Ni prison pour les hommes, ni démantèlement pour les banques : mais pourquoi les banquiers s'en sont-ils aussi bien sortis après la crise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Seule une quarantaine de banques européennes a fait les frais de la crise.
Seule une quarantaine de banques européennes a fait les frais de la crise.
©Reuters

Impunité

JPMorgan a passé un accord de 13 milliards de dollars avec le département américain de la Justice pour mettre fin aux poursuites dans le dossier des subprimes. A côté de ça, seule une quarantaine de banques européennes a fait définitivement les frais de la crise.

Atlantico : Est-il trop difficile de prouver la culpabilité individuelle d’un dirigeant bancaire ? Pourquoi ?

Eric Lamarque : Il faut bien faire attention au contexte juridique. Dans le contexte américain, la loi prévoit la possibilité de négocier des conditions financières avec la justice pour éviter les poursuites pénales ou en atténuer les effets. C’est aussi la motivation de la décision de JP Morgan de payer une amende record. Nous verrons si des poursuites pénales sont engagées par la suite contre les individus puisque la dimension pénale touche les individus. Dans le cas européen il n’y a pas eu de poursuites pénales à l’encontre de dirigeants pour le moment et des enquêtes européennes pourraient aboutir à des amendes. Le régime pénal du droit financier en Europe ne conduit pas pour le moment des dirigeants à être incriminés. Aux USA, nous allons voir si les dirigeants sont touchés dans les prochaines semaine. Potentiellement, ils peuvent l’être si on se rappelle les condamnation subies par les dirigeants de ENRON au moment de la faillite. 

Bernard Grelon :Il faut d’abord distinguer la situation française de la situation américaine, les deux étant finalement assez différentes. Il est assez compliqué outre-Atlantique d’utiliser le droit pour établir la responsabilité pénale et civile d’un banquier, et ce n’est pas non plus chose aisée en France même si de telles actions sont plus facilement envisageables sur le plan juridique. Pour le civil, (en droit français donc) si un financier commet un acte frauduleux à des fins personnelles, on considère que l’individu n’est pas responsable des erreurs qu’il a pu commettre sur les marchés, bien qu’il reste évidemment responsable devant ses actionnaires. La banque en elle-même peut bien être tenue pour responsable dans le cadre d’une réparation de préjudices, mais pas directement ses dirigeants.  Sur le plan pénal, le processus est un peu plus complexe puisque le banquier est ici responsable des fautes qu’il a pu faire commettre à la banque. Le droit considère chez nous que la faute pénale est essentiellement liée à des détournements de fonds, or la crise des subprimes est sans doute principalement liée à des imprudences puisque des crédits ont été accordés de manière irréfléchie.

Aux États-Unis, la réglementation bancaire est encore plus légère que dans l’Hexagone, ce qui rend extrêmement complexe la constitution d’une faute pénale, en particulier dans le cadre d’erreurs financières. Sauf à prouver qu’un banquier a, par exemple, délibérément modifié la note d’une agence de notation ou qu’il a menti sur les informations de sa compagnie, il n’y a pas d’infraction pénale caractérisée.

A contrario est-il plus facile de convaincre et conclure un accord financier avec un établissement financier ? Pourquoi ceux-ci sont-ils préférés aux poursuites nominatives : raisons purement financières ou preuve de l'efficacité de la justice ?

Eric Lamarque : Les accords financiers permettent aux banques d’accélérer le règlement des affaires judiciaires et d’éviter que l’on ne parlent d’elles négativement dans les médias trop longtemps ce qui finit toujours par créer un risque de réputation. Autre avantage du côté de la justice, pouvoir financer les organismes de contrôle et de régulation et leur donner ainsi les moyens d’agir. Le public peut être frustré de ne pas voir condamner personnellement les dirigeants d’autant plus que leurs rémunérations sont souvent considérées indécentes. Mais souvent les pratiques des banques ne sont pas directement mises en œuvre par le dirigeant lui-même. A moins de trouver des instructions précises qui indiqueraient qu’il faillent manipuler des cours ou prendre des risques excessifs, les auteurs de ces faits ont agi souvent de leur propre initiative. La difficulté est donc de définir une peine correctement proportionnée à l’implication du dirigeant et cela n’est pas aisé dans les affaires financières.

Pourquoi les banques européennes ont-elles alors été plus épargnées que les établissements américains ?

Eric Lamarque :Si l’on parle des condamnations dans le cadre des affaires liées aux subprimes, il faut rappeler que peu de banques européennes et aucune banque française n’en a commercialisé. Si elles ont vendu des produits financiers incorporant des crédits subprime titrisés sans le dire explicitement, les condamnations ne vont pas jusqu’à des peines de prison pour les dirigeants mais de simples amendes pour l’institution. Si l’on prend les dernières affaires de manipulation de cours ou de blanchiment de fraude fiscale, elles sont encore trop récentes dans leur prise en charge par la justice pour savoir quelles seront les conséquences pour les dirigeants.

Bernard Grelon : Premièrement, la crise des subprimes étant partie des États-Unis, il est logique que les banques américaines ont payé un prix plus lourd. Ensuite, on peut dire que la réglementation bancaire et la surveillance du crédit en Europe est bien plus contraignante que les législations en cours outre-Atlantique à l’époque. Enfin, ce que l’on appelle les « ratios prudentiels » (rapport entre le montant prêté par une banque et les fonds dont elle dispose réellement, NDLR) étaient bien plus exigeants en Europe qu’aux États-Unis, ce qui explique pourquoi les banques du Vieux Continent ont finalement été moins exposées.

En plus, il y a eu le cas Lehman Brothers aux États-Unis. Le gouvernement américain a décidé de ne pas du tout soutenir cette banque et de ne pas lui permettre de faire face à ces problèmes de trésorerie.

Menaces terroristes, fraudes financières : les banquiers ont-il bénéficié de diversions ayant obligées la justice américaine à se consacrer à d’autres priorités ?

Eric Lamarque : Je pense que la raison principale est liée aux difficultés financières qu’ont connues les banques américaines dans la période 2008/2011. Maintenant que les résultats progressent et sont significatifs, la justice intervient et peut décider d’amendes extrêmement élevées. Le faire à l’époque aurait rajouté une charge financière à de mauvais résultats et les banques ne pouvaient pas payer les sommes que l’on voit aujourd’hui.

La justice américaine a-t-elle pu être ralentie par le gouvernement lui-même qui a également joué un rôle dans cette crise en encourageant les achats immobiliers, la dérégulation de l’industrie de la finance, ou le maintien des taux d’intérêts à des niveaux bas ?

Eric Lamarque : C’est pure spéculation. En l’absence d’éléments tangibles attestant de ce type de comportement de la part de l’administration américaine cela ne me parait pas l’hypothèse la plus plausible.

Bernard Grelon : Je pense qu’à partir du moment où il y a eu des mesures de soutien au système bancaire pour éviter que les banques ne déposent le bilan, les anomalies bancaires non pas été soumises à la justice. Elles ont pu être soumises à une autorité de contrôle mais jamais à la justice. Généralement, on s’aperçoit des défauts de paiements, des malversations… seulement lorsqu’il y a dépôt de bilan. A ce moment-là, la banque est sous l’œil d’un procureur, d’un liquidateur qui viennent l'examiner. Mais dans le cas de la crise des subprimes, les banques ont toujours été sous le contrôle des dirigeants. Les grandes affaires pénales apparaissent toujours soit par dénonciation soit lorsqu’il y a grande difficulté avec comme meilleurs exemples l’affaire Elf ou celle du Crédit Lyonnais.

Mais il est certain que dans le cas présent la politique américaine a favorisé une politique de crédits risqués. De là à ce que cela freine les aspects pénaux, il y a un pas que je ne franchirai pas. Lorsque vous limitez les contrôles et supprimez des interdictions, il est certain que vous supprimez aussi des risques d’infractions. Les acteurs imprudents n’étaient plus encadrés par des textes de loi. Mais on ne peut pas affirmer que le gouvernement a délibérément laissé faire. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est qu’il est évident qu’aujourd’hui les grands banquiers d’affaires ont des liens étroits avec de grands dirigeants politiques ou de l’institution politique. Cela ne veut pas dire pour autant que des passe-droits sont accordés. 

Dans quelle mesure le rapport de force entre les banques et les gouvernements a-t-il joué dans le "sort" des banquiers à l'issu de la crise ?

Jean-Yves Archer :  Tout d’abord, dans un pays comme la France – mais aussi dans d’autres pays européens – les grandes entreprises nationales présentent des structures d’endettement significatif et l’analyse bilancielle n’est pas de nature à rassurer les créanciers. Dès lors, les banques commerciales qui assurent le refinancement de l’endettement externe du secteur public sont en position favorable face à l’État actionnaire généralement impécunieux. Deux exemples emblématiques méritent d’être cités : les plans financiers qui ont concerné Air France (du temps du Président Spinetta mais aussi actuellement : voir non-recapitalisation d’Alitalia par Air France) et la SNCF. Dès le mandat de Madame Idrac, l’État avait rappelé que pour une large part, sa garantie d’emprunt est limitée par les contraintes de l’annualité budgétaire. En clair, elle n’est pas systématiquement pluriannuelle ce qui est scruté à la loupe par les agences de notation et ce qui influe, alors, sur la prime de risque accolée à l’emprunt. Là encore, les banques – dans une sorte de consensus de Place à valeur de quasi-cartel – se retrouvent en position de force face à l’État.

De plus, les banques d’envergure mondiale ont bien évidemment un rôle dans l’acquisition de titres publics (OAT). Pour être clair et simplement démonstratif, le volume d’émission d’emprunts suppose soit un placement direct chez les banques (alors créancières de l’État) soit une assistance technique de celles-ci qui sensibilisent leurs grands clients aux émissions de l’Agence Française du Trésor. Difficile de ne pas déceler un évident rapport de force.

La crise a induit, de manière presque historiquement classique, un mouvement de concentration (BNP et Fortis, etc.). Ainsi, comme l’a montré Olivier Berruyer sur son site le total de bilan des 5 plus grandes banques françaises est désormais 3 à 4 fois plus important que le PIB. On retrouve ici la loi d’un rapport de force lié à la taille respective des établissements bancaires qui sont désormais nettement moins dépendants de leur marché domestique initial donc plus enclin à une forme d’émancipation au regard de la tutelle étatique. Il suffit de se référer à la future supervision bancaire où seuls 200 à 300 établissements ( sur 6.000 qui opèrent en zone euro ) relèveront d’un suivi régulé de la BCE. En France, moins de 10 banques seront concernées ce qui ne place pas du tout le risque systémique au rang des hypothèses farfelues (voir théorie du cygne noir). Sur cette question de supervision, même le législateur européen va céder. A regret.

Parallèlement, les banques ont un rôle très opérationnel de placement de titres en cas de cessions d’actifs par l’État : voir le récent cas de SAFRAN. Dès lors, une bonne entente s’impose.

Avant-dernier point, le montage de pool bancaire en cas de participation à un sauvetage d’entreprises. Si les banques estiment (ou obtiennent des garanties) de ne pas être en soutien abusif (notion de jurisprudence), elles peuvent «  négocier «  leurs éventuelles prises de participation. Là encore, il y a un jeu de sociologie des rapports économiques et financiers qui nous revoient à la notion de conflit coopératif.

Enfin, les banques d’affaires (exemple de Lazard Frères) ont un rôle éminent en matière de conseil à des gouvernements dont l’estime et la bonne entente importent, de manière stratégique, à la France. Citons l’Angola pour Total et le Niger pour Areva. Deux cas où la technicité bancaire doit être en phase avec ce que Laurent Fabius appelle la diplomatie économique.

Pour conclure, nul ne saurait nier que nombre d'anciens hauts fonctionnaires sont à la tête de banques françaises ce qui provoque amitié ou désamour selon les cas. Depuis le temps de Jean-Yves Haberer ( Crédit Lyonnais ), Pierre Moussa ( Paribas ) en passant par Michel Pébereau ( Président honoraire de la BNP ) ou François Pérol, Frédéric Oudéa ( succédant à Daniel Bouton ), etc.

Si ce point est plus délicat à quantifier, il ne serait pas de bonne économie politique que de le passer sous silence. John Kenneth Galbraith a écrit avec talent sur le "complexe militaro-industriel", il nous parait pleinement légitime d’énoncer l’existence d’un "complexe bancaire et financier"  de même nature dans ses rapports de poids avec les Pouvoirs publics.

Propos recueillis par Maxime Ricard

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