Under control
Frankenstein... Pourquoi la "nouvelle droite contestataire" a plus de liens avec les états-majors de l’UMP que ce que croit Le Monde (mais le génie pourra-t-il être remis dans la lampe ?)
Le Monde publiait vendredi 22 novembre un article intitulé "Une nouvelle droite contestataire qui échappe aux états-majors". La Manif pour tous, les Pigeons, les Bonnets rouges, échappent-ils réellement à la droite ou sont-ils le fruit de la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy ?
Atlantico : Dans un article publié vendredi 22 novembre, Le Monde évoque la naissance d'"une droite contestataire qui échappe aux états-majors" . Les mouvements contestataires conservateurs type La Manif pour tous échappent-ils vraiment entièrement à la droite ou sont-ils au contraire le fruit de la droitisation de la campagne de Nicolas Sarkozy ?
La "Droite forte" qui porte des idées assez radicales est aujourd'hui le mouvement majoritaire au sein de l'UMP. La contestation a-t-elle commencé à l'UMP ?
Marika Mathieu : Tout comme l’ensemble des courants élus lors du dernier congrès de l’UMP, la "Droite forte" s’est faite bien plus discrète depuis qu’elle a intégré les structures dirigeantes du parti. C’est toute la subtilité des discours de Guillaume Peltier et Geoffroy Didier qui d’un côté animent leur réunion au nom du renouvellement et du combat contre les élites qui nous méprisent, et de l’autre travaillent à se faire une place durable au sein de ces mêmes élites. Regardez d’ailleurs comment le mouvement s’est finalement rangé derrière la candidature de NKM, à Paris, après l’avoir dénoncée dans la fièvre de l’opposition au mariage gay. Les deux trentenaires assument d’ailleurs parfaitement leur désir de normalisation autant que de subversion, sans y voir de contradiction.
La "Droite forte" est moins une contestation qu’un produit de l’UMP en déroute. Quand Geoffroy Didier estime que l'hebdomadaire Valeurs Actuelles qui se revendique faire l’écho de la "France des invisibles" en lutte contre l’Europe et la "France barbare" du multiculturalisme, de la gauche, des impôts et de l’islamisme en vrac, est sur le même créneau que la "Droite forte", c’est tout dire. Si Valeurs Actuelles est bien le journal de la "Droite forte", alors la "Droite forte" n’a rien à faire à l’UMP. Mais l’UMP de Jean-François Copé est-elle en mesure d’affirmer une limite au moment où la France visible ou invisible ne lui accorde que peu de crédit ? Il semble que non.
Plus que la naissance d'une droite radicale, ne s'agit-il pas finalement de la renaissance d'une droite qui s'assume proche du RPR des années 1980 ?
Christophe Bouillaud : Cette comparaison avec le RPR des années 1980 tient surtout par le rétablissement d'un dualisme au sein de la droite républicaine. Avec la création de l'Alternative (UDI-Modem), on peut se retrouver dans la configuration RPR-UDF de l'époque, avec d'ailleurs le rétablissement du même clivage eurotièdes d'une part contre euroenthousiastes d'autre part. Cela devrait bien se voir lors des Européennes de mai 2014. Cela tient aussi par le fait que, face à un pouvoir socialiste très impopulaire, l'UMP a tout intérêt à jouer le jeu de l'intransigeance la plus absolue, d'autant plus qu'il ne faut pas laisser le monopole de la radicalité au FN.Marika Mathieu : Il y a bien, en tout cas dans l’esprit d’un certain nombre de supporters et militants de cette droite, un sentiment de "retour aux sources" du RPR tel que pouvait le pratiquer un Charles Pasqua. C’est d’ailleurs assez fascinant de se rappeler qu’à l’occasion de leurs "états généraux de l’opposition" consacrés à l’immigration, en 1990, le RPR et l’UDF se réunissaient pour déclarer en chœur que "la France ne doit pas être considérée comme un simple espace géographique sur lequel plusieurs civilisations pourraient coexister" et prônaient alors l’immigration zéro.
Mais s’il y a désir de renaissance, donc de retour à la division partisane de la droite, encore faudrait-il que la droite forte ou populaire l’assume ! Ce n’est en rien la proposition de ces mouvements qui ont tendance à exalter un concept plus flou et longtemps usé par le FN, celui de la "vraie droite", sans renier l’UMP. C’est le règne de l’ambiguité au nom d’une ambition : aspirer les électeurs du FN. La structure idéologique de cette frange de l’UMP ne se construit pas sur les mêmes ressorts de pensée que le RPR. C’est beaucoup plus flou au niveau des concepts de nation, de frontières, d’Europe, de souverainisme ou de protectionnisme. Les leaders de la "Droite forte" acceptent plus ou moins une référence au séguinisme des années 1990 mais ne considèrent pas Chirac comme "un homme de droite" par exemple, et n’ont pas plus d’égards pour son positionnement dans les années 1980. Malgré l’intérêt que représente le travail de ces concepts pour un électorat en attente de réponses sur ce terrain, les leaders de la "Droite forte" semblent vouloir réduire le prisme de la "vraie droite" à la défense d’une identité culturelle indéfinie et à une litanie de propositions autour d’une laïcité mal comprise sur le plan légal ou constitutionnel.
Guillaume Bernard : La comparaison est tentante et permet effectivement de dégager des points communs. Le RPR a été créé pour contrer la domination du centre-droit sur la droite. Il a, ensuite, tenu un discours ferme afin d’apparaître comme la principale et la plus crédible des forces politiques face à l’exécutif socialiste. Cela dit, les circonstances politiques ont changé : le régime soviétique s’étant effondré, le libéralisme qui apparaissait comme la position la plus crédible face au collectivisme n’a plus le même sens : de manifestation de résistance au totalitarisme, il peut désormais apparaître comme destructeur. De même, les références politico-culturelles ont évolué : le RPR prétendait s’inscrire dans la lignée du gaullisme. Il n’est pas, ici, question de déterminer si cela constitua ou non une usurpation, mais il faut constater que le gaullisme est, désormais, plus inscrit dans l’histoire que dans l’actualité.
Nicolas Sarkozy a toujours cherché à élargir la base de l'électorat de droite. Ces différents mouvements contestataires sont-ils finalement une chance pour une droite qui prépare l'alternance ?
Marika Mathieu : Dans un sens oui puisque le ressort d’influence pour la "Droite forte", et plus profondément de la ligne de Patrick Buisson, est de considérer l’urgence pour la droite toute entière de s’approprier les termes de cette révolte sociétale et de ces paniques morales pour en faire l’ancrage de sa doctrine "populaire", autour du peuple dit "réel", périphérique et dit "oublié". Dans son programme pour le congrès, la "Droite forte" appelait déjà le renfort des "Pigeons". Ces manifestations semblent confirmer l’émergence d’un chaos nécessitant un changement de ligne politique. Mais le souci vient justement de cette manière de courir après les paniques sans être en mesure ni de les devancer, ni de le canaliser sur le terrain des réponses politiques. De manière de vouloir transformer "l’opposition" en "résistance". Contre le pouvoir ? Les élites ? La finance ? L’écotaxe ou la hausse de la TVA initiées par Nicolas Sarkozy ? C’est le manque de vision globale qui empêche la reprise cohérente de ces mouvements épars. La démarche de l’UMP comme la droite forte apparaît superficielle et plus en quête d’un "créneau" que d’un renouveau.
Malgré les mauvais sondages de l'exécutif, la droite ne s'impose pas pour l'instant comme une alternative crédible. Dans ces conditions, ces mouvements pourraient-ils néanmoins échapper totalement à la droite à l'avenir, notamment si le FN confirme sa percée ?
Christophe Bouillaud : On pourrait imaginer en effet que les électeurs radicalisés par leur participation à ces mouvements contestataires refusent de voter pour la droite dite républicaine, malgré les efforts que cette dernière ne manquera pas de faire pour les récupérer. En même temps, voter pour le FN ne va pas de soi : les agendas politiques peuvent ne pas coïncider totalement ; surtout, ces mouvements et leurs membres vont se retrouver dans la même situation de délégation qu'avec la droite républicaine. Le FN n'est pas sans être dominé, comme tous les autres partis, par ses dirigeants. Ceux-ci ne vont pas laisser entrer n'importe qui dans le parti. On remarquera d'ailleurs que pour préserver ses chances électorales de toucher le plus large public possible aux prochaines élections municipales, la direction actuelle du FN n'hésite pas à sanctionner ou à rappeler à l'ordre des aspirants élus trop radicaux dans leur expression. En effet, pour le FN comme pour l'UMP d'ailleurs, l'expression trop honnête des pensées réelles de certains de leurs militants constitue un risque électoral. Des personnes qui, sous prétexte de militantisme, exprimeraient par exemple leur haine des homosexuels, des étrangers, des fonctionnaires, des Roms, des noirs, des arabes, des féministes, etc. ne peuvent que plomber un parti politique qui aspire à avoir beaucoup d'électeurs. Bref, c'est un peu comme pour les "trolls" sur Internet : pour la plupart des gens, ces propos constituent des repoussoirs absolus. Comme on le dit parfois, ce qui est excessif est insignifiant. Autrement dit, les partis, y compris le FN, vont jouer leur rôle de filtre, de sélection des personnes éventuellement issus de ces mouvements radicaux, en ne retenant que ceux, capables et surtout désireux, de tenir des discours audibles par un public large.
Marika Mathieu : On en revient à se demander ce que sera la droite (ou la gauche) à l’avenir. Passé le débat sur le retour de Nicolas Sarkozy dont beaucoup se prennent sans doute à penser qu’il leur éviterait de se poser trop de questions, un mouvement de fond émerge dans le courant d’une crise qui dure et reste globalement impensée et inexpliquée par les partis politiques de gouvernement. L’UMP confrontée à la renaissance du centre est-elle de fait un échec ? Sauvera-t-elle sa peau en niant son corps moribond ?
L’exaltation formelle d’une "guerre" purement partisane, d’une "résistance" diffuse en guise d’opposition de fond, n’est en tout cas pas la réponse attendue sur le terrain sociétal. Comme dirait un vieux briscard de droite : "le problème, c’est qu’on ne bosse pas assez."
Guillaume Bernard : La droite ne tire pas profit des mauvais sondages de l’exécutif parce qu’elle fait une mauvaise analyse de la situation en se complaisant dans la segmentation du discours et la quête d’une addition d’électorats distincts au détriment d’un discours global sur l’intérêt national. Il est en effet tentant de mettre en exergue que chacun des actuels mouvements de contestation axe son discours sur des thèmes différents (fiscalité, mœurs) et que leurs revendications sont disparates. Il n’y aurait donc aucune homogénéité mais seulement une juxtaposition de contestations. Il est vrai qu’il n’existe pas (encore ?) d’unité organisationnelle à ces différents combats.
Mais il existe cependant un fond « doctrinal » commun (même s’il n’est pas explicitement formulé) : que cela se traduise par une dénonciation de la mondialisation ou du progressisme social, il y a une même demande de repères identitaires stables pour redevenir maître de son destin. Il s’agit, là, d’une droite qui est bien plus que « contestataire » et nullement réductible au « conservatisme » : la droite qui est en train de (re)naître et de se (re)constituer peu à peu, c’est une droite réactionnaire qui n’est, aujourd’hui, incarnée par aucun parti politique à lui seul puisqu’elle est présente, à divers degrés, dans plusieurs d’entre eux.
Propos recueillis par Alexandre Devecchio
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