Les risques que fait courir la loi de programmation militaire en prévoyant de confier au privé la surveillance des citoyens français<!-- --> | Atlantico.fr
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Craignant l'émergence d'un "Big Brother français", de nombreux acteurs du Net se mobilisent contre le projet.
Craignant l'émergence d'un "Big Brother français", de nombreux acteurs du Net se mobilisent contre le projet.
©Reuters

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Les députés achèvent mercredi 27 novembre de valider un volet déterminant de la programmation du projet de loi militaire, à savoir la mise en place d'un large réseau d'écoute centralisé. Qualifié de Big Brother français, le projet pose des questions déterminantes en termes de respect des libertés individuelles.

Michel Nesterenko

Michel Nesterenko

Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Spécialiste du cyberterrorisme et de la sécurité aérienne. Après une carrière passée dans plusieurs grandes entreprises du transport aérien, il devient consultant et expert dans le domaine des infrastructures et de la sécurité.

 

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Atlantico : L'Assemblée nationale achève mercredi 27 novembre son cycle de discussion sur un volet particulièrement sensible de la loi de programmation militaire, à savoir la centralisation du système d'écoutes de la police et des services de renseignements. Craignant l'émergence d'un "Big Brother français", de nombreux acteurs du Net se mobilisent contre le projet. Peut-on dire que cette loi débouchera à terme sur une surveillance élargie et peu justifiable des citoyens Français ?

Michel Nesterenko : Si le législateur français, comme le législateur américain avant lui, efface le mur de séparation entre l'enquête judiciaire d'une part et le renseignement d'autre part la France, comme les USA, va se trouver inéluctablement et logiquement face à une dérive à la "Big Brother" et tous les abus que cela comporte. Il est certain que la police doit posséder les technologies les plus performantes et encore plus évident que le renseignement militaire doivent posséder ce qui se fait de mieux. Mais la démocratie ne peut pas s'affranchir des protections constitutionnelles pour chacun de ses citoyens, présumés innocents. La France a su protéger ses citoyens efficacement jusqu'à aujourd'hui, pourquoi faut-il maintenant imposer une approche américano-stalinienne ?

Le gouvernement se défend en affirmant qu'il nommera une "personnalité qualifiée" auprès du Premier ministre pour valider les demandes d'écoutes des différents ministères. Cette garantie vous semble-t-elle crédible ?

Il s'agit là d'une promesse de dupes. La "personnalité qualifiée" sera piégée par la logique même du système, comme aux USA, et sera inéluctablement au centre des scandales à venir. Il faudra une équipe très importante pour vérifier les dires complexes et secrets, donc encore plus de fonctionnaires à une époque de restrictions budgétaires. Ou bien alors, il n'est pas prévu de fournir plus que le tampon d'approbation automatique des dossiers, donc une duperie. L'exemple du "Tribunal qualifié" américain, la FISA, chargé de contrôler les demandes de la NSA a prouvé qu'il était totalement illusoire d'imaginer éviter les abus, logiques et naturels, d'une agence fonctionnant dans le secret, à l'insu de tout le monde, et hors-la-loi, sauf à y mettre des moyens colossaux en hommes et en matériel, pour espionner la dite agence. Les témoignages multiples et diverses ont démontré que la NSA a menti constamment au "Tribunal Qualifié", aux tribunaux, aux juges, au Congrès qui votait son budget, bref à tout le monde, y compris le président qui n'était pas informé.

Derrière cet aspect théorique vient l'aspect pratique. Sachant que la facture des écoutes a explosé ces dernières années, peut-on dire que le gouvernement dispose réellement des moyens nécessaires à la surveillance d'une grande partie de la population ? Jusqu’où pourrait-il aller concrètement ?

La France surtout en pleine crise ne dispose pas des moyens financiers pour collecter et stocker, sur le moyen terme, des données audio à l'échelle nationale. Le budget actuel semble suffire amplement pour les écoutes des criminels en France. Il faudra faire des choix et ce seront forcément les opposants politiques ou les leaders syndicaux qui seront les premiers visés. Il n'y a pas de demi mesures possibles. L'efficacité est à ce prix.

Autre question préoccupante, la privatisation du projet par Thalès qui inquiète plusieurs officiers de police, ces derniers redoutant le développement de conflits d'intérêts ainsi qu'une perte de souveraineté quant à notre renseignement. Quels sont de fait les risques d'un tel contrôle du privé ?

La privatisation du projet est la plus grande menace possible. Cela signifie que nos "alliés" et les cibles de la France tant politiques que mafieuses ou terroristes pourront acquérir le logiciel et en identifier les capacités et vulnérabilités. Donc tout avantage stratégique militaire sera illusoire. Les mafias disposant de capitaux sans limites et du contrôle d'entreprises dans des pays "alliés" avec la France, pour l'achat du logiciel, pourront elles aussi se protéger aisément ou bien brouiller les fréquences à bon escient. La NSA, sans aucun doute, et encore elle, pourra véroler le logiciel tout à son avantage. 

Pour le risque, il s'agit moins d'un risque provenant des actionnaires étrangers que des clients. En effet, une société privée se doit de maximiser ses profits et d'amortir le coût du développement du logiciel sur une base de clientèle la plus large possible. Les gros clients peuvent obtenir le code source ou bien faire de l'ingénierie inversée et identifier toutes les capacités et les faiblesses. Connaissant les faiblesses et les failles du logiciel, il est alors aisé de neutraliser, de brouiller, ponctuellement le système ou de manipuler les données enregistrées en temps réel. La banque de données historique de la police judiciaire, a priori peut être protégée efficacement par un système de cryptage différent et couteux. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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