Ce que les Français pensaient de la pilule quand elle a été autorisée <!-- --> | Atlantico.fr
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Le changement de législation sur la contraception est venu confirmer un état de mœurs.
Le changement de législation sur la contraception est venu confirmer un état de mœurs.
©Flickr/Gnarls Monkey

Note d'analyse

A la suite de la mort du député à l'origine de la loi sur la contraception Lucien Neuwirth, l’Ifop revient en exclusivité pour atlantico sur l’état de l’opinion en 1966 et 1967 concernant la pilule contraceptive.

 Ifop

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L'Ifop est un institut de sondages d'opinion et d'études marketing.

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A la suite de la mort de Lucien Neuwirth, l’Ifop revient dans ce nouveau numéro de la série Ifop Collectors sur l’état de l’opinion en 1966 et 1967 concernant la pilule contraceptive. Déposé le 18 mai 1966 par Lucien Neuwirth, le projet de loi sur la mise en vente libre de la pilule contraceptive féminine fut promulgué le 28 décembre 1967. Durant toute cette période, le débat fut extrêmement animé sur cette grande réforme de société. Si de nombreuses voix s’opposèrent à ce texte, les enquêtes de l’Ifop que nous republions aujourd’hui montrent qu’à l’époque un large consensus existait dans l’opinion et que la société était mûre pour ce changement. Face à cette avancée majeure, de fortes réticences existaient cependant et une large majorité était favorable à un accord marital ou parental préalable pour la prise de la pilule par les femmes mariées et les mineures de 18 à 21 ans.

  1. 1.         1966 : Prévention des naissances et utilisation de la "pilule".

Une loi du 31 juillet 1920, promulguée au lendemain de la première guerre mondiale, interdisait et punissait, dans ses articles 3 et 4, non seulement l'avortement mais toute propagande anticonceptionnelle, et elle n'a été modifiée par le Parlement qu'en 1967, après des débats publics qui duraient depuis quelques années.

Jusqu'à une date toute récente, la vente de produits contraceptifs oraux, appelés communément "pilules anticonceptionnelles", ou plus simplement encore "pilules", était donc en principe interdite en France.

Le changement de législation est venu confirmer un état de mœurs. En effet, le public s'opposait à des mesures restrictives, et, en fait, un nombre important de femmes déclaraient qu'elles prendraient de telles "pilules", si elles étaient en vente. Tel était le cas de la moitié des femmes en âge de procréation, interrogées par l’Ifop en mai 1966.

Au même moment d'ailleurs, des proportions non négligeables d'hommes, d'autant plus élevées qu'il s'agit d'hommes plus jeunes, formulaient des déclarations analogues, pour le cas où de telles "pilules" seraient mises au point et en vente à l'usage des hommes.

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Les déclarations d'intentions favorables à l'utilisation de la pilule, tant de la part des hommes que des femmes, étaient d'autant plus fréquentes que le milieu socio-économique et socio-culturel des personnes interrogées était plus élevé. En outre, les cultivateurs se montraient les plus réticents. Sur le plan des préférences idéologiques, les partis de gauche, communistes surtout, étaient les plus favorables.

Inversement, et selon les convictions religieuses, les catholiques pratiquants manifestaient le plus de réserves, mais, même parmi eux, un tiers ne se déclarait pas hostile. La majorité de ceux qui se déclaraient sans religion, se prononçaient en sens inverse.

A la même époque, en juin 1966, les personnes interrogées par l’I.N.E.D, estimaient en très forte majorité, à quatre contre un, que beaucoup de femmes utiliseraient ces pilules si elles étaient à leur disposition.

En outre, des recherches conduites dans des maternités dès 1960-1962 révélaient que les accouchées interrogées auraient pris des pilules dans la proportion d'un tiers pour éviter la présente naissance, environ la moitié se déclare prête à en prendre à l'avenir pour éviter une nouvelle grossesse.

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Divers arguments, couramment avancés en faveur de la pilule anticonceptionnelle pour les femmes, reçoivent en fait une large approbation du public. Elle permet d'éviter des grossesses trop nombreuses, 80%, d'adopter le nombre des enfants aux ressources du foyer ou à la taille du logement, 74%. Elle permet aux jeunes ménages de profiter de la vie en retardant la naissance du premier enfant, 61%. La moitié estime encore, 51% contre 23%, qu'elle permet un meilleur épanouissement des relations conjugales, et même 43% contre 32% conviennent qu’elle permet une véritable émancipation de la femme.

Sur un autre plan, le public ratifie un argument souvent invoqué par les propagandistes de la prévention des naissances : l'utilisation de la pilule fera baisser le nombre des avortements, 72% contre 11%.

Mais une certaine inquiétude demeure dans la conscience à l'égard de la pilule. Elle n'a pas que des vertus, et 78% estiment que ses effets sur l'organisme sont encore mal connus. Sur le plan de la morale, 57% contre 26% considèrent qu'elle est contre nature, ou bien qu'elle risque d'entraîner une trop grande liberté sexuelle, 52% contre 30%. La moitié fait encore état en 1966 de l'interdiction religieuse, 50% contre 12%. La tendance dominante ne croit pas d'autre part qu'elle risque de détruire le sentiment de l'amour, 45% contre 28%.

Enfin, 29% craignent qu'elle entraîne une diminution du nombre des naissances dangereuses pour la France, contre la majorité, 54% qui n'ont pas cette crainte.

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Arguments pour et arguments contre la pilule varient d'intensité dans les divers milieux sociaux, dans le même sens que son utilisation serait plus ou moins répandue.

Nous ne donnons dans le tableau suivant que les variations relatives aux conséquences supputées sur le nombre des avortements et le nombre des naissances.

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Peu de différences selon le sexe, mais les femmes attendent un peu plus souvent que les hommes une réduction du nombre des avortements. Quant à l'âge, les vieux escomptent moins cette réduction, mais redoutent davantage une baisse de la natalité.

Plus s'élève le milieu socio-économique et socio-culturel, plus on attend des avantages, baisse des avortements, et moins on redoute une diminution de la natalité. Sur ces deux points, les plus fortes oppositions se rencontrent entre communistes, d'une part, et catholiques pratiquants d'autre part, les premiers attendant des conséquences favorables (avortements) et les seconds des conséquences plutôt défavorables (natalité). Les résultats enregistrés par l'I.N.E.D. en juin 1966, comme en décembre 1967, confirment les tendances observées par l’Ifop.

83% et 80% respectivement pensent que si toutes facilités sont données aux femmes pour connaître et se procurer les moyens à employer pour éviter une grossesse, cela fera diminuer le nombre des avortements, la majorité pensant d’ailleurs à une forte diminution.

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Quant aux conséquences sur le nombre des naissances, la question n’est pas formulée de la même manière par les deux instituts, et l'on s'attend également, dans les mêmes conditions, à une diminution de la natalité, la tendance légèrement dominante pensant plutôt à un faible qu'à une forte diminution.

L’éducation sexuelle

L'idée d'introduire dans les écoles des cours d'éducation sexuelle a également cheminé dans l'esprit du public, et en 1966 comme en 1967, les deux tiers environ seraient favorables à cette innovation.

Les résultats trouvés à l’Ifop et à l’I.N.E.D. sont convergents.

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Les variations selon le milieu sont à ce sujet de même sens qu'à propos de l'utilisation de la pilule ou de ses conséquences favorables ou fâcheuses, comme le montre le tableau suivant :

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S'il est vrai qu'on approuverait l'introduction de cours d'éducation sexuelle dans les écoles, on n'en estime pas moins qu'il reviendrait aux parents de donner cette éducation aux enfants, plutôt qu'à des professeurs spécialisés à l'école.

Il subsiste donc peut-être, à l'égard de cette innovation, des réticences qu’une exploration approfondie des attitudes pourrait mettre en lumière.

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La natalité et la croissance de la population

Il est possible de se demander si l'accueil favorable fait aux nouvelles méthodes contraceptives par le public français ne recouvre pas, par-delà tous les motifs individuels, une crainte plus ou moins avouée en face d'une natalité trop élevée, et de la croissance de la population. En tous cas, l'idée que la prospérité de la France serait plus grande dans l'avenir si la natalité augmentait est repoussée à trois contre un. La minorité qui en convient au contraire se recrute davantage parmi les cadres supérieurs et membres des professions libérales, 37%, comme d’une manière générale parmi les personnes qui ont accompli des études supérieures, 41%.

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  1. Au reste, parmi diverses supputations sur les conditions de la vie en l'an 2000, les Français estiment qu'on pourra alors décider exactement du nombre d'enfants que l'on voudra avoir. Ils pensent en même temps que les familles auront moins d'enfants qu'aujourd'hui[1].

  2. (Cliquez sur le tableau pour l'agrandir)
  3. 2.         La vente de pilules anticonceptionnelles en 1967.

D'après l’étude présentée précédemment, une partie importante du public féminin serait disposée à acheter des pilules anticonceptionnelles si celles-ci étaient en vente libre. Des réticences se font encore nettement jour dans la conscience collective à l'égard d'une large diffusion des pilules. Ainsi, la moitié du public contre 37% désapprouverait que l'achat puisse se faire par des femmes mineures ; six personnes sur dix seraient d'avis que les jeunes mariées aient besoin pour acheter de telles pilules, de l'autorisation de leur mari, et 74% que les mineures non mariées aient besoin de l'autorisation des parents.

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Les hommes sont plus libéraux que les femmes en ce qui concerne l'âge minimum des acheteuses. Plus on est jeune, plus on a tendance à être favorable à l'abaissement de l'âge des acheteuses. Les cadres supérieurs et membres des professions libérales sont les seuls à approuver en majorité l'abaissement à 18 ans de l'âge minimal des acheteuses. Selon les tendances politiques, on observe un net clivage entre les électeurs de gauche (P.C. et F.G.D.S.), au sein desquels une légère majorité approuve l'âge de 18 ans, et les électeurs de I'U.D.-Ve ou du Centre démocrate, chez lesquels une légère majorité désapprouve cette mesure.

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Sur ces deux derniers points, les attitudes des deux sexes sont très semblables.



[1]Ces résultats sont tirés d’une enquête conduite par l’Ifop à la demande de la Délégation à l’aménagement du territoire et de la revue 2000 et publiés dans la revue 2000, avenir aménagement du territoire, décembre 1967.

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