Sexe en banlieue : 14 ans après les tournantes de Fontenay-sous-Bois, état des lieux <!-- --> | Atlantico.fr
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"La verbalisation de la sexualité est de plus en plus violente dans les banlieues populaires françaises."
"La verbalisation de la sexualité est de plus en plus violente dans les banlieues populaires françaises."
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Horreurs et tabous

Près de quinze ans après les faits et un an après un verdict qui avait suscité une vive polémique, huit hommes poursuivis dans l'affaire des "tournantes" de Fontenay-sous-Bois vont comparaître en appel à partir de mardi devant les assises des mineurs de l'Essonne. Bien que marginal, le phénomène des tournantes traduit un malaise lié à la sexualité dans certains quartiers.

Marc Hatzfeld

Marc Hatzfeld

Marc Hatzfeld est sociologue et ethnologue. Il a également écrit "Petit traité de la banlieue" aux Editions Dunod (août 2004) et "Les lascars" aux Editions Autrement (janvier 2011). 

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Atlantico : Comment la sexualité se vit-elle aujourd'hui dans les banlieues ? Bien que cette affaire soit un cas exceptionnel et particulier, traduit-elle malgré tout un malaise lié à la sexualité dans certains quartiers ?

Marc Hatzfeld : Il y a plus qu’un malaise lié à la sexualité dans les banlieues populaires aujourd’hui. On peut tracer l’évolution de cette question sur plusieurs lignes.

La verbalisation de la sexualité est de plus en plus violente. Cela fait longtemps que les choses relatives au sexe sont objet de quolibets. C’est d’ailleurs une constante des milieux populaires en regard des pruderies bourgeoises. Mais il ne s’agit plus ici de grivoiseries. La violence du discours qui évoque la sexualité a pour objet d’une dérision arrogante les femmes et les homosexuels. Les injonctions de "niquer ta mère ou ta sœur" sont les formes banales d’un mépris des femmes qui s’affiche. Les injonctions à "aller se faire enculer" également. Les femmes, filles et homosexuels sont agressés dans des discours quotidiens passés à la normalité.

Quelles en sont les conséquences ? Peut-on parler de progression du sexisme ces dernières années ?

Il y a une dizaine d’année, on pouvait s’inquiéter de ce que la « réputation » des filles soit brandie comme une garantie de respectabilité familiale assez transversale entre cultures différentes. Aujourd’hui, il est presque admis, dans certains milieux populaires, que les grands frères et même les petits frères ont un droit de contrôle sur la liberté d’aller et venir des jeunes filles. Sans parler de se vêtir et de rencontrer qui elles veulent.

Les pratiques et idées sexuelles des jeunes sont d’une grande naïveté voire d’une ignorance surprenante. L’éducation sexuelle des enfants est l’objet de délires porno dont ils retiennent souvent que le sexe et l’amour n’ont guère de rapport. Les adolescents n’ont que peu d’occasions de se laisser aller aux romantismes des bonheurs amoureux neufs. Les filles les espèrent souvent. Les garçons ne les osent pas.

Les rapports homme/femmes y sont-ils plus violents qu'ailleurs dans la société ?

Lorsqu’on évoque la violence dans les banlieues, il est important de rappeler que la vie y est violente. Depuis les traversées migratoires à danger de mort jusqu’à la lutte pour survivre dans un contexte de 50 à 80 % de chômage pour certains quartiers et en passant par la violence du racisme politique convenu, l’existence est violente.

La question de la sexualité reste-t-elle particulièrement taboue dans certaines familles ? Cela peut-il être lié à des facteurs socioculturels ou religieux  ? 

On peut toujours incriminer telle religion ou telle origine culturelle, c’est un argument qui demanderait l’examen serré de tous les fondamentalismes. Il est cependant vrai que le contrôle des femmes est devenu l’otage d’affirmations identitaires péremptoires et incultes. Mais la mise à l’écart des populations vivant en banlieue et l’ignorance béante de leurs façons d’être et de leurs ressources par la majorité des autorités de ce pays y est aussi pour beaucoup. Les responsables de cette affaire sont nombreux.

Il n’empêche que les situations sont très contrastées d’un site à l’autre, que beaucoup d’associations tentent et parviennent localement à renverser cette tendance, que nulle part ailleurs qu’en France les unions interculturelles sont aussi nombreuses et que dès qu’elles se sentent soutenues, des filles résistent. Beaucoup de femmes font front. Ces constats enfin n’exonèrent pas les milieux aisés de leurs turpitudes avérées dans ce domaine au sein de la famille, des entreprises et des partis politiques.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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