La directive Bolkestein dans les faits : la réalité du dumping social en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y aurait en France entre 220 000 et 300 000 travailleurs low-cost détachés ne respectant pas la législation sociale française et/ou n’étant pas déclarés."
Il y aurait en France entre 220 000 et 300 000 travailleurs low-cost détachés ne respectant pas la législation sociale française et/ou n’étant pas déclarés."
©Reuters

Désintox

Après les polémiques de 2005, la directive Bolkestein a quasiment été vidée de son contenu et n'a en fait pas changé les règles en vigueur depuis 1996. Pour autant, le dumping social est bel et bien une réalité européenne.

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : 40 000 patrons de la fédération française du bâtiment ont signé une pétition pour appeler à lutter contre la concurrence déloyale du "plombier polonais". Nombreux sont ceux à montrer du doigt la directive Bolkestein, d'autres mettent en cause une directive de 1996 sur le travail détaché. Qu'en est-il réellement ? Quel bilan faut-il tirer de ces deux directives en matière de dumping social ?

Jean-Charles Simon : La conjoncture économique difficile est propice à ces crispations et aux réflexes protectionnistes. Mais il n’y a en fait aucune nouveauté dans le paysage réglementaire depuis l’entrée en vigueur de la directive Services (Bolkestein, ndlr), qui devait être transposée avant la fin 2009 dans toute l’Union européenne. Et qui, largement vidée de son contenu après les polémiques de 2005, n’a pas beaucoup changé les règles préexistantes. En théorie, avec la mise en échec du principe du pays d’origine que prévoyait initialement la directive Bolkestein, le cadre juridique de référence est principalement celui du pays d’exercice de la prestation. Mais en même temps, la libre prestation de services et le détachement permettent des contournements et des dérogations (directive de 1996). Et le nombre des détachés a sensiblement augmenté en France au cours des dernières années, mais aussi depuis la France, ce qu’on évoque moins souvent. Il ne s’agit pas que d’optimisation : c’est aussi le reflet d’une plus grande interconnexion des économies européennes. Il faudrait mieux s’en réjouir plutôt que de vouloir la freiner.

Peut-on réellement parler de concurrence déloyale alors que cette directive de 1996 prévoit qu'un salarié détaché soit payé selon les minimas du pays d'accueil, seul le régime social du pays d'origine continuant de s'appliquer ?

Les limites à la concurrence entre pays de l’Union européenne restent très fortes dès lors que des mouvements transfrontaliers de main-d’œuvre sont impliqués dans l’activité concernée. Ce qui est bien sûr le cas dans le bâtiment et beaucoup d’autres secteurs pour lesquels les prestations ne peuvent s’exercer à distance, au moins pour l’essentiel. Ainsi, pour le droit du travail, non seulement le cadre légal national du lieu où l’activité est réalisée est opposable, mais celui des conventions collectives également. Et en France, ce n’est pas rien ! En fait, la France se retrouve confrontée dans ce dossier à ses rigidités et lourdeurs, notamment du fait d’un système de charges sociales patronales qui n’a pas d’équivalent hors de nos frontières. Ce qui conduit aux tentatives de contournement et aux abus de toute nature. Encore plus quand il s’agit de secteurs marqués par un corporatisme exacerbé. Il n’y a qu’à voir la pétition que vous évoquez, qui commence par une demande d’information et de contrôle par les caisses de congés payés du bâtiment ! C’est-à-dire le symbole d’un corporatisme dénoncé régulièrement, y compris par des sociétés purement françaises du secteur…

Une étude de la  direction générale du travail qui estime qu’en plus des quelques 144 000 travailleurs détachés dûment déclarés en France, il y aurait entre 220 000 et 300 000 travailleurs low-cost détachés ne respectant pas la législation sociale française et/ou n’étant pas déclarés. Le travail au noir n'est-il pas le meilleur allié du dumping social ?

Comme les cas de recours au détachement jugés litigieux, le travail au noir est d’abord le symptôme de conditions d’emploi contraignantes et coûteuses en France. Si les employeurs et clients n’y trouvaient pas un gain important, ils ne chercheraient pas à contourner les réglementations en place avec les risques que cela comporte. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas de règles, et encore moins que celles-ci peuvent être légitimement bafouées. Mais il est tout de même nécessaire de s’interroger sur l’adéquation de toutes les dispositions en vigueur à "l’intérêt général". Une notion d’ailleurs très importante pour la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) lorsqu’elle examine des limitations effectives à la libre prestation de services au sein de l’Union européenne. A force d’élever des barrières à l’entrée dans de nombreuses activités, on entretient surtout les rentes des acteurs existants, au détriment des nouveaux entrepreneurs potentiels et des consommateurs. Les salariés des secteurs concernés bénéficient-ils de ces règles ? Non, le plus souvent, car en freinant la concurrence, elles empêchent l’émergence de nouveaux employeurs et donc la multiplication d’opportunités qui favoriseraient le pouvoir de négociation des salariés concernés.Quand on pense, par exemple, qu’il va être imposé une complémentaire santé, y compris dans toutes les TPE, alors que la protection sociale obligatoire est déjà hypertrophiée en France, il ne faut pas s’étonner que l’économie parallèle prospère. Et pour le coup, dans les plus mauvaises conditions pour les salariés des activités touchées.

Comment lutter contre les pratiques de dumping social à l'échelle européenne ?

Faut-il vouloir lutter contre ? Il est tout de même paradoxal de déplorer, surtout depuis le début de la crise, la trop faible convergence des économies européennes, tout en combattant dans les faits celle-ci par tous les moyens. Observons d’ailleurs que les réactions ne sont pas les mêmes partout, et que par exemple le Royaume-Uni s’oppose aux velléités de la France et de l’Allemagne de durcir le cadre ou les modalités d’application des directives Services et Détachement. Par ailleurs, il est ici question des seuls services non délocalisables, toutes les autres activités – industrielles évidemment, mais aussi de services transfrontières – étant elles largement soumises à la concurrence extérieure. Tout se passe comme si, au lieu d’être obsédés par la compétitivité de secteurs très exposés qui concourent directement à notre balance des paiements, nous cherchions d’abord à ériger des lignes de défense au profit d’activités non délocalisables et souvent peu qualifiées. Qui, au passage, captent déjà un maximum d’aides, notamment avec les allégements bas salaires et maintenant le crédit d’impôt compétitivité emploi. C’est en fait tout le modèle social français qui est à repenser si nous ne voulons pas être en permanence sur la défensive.

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