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Ce que propose l'Europe à ses partenaires de l'Est est-il suffisant ?
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Du nouveau à l'Est

L'Union européenne rencontrait les 27 et 28 novembre six de ses partenaires de l'Est que sont l'Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, sur fond de guerre d'influence avec la Russie.

Jean Sylvestre  Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université de Paris VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Il est notamment l'auteur de La Russie menace-t-elle l'Occident ? (éditions Choiseul, 2009).

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Atlantico : Du 27 au 28 novembre se tenait à Vilnius le sommet du Partenariat oriental. Six pays, partenaires économiques de l’Union européenne, y participaient : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Quels intérêts ces pays poursuivent-ils à l’occasion de ce congrès ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Les intérêts en question doivent être considérés de manière large et dans la durée. Outre l’accès au marché européen, il s’agit pour ces pays de consolider et renforcer leur souveraineté d’une part, d’entrer dans un cadre qui facilite les réformes structurelles (État de Droit, autonomie de la société civile et économie de marché) d’autre part. La vision d’ensemble et le projet dépassent largement la somme des intérêts immédiatement tangibles.

Précisons que les situations sont contrastées d’un pays à l’autre. La Géorgie, par exemple, a fait d’importantes réformes et le système politique, nonobstant des mœurs encore empreintes de paternalisme, est ouvert. C’est vrai aussi de l’Ukraine où la vie politique et la société civile sont dynamiques. A l’inverse, la Biélorussie est considérée comme la dernière dictature d’Europe. Le Partenariat oriental vient coiffer et donner une cohérence d’ensemble à des politiques différenciées selon les pays.

L’Ukraine, qui était censée signer un accord d’association avec l’UE à l’occasion du sommet, s’est rétractée au motif qu’elle cherchait à promouvoir ses relations économiques avec la Russie. Est-ce à dire que l’Europe manque d’arguments vendeurs pour renforcer ses relations avec ces pays ? Pourquoi ?

Très concrètement, la Russie a exercé de fortes pressions, assorties de menaces précises et déjà mises en œuvre sur le plan commercial. La "promotion des ressources économiques" mise en avant par le gouvernement ukrainien est plutôt le sauvetage des exportations ukrainiennes en direction de la Russie (38 % du total). Une nouvelle "guerre du gaz" n’était pas à exclure et, par ailleurs, on sait les dirigeants russes prêts à jouer sur les lignes de partage internes de l’Ukraine, c’est-à-dire à manipuler les revendications indépendantistes dans les régions les plus peuplées de russophones.

Un Commonwealth paneuropéen d’États comme l’UE n’use pas "d’arguments vendeurs" pour passer des accords d’association. Les enjeux dépassent la sphère marchande et les pratiques diplomatiques ne sont pas celles du private business. Ce sont  les pays en question qui demandent des accords d’association (voire plus) et la décision ukrainienne est celle du gouvernement, dans un contexte précis, pas celle des Ukrainiens dans leur ensemble. En revanche, il est vrai que - depuis l’échec du projet de Constitution européenne, la crise de l’euro ensuite -, l’UE a perdu en dynamisme. Pourtant, les défis, risques et menaces dans l’hinterland continental de l’UE sont là. Lorsqu’un individu est las, il peut mettre la politique entre parenthèses et se ménager une voie de retraite ; il n’en va pas de même pour une collectivité politique.

Il revient donc aux élites dirigeantes d’expliquer l’importance des enjeux, le Partenariat oriental constituant une sorte de politique étrangère commune de l’UE et de ses États membres dans leur hinterland. Nos formes et pratiques politiques sont fondées sur une dialectique entre le Prince et le Peuple : la politique étrangère aussi est notre pain quotidien.

La Russie, en cherchant à renforcer sa zone d’influence traditionnelle héritée de la période soviétique, offre-t-elle des opportunités plus intéressantes à ces pays ? Si oui, quelles sont-elles ?

L’influence est un état de fait et se fonde sur un modèle de puissance, irréductible à ses aspects coercitifs. Ce que le pouvoir russe vise, c’est l’institutionnalisation et la reconnaissance sur un plan international d’une sphère d’influence. Ce n’est pas tout à fait comparable : une sphère est close. Quant à qualifier de traditionnel un système de domination fondé sur la répression massive, les déportations et le totalitarisme, c’est éminemment discutable. Exit les meurtres de masse de Lénine, Trotsky et Staline ? De simples "copeaux" sur le grand chantier de l’Histoire ? Sur ces questions, le travail de mémoire fait décidément défaut.

Les pratiques russes dans l’aire post-soviétique reposent sur le "transimpérialisme", c’est-à-dire un mixte de solidarités mécaniques entre régimes autoritaires-patrimoniaux et d’arrangements entre apparatchiks ou oligarques, ce qui n’exclut pas de rudes luttes pour le contrôle des rentes et des richesses. Dans ce type de système, les gens au pouvoir n’ont fondamentalement pas intérêt à l’ouverture et à la concurrence dont les développements pourraient remettre en cause leurs positions. Ils s’efforcent donc de conduire des politiques d’ouverture sélectives, pour s’enrichir, tout en verrouillant le système de pouvoir. La "formule" est la suivante : autoritarisme patrimonial et mondialisation asymétrique.

Comment l'UE pourrait-elle renforcer ses relations avec ces partenaires ? De tels liens impliquent-ils nécessairement de les "soustraire" à l'influence de la Russie, et donc de mécontenter cette dernière ?

La politique de la "porte ouverte" doit être maintenue, mais dans le cadre d’un ensemble à géométrie variable ; l’un des enjeux principaux du Partenariat oriental est de concevoir et conduire une forme de politique étrangère, sur les frontières orientales de l’UE,  non pas une stratégie de pré-adhésion. Romano Prodi avait bien résumé l’idée directrice : "Tout sauf les institutions". Plus tard, certains élargissements effectifs pourraient être décidés mais les conditions ne sont pas rassemblées, de part et d’autre. La "capacité d’absorption" de l’UE doit être prise en compte et les critères, quant à l’État de Droit notamment, doivent être respectés.

L’UE et ses États membres n’ont pas pour objectif de prendre le contrôle de ces pays, en lieu et place de la Russie, mais de promouvoir un "voisinage commun" dans lequel l’UE, les pays concernés et la Russie travailleraient ensemble, pour apporter des solutions aux conflits dits gelés (Moldavie, Géorgie, Arménie-Azerbaïdjan autour du Haut-Karabakh). Les dirigeants russes le veulent-ils, alors même que ces conflits permettent de conserver des prises sur lesdits pays ? Rappelons que l’armée russe occupe plus de 20 % du territoire géorgien (Abkhazie et Ossétie du Sud). Les pays de l’Est européen et du Sud-Caucase ne doivent pas être considérés comme des sujets politiquement mineurs : l’UE est fondée sur le respect des souverainetés et elle travaille dans le sens du pluralisme géopolitique.

Enfin, il faut cesser les variations sur le thème des "hommes-causes" (les Occidentaux), coupables de tout et du contraire, et des "hommes-effets", ces derniers ne faisant que subir ou réagir aux initiatives des premiers. Ce discours victimaire, de facture tiers-mondiste, est indigne d’un grand pays. On ne fonde pas une grande politique sur le revanchisme et les ressentiments.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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