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La réforme fiscale annonce-t-elle la fin du régime ?
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A la diète

L'annonce d'une réforme fiscale est imposée par la situation périlleuse des finances publiques. Le résultat du débat à venir pourrait mettre le feu aux poudres.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Beaucoup se sont réjouis de l’annonce inattendue faite par Jean-Marc Ayrault sur la réforme fiscale. Manifestement, cette (ré)jouissance quasi-orgasmique sous certaines plumes ou dans certaines bouches ne comportait aucune ironie, aucun second degré.

Il faut sur ce point lire la prose syndicale pour mesurer l’engouement des "corps intermédiaires" vis-à-vis d’une annonce qui a étonné et suscité le doute jusque dans les colonnes du journal Libération. C’est dire si la perte de crédit qui frappe le gouvernement est grande. Au passage, on pourrait bien se demander pour quelle raison les premières forces que Jean-Marc Ayrault rencontre pour lancer sa réforme au pas de charge sont les partenaires sociaux.

Peut-être le Premier ministre pourrait-il nous expliquer la légitimité de ces leaders auto-proclamés ou presque que sont les "partenaires sociaux" à discuter en premier de l’impôt, qui est l’affaire du peuple souverain ? Ce seul indice éveille la méfiance. L’impôt que je paie, c’est une affaire entre la République et moi ou les représentants que j’ai élus, et je ne vois pas en quoi l’avis du MEDEF, de la CGPME, de la CFDT ou de la CGT mérite d’être pris en compte dans cette affaire. Sauf erreur de ma part, bien entendu.

Pourtant, dans sa déclaration du 19 novembre, Jean-Marc Ayrault a bel et bien déclaré :

"Une remise à plat en toute transparence" : "Cette remise à plat va nécessiter un dialogue approfondi", précise le Premier ministre qui rencontrera les partenaires sociaux dans les prochains jours. Le Parlement sera également partie prenante de la réflexion. Seront évoqués : "la politique de l’emploi, les investissements, la formation professionnelle et le pouvoir d’achat." Avec pour horizon le budget 2015 : "au terme de la concertation, le gouvernement fera ses propositions au Parlement."

Je ne veux pas faire du mauvais esprit, mais cette phrase est soit un mauvais copier-coller d’un discours sur un autre sujet, soit une illustration supplémentaire de l’échouage de la baleine France. Car imaginer que l’on prépare une remise à plat fiscale "en toute transparence" en rencontrant les syndicats avant la représentation nationale, c’est quand même très très curieux.

En ces temps socialement troublés, l’intérêt de cette méthode surréaliste est d’amadouer les organisations syndicales qui se sont toutes fendues d’un communiqué particulièrement laudatif pour le gouvernement. Excusez-les du peu : voilà ces quidams consultés sur un sujet qui concerne la nation avant même les représentants de la nation, et alors qu’ils n’ont reçu aucun mandat de personne pour le faire, ça valait bien une confusion infinie en remerciements de toutes sortes. Cela faisait longtemps que Jean-Marc Ayrault n’avait pas rencontré des gens aussi aimables avec lui.

Au-delà de cette recherche un peu facile et un peu superficielle de la flatterie, on voit mal la stratégie qui s’esquisse.

Jean-Marc Ayrault et la réforme fiscale : une farce triste 

En réalité, il serait probablement trompeur d’imaginer que l’annonce sur la réforme fiscale corresponde à une quelconque envie de rendre effective cette réforme. Et il est tout aussi illusoire de croire que Jean-Marc Ayrault ait une quelconque vision de ce qu’il faut faire sur ce sujet pour rencontrer l’intérêt général.

Le journal Le Mondes’en amuse d’ailleurs: alors que les députées Berger et Rabault s’étaient fendues d’une note sur le sujet, le quotidien rappelle une anecdote amusante.

Le 22 octobre, Jean-Marc Ayrault lui-même était venu expliquer devant le groupe socialiste du Palais-Bourbon que l’amendement au budget de la sécurité sociale que souhaitaient déposer certains députés pour créer une CSG progressive, était une mauvaise idée.

Trouver une forme de logique dans la démarche ayraldienne relève donc de l’exploit.

Les persifleurs se rappelleront d’ailleurs que, en septembre, lorsque la presse a relaté la réaction épidermique des contribuables qui découvraient que, avec le gel du barème de l’impôt sur le revenu, ils devaient payer là où les années précédentes ils avaient été exonérés, le Premier ministre avait annoncé des mesures d’urgence. L’objectif était d’éviter l’assujettissement futur de ces victimes fiscales.

Evidemment, quand on considère le paiement de l’impôt sur le revenu comme une disgrâce, quand on soutient qu’il faut limiter au maximum le nombre d’assujettis, on mesure ce que peut vouloir dire la réforme de l’impôt : faire un tour de passe-passe pour donner le sentiment que l’impôt, ce sont toujours les autres qui les paient. Ce qui n’est guère conforme à l’objectif général de rendre l’impôt plus lisible.

Pour couronner le gâteau avec la cerise qui va bien, le Premier ministre a évidemment invoqué la "justice" comme principe garant de la réforme qui s’annonce. Si c’est pour les bonnes oeuvres, alors, respect… Mais enfin, le problème avec la justice, c’est qu’elle ressemble à la viande de mouton en Angleterre : on la mange à toutes les sauces, même les plus indigestes. Et l’on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’une réforme qui vise à diminuer le nombre d’assujettis ne va pas dans le sens de la justice.

Le premier problème fiscal français, c’est la doctrine de l’incitation 

Rappelons quand même que la principale difficulté dans la levée de l’impôt en France, ce sont les "niches", qui coûteraient, selon certains 80 milliards annuels au budget de l’Etat, soit l’équivalent du déficit. Et même peut-être plus. Qu’est-ce que la niche, sinon le résultat d’une doctrine appelée l’incitation fiscale ? Cette invention dont la France peut s’enorgueillir consiste à multiplier les exonérations fiscales pour faire plaisir aux citoyens. Sous prétexte, bien entendu, de rationalité économique.

C’est ainsi que la moitié seulement des Français paie l’impôt sur le revenu : le système incompréhensible de décote, d’abattement, de quotient, vise essentiellement à exonérer le plus grand nombre possible de Français d’une charge qui est jugée trop lourde. Résultat : l’impôt sur le revenu est concentré sur une part très faible de la population et s’apparente de plus en plus à un impôt sur la fortune. C’est un prélèvement qui ne touche qu’une élite…

La même logique vaut pour l’impôt sur les sociétés : seule une partie des sociétés le paie, à des taux exorbitants – concrètement, ceux qui n’ont pas les moyens de pratiquer l’exil fiscal.

Manifestement, l’intention du gouvernement ne consiste pas du tout à expliquer aux Français que l’on va rebattre la donne. L’intention consisterait plutôt à faire le contraire : à accroître la progressivité de l’impôt, c’est-à-dire à ponctionner encore plus les revenus à mesure qu’ils augmentent, en exonérant toujours plus les revenus à mesure qu’ils diminuent. Personnellement, ça ne m’angoisse pas, mais j’ai l’impression que le gouvernement, dans cette affaire encore une fois mal engagée, va connaître quelques difficultés.

Il faut dire que, après une quasi-dizaine de reculades sur des impôts nouveaux durant le débat budgétaire, entreprendre une réforme fiscale suppose une forme de pulsion suicidaire. Comment les élus qui ont foiré l’écotaxe pourraient-ils réussir une remise à plat sincère de l’ensemble du système fiscal ?

L’Etat fiscalement aux abois 

Dans ces conditions, pourquoi le gouvernement se lance-t-il dans une opération aussi complexe ?

Une raison probablement très prosaïque explique l’engouement subit du Premier ministre pour un sujet qu’il a toujours cherché, jusqu’ici, à étouffer : l’Etat est financièrement aux abois, et le budget 2015 n’est pas imaginable sans un enfumage fiscal de premier ordre.

Reprenons au calme : le déficit public devrait terminer sa course, cette année, autour de 82 milliards. Soit cinq milliards de moins que l’an dernier, avec des recettes fiscales qui ont augmenté de près de 15 milliards. Sur trois euros nouveaux levés auprès des Français, un seul sert à réduire le déficit de l’Etat. On mesure le gaspillage.

En 2015, le gouvernement doit réduire le déficit de plus de 20 milliards pour atteindre les 3% de PIB, par rapport à la dépense 2013. Sans inflation, c’est dur… D’ailleurs, la commission européenne n’y croit pas. A juste titre. Quand on mesure la difficulté qu’a le gouvernement à réduire le déficit 2014 à 3,7% du PIB, on comprend que l’objectif de 2015 est intenable sans une nouvelle donne dans le jeu collectif.

Si Jean-Marc Ayrault se lance dans une réforme fiscale d’urgence, préalable au budget 2015, c’est bien parce qu’il sait qu’il n’a plus le choix. Sans une "remise à plat" permettant de donner l’illusion d’une justice, soit la France ne tiendra pas ses objectifs communautaires, parce qu’elle sera incapable de contenir son déficit et cela commencera à faire tâche. Soit elle tient le cap, et le coût social risque fort d’être fatal au régime : les troubles qui ont commencé à éclater durant cet automne risquent de prendre des proportions de moins en moins contrôlables.

Il faut donc redonner du sens à tout cela pour éviter la déroute.

Réforme fiscale ou hallali du régime ? 

Le pari fait par Jean-Marc Ayrault est qu’il peut parvenir à redonner du sens avec un grand débat national, où il aura circonvenu les organisations syndicales autour d’une série de thèmes que je détaillerai jeudi prochain, dans mon billet social.  Je suis pour ma part convaincu que le Premier Ministre se trompe et que l’annonce de sa réforme fiscale sonne comme la convocation des Etats Généraux par Louis XVI durant l’hiver 1788.

Pourquoi ?

Parce que le gouvernement va prendre de front les aspirations profondes de la Nation tout entière. Les Français aiment l’impôt pour des raisons politiques: il est le lien entre eux et le pouvoir. Parce qu’ils paient des impôts, ils veulent participer aux décisions. En revanche, ils veulent payer un impôt juste, simple, universel.

Que le gouvernement veuille un impôt juste je lui en fais le crédit, même si nous ne mettons pas le même sens sur ce mot. Qu’il le veuille simple, je prends acte de ses déclarations, mais je suis sceptique sur la véracité de ses intentions. Qu’il le veuille universel, certainement pas. Or, l’universalité, c’est la justice à laquelle les Français aspirent.

Concrètement, lorsque le gouvernement annoncera, au printemps 2014, qu’il supprime l’impôt sur le revenu pour le fondre dans une contribution sociale généralisée avec un taux bas pour les faibles revenus, et un ou des taux renforcé(s) pour les revenus mensuels par unité de consommation supérieurs à 1.300 euros (puisqu’il s’agit là du revenu médian), les forces vives du pays exprimeront leur ras-le-bol. Leur calcul sera en effet assez vite fait, et il apparaîtra que la mesure consistera à imposer à la source les revenus des salariés, et singulièrement des cadres, à des taux élevés, ce qui mécaniquement fera baisser le pouvoir d’achat dans des proportions inattendues.

Fera alors irruption, dans le débat public, une question jusqu’ici mise sous le boisseau: ceux qui paient le plus d’impôts en ont-ils pour leur argent avec une école qui fabrique de la sélection sociale et de l’échec scolaire, qui produit une culture déconnectée du monde réel, avec une police qui ne garantit pas l’ordre, et avec une médecine qui est de moins en moins remboursée?

La réponse sera incontestablement douloureuse. C’est ainsi que la Révolution de 1789 avait éclaté.

*Cet article a précédemment été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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