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La Chine franchit un pas supplémentaire dans son jeu diplomatique dangereux vis-à-vis des ses voisins
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Petites îles

Cinq îles et trois rochers inhabités de seulement 7 km² sont à l’origine d’un conflit de souveraineté qui dure depuis plusieurs décennies entre la Chine et le Japon. La tension est montée d’un cran depuis la création d’une Zone aérienne d’identification par Pékin.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Le 23 novembre, la Chine a décrété unilatéralement la création d’une zone aérienne d’identification (ZAI) en mer de Chine orientale. Cette ZAI est censée contrôler le survol de son espace aérien : tout aéronef désirant la survoler doit en avertir les autorités chinoises et doit s’identifier. Comment interpréter ce qui passe pour un coup de force chinois vis-à-vis de ses voisins ? Quelles en sont les motivations ?

Jean-Vincent Brisset : Il n'y a pas de définition internationalement admise des ZAI qui sont toujours définies de manière unilatérale. On peut toutefois dire qu'une telle zone n'est pas destinée à contrôler le survol de l'espace aérien d'un pays, puisqu'elle est habituellement située dans l'espace aérien international. Son but est d'identifier un aéronef qui y pénètre pour déterminer s'il a des intentions hostiles. Ce qui vient d'être fait par les Chinois pose quand même un vrai problème dans la mesure où une partie de la zone qu'ils viennent d'établir recouvre un espace aérien géré et contrôlé en tant qu'espace aérien national par le Japon. On note aussi que les mesures demandées par les autorités chinoises s'appliquent aussi aux aéronefs militaires, alors que, généralement, les ZAI ne concernent que les aéronefs civils.

La motivation qui semble la plus évidente est la volonté d'affirmation de la Chine, non seulement au-dessus des Senkaku, mais aussi dans une zone extrêmement étendue de la mer de Chine orientale. Toutefois, il ne s'agit pas encore, à l'heure actuelle, d'une affirmation de souveraineté. Ce qui s'est passé – sans que le monde ne s'émeuve – en juillet 2012, quand la Chine a publié des textes selon lesquels elle prenait possession de pratiquement toute la mer de Chine du Sud, y compris d'îlots situés dans les eaux territoriales des Philippines était autrement plus agressif. On pourrait même dire que, si les choses restent en l'état, le fait de se limiter à la création d'une ZAI est plutôt l'affirmation du caractère international de la zone.

Il existe probablement aussi des motivations de politique intérieure. Xi Jinping semble avoir quelques problèmes pour établir la réalité de son pouvoir. Pour masquer l'absence de consensus au sein des autorités pour traiter les plus graves problèmes de son pays, il aurait choisi de mettre en avant des sujets qui font toujours recette dans l'opinion publique chinoise : la lutte contre la corruption et l'opposition avec le Japon.   

La ZAI chevauche une partie de la zone de défense aérienne japonaise. Doit-on en conclure que l’un des deux Etats, voire les deux, ne respecte pas la limite de la mer territoriale, mer territoriale où s’exerce la souveraineté des Etats côtiers ?

Autant les notions d'espace aérien national et celui d'eaux territoriales se recouvrent assez largement, autant celui de ZAI est différent, comme il a été dit plus haut. Mais celle qui vient d'être mise en place par la Chine ne chevauche pas seulement la ZAI japonaise, mais aussi celles de Corée du Sud et de Taïwan.

Comment se positionne justement la Corée du Sud, qui possède les îlots d’Ieodo en mer de Chine orientale, dans ce dossier ?

Les îlots d'Ieo (ou Ieodo), sont des récifs submergés qui sont considérés par la Corée du Sud comme faisant partie de sa Zone économique exclusive, ce que conteste la Chine. Ils sont désormais inclus dans la ZAI chinoise, tout comme une partie de l'espace aérien des îles Jeju qui ne sont pas revendiquées par Pékin. La Corée du Sud a annoncé qu'elle ne respecterait pas les directives chinoises.   

Les États-Unis ont déployé deux bombardiers B-52 le 27 novembre. Le Japon, allié des États-Unis, se trouve-t-il donc en position de force ?

Dès le 23 novembre, le Secrétaire d'état à la Défense a annoncé qu'il ne se plierait pas aux décisions unilatérales chinoises. Les vols de B-52 ne sont pas à proprement parler un déploiement, mais plutôt des vols d'entraînement qui sont présentés comme étant de routine. Il ne s'agit pas d'une menace et il a d'ailleurs été dit que ces aéronefs n'étaient pas armés. A ce jour, les différentes incursions aériennes et maritimes faites par l'armée chinoise dans l'espace aérien des Senkaku ont été traitées par les seules forces d'autodéfense japonaises. Mais il est évident que les militaires chinois n'oseront jamais prendre autant de risques envers des Américains qu'envers des Japonais.

Cette ZAI ne risque-t-elle pas de provoquer une escalade des tensions dans la région ou même un casus belli ? La situation est-elle explosive ?

Les tensions sont déjà la réalité depuis des années. Le concept stratégique de "déni d'accès" que la Chine veut mettre en place dans un très large espace à l'Est de ses côtes a pour corollaire une présence militaire de plus en plus fréquente, tant en mer que dans les airs loin des côtes. Les trois pays directement concernés (Etats-Unis, Japon et Corée du Sud) n'ayant pas l'intention de laisser à Pékin l'usage exclusif de cette zone, il est certain que les vols vont se poursuivre et que les risques d'incidents vont se multiplier. On a vu, en 2001, un avion de chasse chinois mener une interception agressive contre un avion américain dans l'espace aérien national. Le pilote chinois, par manque de compétence, avait provoqué une collision (il en était mort) et le déroutement de l'avion américain sur une base aérienne chinoise de l'île de Hainan. Il s'en était suivi un incident diplomatique assez grave. Si des militaires américains devaient être tués dans une telle manœuvre, il est probable que la crise serait beaucoup plus grave. Le risque d'une telle collision est d'autant plus réel que la technicité et l'expérience opérationnelle des acteurs de la défense aérienne chinoise demeurent limitées.

Une telle situation n'est pas nouvelle. Pendant toute la Guerre Froide des bombardiers soviétiques ont régulièrement pénétré dans les zones de défense aérienne des pays occidentaux et du Japon. Ils ont tout aussi régulièrement été interceptés. Ces vols ont repris depuis 2007. Grâce au professionnalisme des acteurs des deux camps, le nombre d'incidents a été infime.

La visite du vice-président américain, Joe Biden, prévue pour le 1er décembre dans la région (Pékin, Tokyo, Séoul), peut-elle aboutir à une solution ? Washington va-t-il ouvertement du côté de Tokyo ?

Il est difficile d'imaginer une solution qui serait une reculade qu'aucun des protagonistes ne peut se permettre. Par ailleurs, Tokyo et Séoul sont et demeurent des alliés de Washington et le "pivot" décidé par Obama ne peut qu'amener à une implication sans faille à leurs côtés. Il existe des canaux de communication permanents entre la Chine et les États-Unis, et il est certain que Biden appellera à une grande retenue de la part des aviateurs chinois.

En dehors de la promotion diplomatique comme moyen de résolution des crises, les États-Unis ont-ils des intérêts concrets en mer de Chine orientale qui justifieraient de prendre la parole sur cette affaire ?

Les États-Unis ont des forces positionnées autour de la mer de Chine orientale dans le cadre de leur alliance avec le Japon et la Corée du Sud. Il est normal que ces forces soient présentes et s'entraînent dans l'espace aérien international, d'autant plus que le traité de sécurité entre le Japon et les États-Unis prévoit que ces derniers apporteront leur assistance au premier en cas d'attaque par un pays tiers.

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