Désaveu sans précédent du pouvoir et des politiques : mais comment reconstruire un lien de confiance avec les Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestants qui huent Hollande durant les cérémonies du 11 novembre.
Manifestants qui huent Hollande durant les cérémonies du 11 novembre.
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Rupture

Alors que la cote de popularité de François Hollande a atteint le score le plus bas pour un président en fonction, le chef de l'Etat s'est fait huer sur les Champs-Élysées en marge des commémorations du 11 novembre.

Atlantico : La côte de popularité de François Hollande est au plus bas. Selon le baromètre CSA / Les Échos publié jeudi 7 novembre, elle a atteint le "score le plus bas jamais mesuré pour un président en fonction depuis la création de ce baromètre en 1993", soit 25% d’opinions positives. La chute de popularité de l’exécutif en cours de mandat est-elle une constante sous la 5ème République ?

Jean Garrigues : Il y a toujours eu une érosion de la popularité consécutive à l’accumulation des problèmes et qui dépend beaucoup de la conjoncture : Valéry Giscard d’Estaing rattrapé par la crise mondiale au bout de deux ans, Jacques Chirac englué dans les problèmes sociaux du début de sa présidence, Nicolas Sarkozy confronté à la crise dès 2008, etc.

Cela tient aussi des institutions de la 5ème République et à la pratique du pouvoir. Les institutions, surtout dès 1962 et l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, mettent l’accent sur le rôle de ce dernier. C’est l’hyper-présidence avec la marginalisation du Premier ministre. Celui-ci joue de moins en moins son rôle de fusible : les succès et les échecs incombent au président. Le quinquennat et le calendrier électoral qui a suborné les législatives à la présidentielle ont accéléré ce phénomène.

Jérôme Sainte-MarieEn premier lieu, sur un temps relativement long, celui de la Vème République, il existe une tendance à l’affaiblissement de la popularité présidentielle assez intéressante. Pour cela, les chiffres de l’IFOP, le plus ancien institut français, sont parlants. Un an après leur première élection  par les Français, la popularité du chef de l’Etat s’établissait comme suit : 62% pour le Général de Gaulle, 57% pour Georges Pompidou, 56% pour Valérie Giscard d’Estaing, 49% pour François Mitterrand, 37% pour Jacques Chirac, 35% pour Nicolas Sarkozy, et 29% pour François Hollande. Cette tendance lourde tient à différents facteurs, qui ne se résument pas à l’approfondissement des difficultés économiques du pays, même si la permanence du chômage de masse exerce une corrosion profonde. Il s’agit aussi, sans entrer dans le détail, d’un rapport plus distancié à l’égard du politique, qui fait que là où l’exercice du pouvoir suprême engendrait autrefois du légitimisme, il provoque désormais surtout une exposition permanente à une critique sans frein.

Ce qui est remarquable aujourd’hui, ce sont la rapidité et la constance de la baisse concernant François Hollande. Dès août 2012, sa popularité se situait, selon l’institut CSA, en deçà des 50%. C’est un mouvement bien plus rapide que pour son prédécesseur, dont la situation dans l’opinion ne s’était visiblement dégradée dans l’opinion qu’au tout début de l’année 2008, soit plusieurs mois plus tard dans le déroulé de son mandat. Et si, pour l’IFOP, Jacques Chirac avait connu une baisse plus rapide que François Hollande dans les premiers mois de son exercice de la fonction présidentielle, il avait connu à la fin 1995 et au début 1996 une remontée régulière, phénomène sans comparaison avec la situation actuelle. Ces comparaisons un peu fastidieuses n’ont d’autre objet que d’attirer l’attention sur la particularité du phénomène mesuré actuellement par les sondages.

Comment les anciens présidents de la République ont-ils fait pour regagner la confiance des Français ?

Jean Garrigues : Ce qui s’est souvent produit, c’est qu’à la suite d’une perte de popularité, il y a eu un regain. Cela n’a pas été spectaculaire pour Nicolas Sarkozy. En revanche, dès la cohabitation en 1997, Jacques Chirac se cantonne à un rôle de chef de l’État plutôt que de gouvernement. Il retrouve alors un certain niveau de popularité et c’est en partie ce qui explique pourquoi il a été réélu.

François Mitterrand, dans son premier septennat, descend dans les sondages. Il est confronté à la crise des années 80-82, sanctionné en 1986 par les législatives remportées par la droite. La cohabitation le remet lui-aussi en selle puisqu’il n’est plus jugé responsable des difficultés du pays.

Jérôme Sainte-MarieIl existe un moyen radical, expérimenté par Jacques Chirac : provoquer une dissolution, perdre les législatives, et passer en cohabitation. A 35% de bonnes opinions en février 1997, contre 64% de mauvaises, il redevient populaire une année plus tard… Si cela paraît fantaisiste aujourd’hui, ce n’est pourtant pas une hypothèse invraisemblable dans quelques mois.  Avant l’institution du quinquennat, les législatives en cours de mandat permettaient parfois une remobilisation du camp présidentiel, ce qui fut notamment le cas en 1978, au profit de Valéry Giscard d’Estaing. De manière moins prévisible, les menaces de guerre peuvent provoquer un regain de popularité extraordinaire, et à vrai dire éphémère. Tel fut le cas pour François Mitterrand, qui atteint 65% de confiance en février 1991 à l’occasion de l’implication de la France dans la "logique de guerre" en Irak, mais aussi de Jacques Chirac, crédité de 60% de confiance en avril 2003, précisément pour la résolution inverse, celle du refus de la guerre anglo-américaine dans ce même Irak. 

Aucun président de la 5ème n’a donc réussi à regagner de la popularité par des réformes, des actions politiques ?

Jean Garrigues : Historiquement, c’est assez rare. Même De Gaulle, avec son statut d’homme providentiel, a subi une érosion de sa popularité, due notamment aux difficultés économiques et sociales à partir de 1967 et à la crise de mai 68. Il a néanmoins conservé un niveau de popularité assez important jusqu’à sa démission en 1969. Seuls Mitterrand et Chirac ont réussi à remonter un peu la pente mais c’était le résultat de circonstances particulières liées à la cohabitation.

Jérôme Sainte-MariePour revenir à des solutions plus réalistes, l’exemple qui s’impose est celui de Nicolas Sarkozy. Certes, il fut impopulaire durant quatre des cinq années de son mandat. Pourtant, sa réaction à la crise financière mondiale lui permit, à partir de la mi-2008, de stabiliser sa cote de confiance durant deux ans, entre 35% et 40%. Niveau bas, insatisfaisant pour l’intéressé, mais qui éloigna la perspective d’une crise politique majeure. Cependant, à partir de la fin 2009, la courbe a de nouveau chuté, réduisant sa cote de confiance jusqu’à 20% en mai 2011. D’une certaine manière Nicolas Sarkozy incarne les deux situations évoquées.

François Hollande peut-il s’inspirer de ses prédécesseurs pour regagner la confiance des Français ?

Jean Garrigues : Sa courbe de popularité est tributaire de la conjoncture. Il est possible que François Hollande bénéficie d’une reprise de la croissance, voire d’une atténuation de la crise, c’est cyclique. Mais de là à le faire remonter à un niveau présidentiel, ça parait très difficile.

Les solutions politiques qui peuvent être utilisées, le remaniement ou le référendum, sont assez improductives. Quand De Gaulle lance son référendum sur la participation en 1969, il le fait pour regagner la confiance des Français et, résultat, il est battu. Les remaniements, comme me passage de Raffarin à Villepin sous Chirac ou le deuxième gouvernement Fillon n’ont pas eu d’impact, si ce n’est durant quelques mois. Pour Hollande, un remaniement n’aurait d’effets qu’à la marge. Il ne servirait qu’à donner l’impression d’un contrôle renforcé sur le gouvernement. Quant à la dissolution de l’Assemblée nationale… Dans le cadre d’une stratégie personnelle, l’histoire a montré que c’était payant. Mais ça serait désastreux pour son camp.

Jérôme Sainte-Marie Assez naturellement, on pense à François Mitterrand, celui du premier septennat. Immensément populaire juste après son élection – 74% de confiance -, il  voit les Français se détacher de lui jusqu’à ne recueillir que 38% de confiance en octobre 1983. Il y a alors au sommet de l’Etat une ambiance délétère, et le pays s’interroge sur la capacité du Chef de l’Etat a aller jusqu’au bout de son mandat. Pourtant François Mitterrand va réussir, sinon à inverser la tendance, du moins à se stabiliser autour des 40% de confiance. Il le fait par une modification substantielle de sa politique économique et sociale, par l’exploitation dans le débat public de nouveaux thèmes mobilisateurs pour la gauche, tels que l’antiracisme, et aussi par un changement de Premier ministre, avec l’arrivée de Laurent Fabius à Matignon, en juillet 1984. La principale leçon de cet exemple est la possibilité offerte au président de la République par notre régime d’impulser une nouvelle politique, même en milieu de mandat, même à rebours de ses promesses, déjà lointaines, de candidat.

Si la conjoncture économique peut, à elle seule, expliquer l’impopularité de François Hollande, cela signifie-t-il qu’en cas de reprise, la cote de François Hollande regrimpera automatiquement ?

Jean Garrigues : Oui. De manière automatique, il devrait y avoir un relèvement. Mais le niveau de notoriété n’est pas forcément celui du potentiel électoral et aussi de la confiance. On peut considérer qu’une rupture de la confiance qui s’est produite entre les Français et François Hollande peut être irrémédiable. Le sentiment de mollesse qui s’est dégagé du président pourrait être irréversible. La popularité peut se redresser mais le sentiment que le président n’est pas capable d’exercer ses responsabilités peut rester.

Cette idée pourrait également nuire à Nicolas Sarkozy dans l’hypothèse d’un retour. Même si l’énergie qu’il a montré peut être à son crédit, est-ce que la crise de confiance qui a marqué son quinquennat peut être surmontée ? Ce n’est pas une évidence. 

Jérôme Sainte-MarieCertainement pas. L’image de François Hollande est fortement entamée. Le problème porte, depuis avant même son élection, autour de la notion d’autorité. Comparons avec François Mitterrand. Ce dernier était, durant le premier mandat, contesté, et même parfois haï, par les sympathisants de droite. Cependant, sa capacité d’homme d’Etat n’était guère remise en cause. On ne peut éviter de constater que tel n’est pas le cas pour l’actuel président de la République. Différentes explications peuvent être trouvées à cela, dont certaines totalement extérieures à sa personne, telles que l’effet émollient qu’a aujourd’hui la multiplicité des canaux d’information et de débat. Il demeure que face à la difficulté que rencontre l’exercice du pouvoir en période de crise, François Hollande ne convainc pas les Français. Une amélioration économique ne peut nuire, mais elle n’aura d’effet décisif sur l’image du chef de l’Etat que si d’une part son action en est au moins partiellement créditée, et d’autre part que s’il insère les chiffres - devenus par hypothèse meilleurs - de la croissance et de l’emploi au sein d’un propos cohérent. Ce que l’on appelait autrefois une ligne politique.

Certains, y compris dans son camp, avance l’idée d’un remaniement voire d’une dissolution de l’Assemblée nationale. Est-ce une bonne méthode ? 

Jérôme Sainte-Marie : La dissolution est une perspective moins absurde qu’il n’y paraît. Elle suppose cependant de ne pas apparaître comme un échappatoire  face aux responsabilités du pouvoir, voire comme une ruse politique un peu visible. Il faudrait que la crise politique latente que connaît le pays se soit développée au point qu’un discours de rassemblement des forces de gouvernement, au delà donc de la gauche, puisse être audible. La perspective d’un remaniement est plus évidente. Nicolas Sarkozy avait donné le parfait exemple de la chose à ne pas faire à ce sujet, avec un interminable et vain débat sur l’éventuel remplacement de François Fillon. François Hollande aura sans doute plus d’habileté, mais tout n’est pas que dans la manière, ou le choix du moment. La réussite d’un remaniement aujourd’hui est non seulement conditionnée par le choix du nouveau Premier ministre, mais surtout, comme ce fut le cas en 1984 autour de l’axe de la modernisation, par la capacité à définir un nouveau cours politique.

Propos recueillis par Sylvain Chazot

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