crise économique sur la santé mentale. De nombreuses études ont démontré qu’une augmentation du chômage avait des effets mesurables sur l’équilibre psychologique de la population. Ainsi, on constate un doublement de la fréquence des troubles psychiques chez les sans emploi (34 % contre 16 % chez les personnes qui travaillent). De même, on observe un accroissement du nombre de suicides. Dans ce domaine, les données recueillies sur la crise asiatique sont frappantes : par rapport à 1997, le taux de suicide des hommes a augmenté en 1998 de plus du tiers à près de 50 % dans les pays de la zone asiatique. Une large étude européenne portant sur 27 pays d’Europe entre 70 et 2007 conclut qu’une hausse de 1 % du chômage serait suivie d’un accroissement de 0,79 % des suicides chez les moins de 65 ans.

Faut-il affirmer en conséquence que la crise a aussi eu un "coût immatériel". Quelles en seraient les éventuelles conséquences ? 

La crise provoque en effet une altération sensible de l’équilibre mental qui représente un coût en termes de soins et d’invalidité. D’autres impacts sanitaires sont également à prendre en compte car, dans de nombreuses études, on constate également une augmentation de la mortalité qui n’a pas uniquement pour cause le suicide et résulte également de défaillances physiques : cardio-vasculaires, hépatiques, etc. C’est donc l’ensemble de la santé qui est fragilisé. Hors ce coût sanitaire, la crise détériore également le lien social en entraînant pessimisme, perte de confiance et inquiétude, et en accentuant le climat concurrentiel entre ceux qui travaillent. Selon l’Institut International d’Etudes Sociales de Genève, la crise a entraîné une dégradation sans précédent du sentiment de satisfaction dans la vie à l’échelle mondiale. En somme, la crise provoque une sorte de "dépression" planétaire pour laquelle on ne dispose hélas pas d’un traitement antidépresseur efficace…  C’est l’élan général des populations qui, en de nombreux points du globe, semble atteint et cela pourrait mener à d’inquiétantes réactions de désespoir.

Le cas de l'Islande est particulièrement frappant puisque sa consommation aurait augmentée de 50 % sur la même période alors que le pays a dû subir la faillite de ses trois plus grandes banques. Jusqu'à quel point peut-on assimiler la santé économique d'un pays à sa santé psychologique ?

Santé économique et santé psychologique sont, comme on l’a vu, étroitement liés. La crise islandaise en fournit une autre preuve. Grâce à un traitement économique sévère, l’Islande retrouve la prospérité. Mais les islandais sont-ils en meilleure santé ? Certaines ruines psychologiques frappent plus durablement encore que les ruines économiques. Sans tomber dans la compassion et en admettant que toute politique se fixe des objectifs collectifs, le calcul d’une sortie de crise ne peut pas reposer que sur des chiffres : il doit également intégrer les paramètres humains, c’est à dire les limites des capacités de l’adaptation psychologique. De ce point de vue, les systèmes de protection sociale souvent décriés pour leur coût peuvent s’avérer très profitables en atténuant l’impact de la crise sur la santé.

Au-delà du socio-économique, quelles peuvent être les autres explications de cette hausse notable des comportements dépressifs ?

Au moment où l’affaiblissement économique et le climat de guerre concurrentielle plonge l’individu dans un climat de grande précarité professionnelle, l’incertitude est devenue la loi dans tous les secteurs de l’existence. Incertitude familiale : on sait que les couples se défont presque aussi rapidement qu’ils se font. Cette liberté n’est pas sans conséquence : le divorce est un facteur bien connu de dépressions, et  la recomposition familiale ne va pas sans stress avant de trouver le nouvel équilibre. Incertitude spirituelle : la religion des droits de l’homme ne semble pas suffisante, dans bien des cas, pour apaiser les tourments de l’âme humaine. Le culte de l’argent et de la performance provoque beaucoup d’aigreur chez les laissés pour compte. Dans ce climat de perte de repères et de repli sur soi, la reconnaissance professionnelle est volontiers survalorisée, et l’effondrement de son statut personnel devient un intolérable effondrement de soi-même.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !