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Ils voient des rennes partout : comment médias et commerçants conditionnent les esprits à la grande orgie de consommation qu'est devenue Noël
©Reuters

La fête pour la fête

Sur les marchés de Noël, les commerçants sont devenus les organisateurs de nos célébrations de fin d'année, nous "montrant" comment il convient de faire la fête.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : Chaque année, et malgré la crise, il semble que les opérations commerciales que sont les marchés de Noël commencent de plus en plus tôt et ne cessent d’enchérir sur l’incitation consommatoire. Comment expliquer la dimension commerciale de cette fête, dont témoigne l’importance toujours plus grande des marchés de Noël ?

Damien Le Guay : De toute évidence, les marchands sont déjà à la manœuvre et ce depuis début novembre. Ils préparent Noël, achalandent les magasins. Mais surtout, depuis plusieurs semaines, par médias interposés, ils préparent les esprits aux achats à prévoir. Comme dans les expériences de Pavlov sur "les réflexes conditionnés", ils sonnent les cloches pour que nous salivions à l’idée des cadeaux à donner et des  dépenses à anticiper. Ainsi avons-nous vus, à la télévision, certains "experts" venir nous expliquer les "tendances" de cette année ainsi que les "produits vedettes". D’autres, mi-novembre, alors que rien n’est encore fait, nous ont expliqué que le "panier moyen" serait cette année de 531€ - en très légère baisse sur l’année dernière. Dans cette somme, les cadeaux "seront" de l’ordre de 302 € et 175 € "seront" consacrés au repas de Noël. De plus, ajoutent une troisième vague "d’experts", pour mieux préparer le terrain, cette année 47 % des achats de Noël se feront avant fin novembre – alors que ce chiffre était de 40 % en 2012.

Devant ce déferlement de "prévisions", personne ne s’étonne, ne s’insurge même. Il s’agit-là d’un "rappel à l’ordre" d’une fête à fêter d’une manière sonnante et trébuchante, de cadeaux à acheter le plus tôt possible, d’une dépense à prévoir dès maintenant. Ces experts sont-ils là pour nous "renseigner" ou, bien plutôt, pour nous "faire la morale", une douce morale des consommations plaisantes et nécessaires avec un étiage de dépenses et des produits "vedettes" - et donc "qu’il faut" acheter si on souhaite être "dans le coup" ? Ces "experts" "savent" ce que nous ne savons pas nous-mêmes. Ils semblent parler à notre place, penser à notre place et surtout ils donnent à tue-tête une évaluation de notre générosité. Ce budget de 531 € ressemble à une norme – tout à la fois affective et budgétaire. Je me "dois" de donner cette somme et inversement, les "autres" attendent de la recevoir en cadeaux. Voilà ce que les autres "feront". Il me faut donc faire "comme tout le monde" - le "monde" étant ici à entendre comme celui attendu et calibré, à l’euro près, par nos gentils amis les marchands. Et si, sous le sapin, je donnais moins que prévu et "seulement" un petit poème d’amour, un bouquet de fleurs et un vieux livre légué par mon père, serais-je pour autant un "mauvais" époux ou un "mauvais" père ? Oui. Bien entendu. Je n’aimerais "pas assez" mes proches ! Nous sommes là, me semble-t-il, dans une immense confusion des normes.

Comment comprendre cette confusion ? Dans quelle mesure peut-on considérer que cette commercialisation croissante de la fête de Noël représente un retour du paganisme dans notre société ?

Quand la "morale" n’est plus personnelle, elle est collective. Quand elle n’est plus "religieuse" elle tend à être marchande. Là est la grande tendance de l’égalisation des conditions telle que décrite par Tocqueville. Si nous laissons les marchands nous dire ce que nous "devons" dépenser, sans considérer qu’ils font une intrusion dans notre vie privée – ce qu’ils font indéniablement -, c’est que nous n’avons rien à leur opposer. Mais surtout, nous ne savons plus bien ce que nous fêtons à Noel. Philippe Murray l’a dit superbement il y a plusieurs années : la festivisation à outrance de nos sociétés n’a plus d’autres raisons que la fête elle-même. La fête s’auto-célèbre, elle se montre, se manifeste pour tout et rien, pour "un oui ou pour un non". Alors les marchands deviennent les gentils organisateurs qui "prennent en charge" nos plaisirs programmés – au risque de prendre en charge nos imaginaires et nos désirs mêmes. Ils "rendent service" et finissent par nous dire, avec de plus en plus d’insistance, ce que nous "devons" faire et dépenser quand et comment.

Vous avez raison de parler d’un "retour du paganisme" ! Le "Noël chrétien" semble recouvert par le "Noël des cadeaux". En apparence tous les éléments chrétiens sont là, mais au lieu d’être sur le devant de la scène, l’âne et le bœuf, le "petit jésus" et Joseph et Marie ont finis par "faire partie du décor", par être repoussés au bord, au loin tant les cadeaux sont partout  présents et "obligatoires" et qu’il "faut" les donner et les recevoir. Cette fête si chrétienne a cohabité, depuis un siècle, avec le Père Noël inventé par Coca-Cola et maintenant, la présence chrétienne est souvent un peu vague pour ne pas dire confuse ou nostalgique – pour les personnes d’un certain âge. Le paganisme est, à l’origine, la peur des éléments naturels, la croyance dans la "magie" des "prêtres" qui peuvent "conjurer les mauvais sorts" et la certitude qu’il faut faire des offrandes aux dieux de la forêt. Cette religion païenne est celle d’Astérix et Obélix qui ont peur que "le ciel leur tombe sur la tête". Aujourd’hui les "druides" sont les "experts" qui disposent de l’avenir de Noël. Et il nous faut "faire des offrandes" à la divine consommation et faire des banquets en famille pour conjurer les mauvais sorts de la mondialisation. Et ce paganisme marchand, plus il se développe, plus il donne tort à Saint-Exupéry pour qui "l’essentiel est invisible pour les yeux". Aujourd’hui, l’amour-essentiel doit se montrer en cadeaux autour du sapin des "fêtes d’hiver" !   

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