Les partisans de la pénalisation de la prostitution se trompent en pensant que c'est le bon moyen de lutter contre le trafic d'êtres humains : la preuve par l'expérience <!-- --> | Atlantico.fr
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Une prostituée manifestant à Budapest pour le droit d'exercer librement son métier.
Une prostituée manifestant à Budapest pour le droit d'exercer librement son métier.
©Reuters

Fausse bonne idée

Pénaliser le client pour le décourager et faire disparaître la prostitution ? Imparable sur le papier, la solution débattue actuellement à l'Assemblée nationale aurait des conséquences beaucoup plus néfastes si elle était appliquée sur le terrain, comme c'est le cas en Suède.

Françoise  Gil

Françoise Gil

Françoise Gil est sociologue. Elle travaille sur les questions de sexualité, et notamment de prostitution, depuis plusieurs années. Son dernier livre Prostitution : fantasmes et réalités est paru en 2012 aux éditions Esf.

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Atlantico : Le débat sur la pénalisation du client de prostitué(e)s est relancé. Mais face à une prostitution qui prend aujourd'hui des formes multiples, peut-on être certain que cette option est la plus efficace pour lutter contre le trafic d'êtres humains ? Quels sont les résultats concrets, mais aussi les limites d'un tel choix ? 

Françoise Gil : C’est une option qui n’arrangera strictement rien, qui n’aidera aucune femme prise dans ces réseaux, qui les mettra même à mal, de même que les personnes libres qui se prostituent volontairement. C’est une posture uniquement idéologique, qui vient du Mouvement du Nid et de plusieurs groupes féministes au sein du PS qui ne tiennent absolument pas compte des réalités du terrain. C’est donc une bêtise monumentale et on se trompe d’ennemi : ce n’est pas le client qu’il faut viser, ce sont les réseaux. Il faut donner beaucoup plus de moyens aux policiers pour traquer ces derniers et démanteler encore plus de réseaux.    

Les défenseurs de cette mesure montrent souvent l’exemple suédois. Nous sommes en liaison avec une association de Stockholm, Rose Alliance, qui nous décrit sur place une situation catastrophique, qui donne exactement les mêmes résultats qu’en France lorsque l'on a réprimé le racolage en 2003 : les femmes vivent dans un stress énorme, sont plus vulnérables, plus dans la clandestinité, moins accessibles aux services de santé. On sait que c’est ce qui va se passer là si cette loi est votée.

La pénalisation du client, rendant pour ce dernier l'accès aux prostitué(e)s plus dangereux va donc contribuer à une opacité encore plus grande de la prostitution ? Si les prostitué(e)s sont moins visibles, ce sera un risque supplémentaire pour elles ?

On a déjà vu en France depuis 2003 des proxénètes qui ont proposé à des femmes de les payer pour pouvoir travailler dans les bois. Des jeunes femmes, déjà très vulnérables, qui sont parfois dans des réseaux, se sont retrouvées dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye par exemple, et mettent un petit sac plastique au bord de la route pour signaler leur présence, et sont dans cette situation à la merci de n’importe quel agresseur.

Pourquoi la pénalisation du client a-t-elle aujourd'hui le vent en poupe parmi les décideurs politiques ? Est-ce par pragmatisme ou pour renvoyer politiquement une image de fermeté éloignée des besoins du terrain ?

Il y a au gouvernement un lobby féministe – du moins de certaines féministes – qui imposent une approche radicale, on dirait presque qu’elles en veulent aux hommes, alors qu’il y a de tout chez les clients, y compris des hommes respectables et respectueux. En fréquentant les parlementaires, j’ai vu l’action du Mouvement du Nid et son discours, très reconnaissable : ce sont les seuls qui parlent de "système prostitutionnel", de "clients prostitueurs"… Beaucoup de parlementaires reprennent ces termes, preuve que ce lobby est puissant et qu’il a réussi à convaincre des députés qui ne connaissaient pas la question. C’est un lobby qui n’accepte pas d’entendre qu’il existe une pratique libre de la prostitution, ou qui estime que cette dernière étant minoritaire, elle doit se sacrifier "pour le bien de tous". De quel droit peut-on demander à un groupe social de se sacrifier ?

Quels peuvent être les autres moyens, plus efficaces, de lutter contre la prostitution de réseaux ? 

Il faut donner plus de moyens à l’OCRTEH – l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains – où ils ne sont que trente policiers pour toute la France, ce qui est ridicule face à l’ampleur des défis. Il faudrait aussi que les États s’entendent au niveau européen pour lutter contre les réseaux et éviter la mobilité constante dans les pays d’Europe de ces filles qui changent régulièrement de lieu de prostitution, en étant déplacées comme des objets. En tout cas, Manuel Valls ayant annoncé une augmentation des moyens alloués à l’OCRTEH, espérons que cela se fasse et que l’on s’en prenne réellement aux réseaux. 

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