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Comment la Première Guerre mondiale continue de profondément marquer les familles
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Souvenirs pileux

Recomposées, déracinées ou déchirées, toutes les familles ont en elle l'histoire d'un soldat de 1914.

Jean-Louis Beaucarnot

Jean-Louis Beaucarnot

Jean-Louis Beaucarnot est l’auteur de best-sellers. Comment vivaient nos ancêtres, Entrons chez nos ancêtres … Généalogiste de grande réputation, il travaille pour de nombreux médias et tient en particulier une chronique hebdomadaire dans le Journal Du Dimanche.

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Atlantico : Alors que le centenaire du début de la Grande Guerre approche, le traumatisme de celle-ci semble avoir totalement disparu de l'esprit des jeunes générations après avoir tant marqué les précédentes. Celle-ci a-t-elle cependant pesé sur nos destins à nous, hommes et femmes de 2013 par le biais de ce que nos familles en ont gardé ?

Jean-Louis Beaucarnot : Oui, bien sûr, beaucoup d’entre nous ne serions pas là où nous sommes si la "guerre de 1914" n’avait pas eu lieu, car son impact sur les trajectoires familiales a été aussi violent que décisif.

Il suffit de comparer. De regarder les familles avant 1914 et après 1918. C’est saisissant. Certaines ont été purement et simplement décimées. Ainsi six fils tués, chez les Grézanlé, modestes paysans du Loir-et-Cher, six aussi chez les Ruellan, riches armateurs de Saint-Malo. Aucune famille, aucun milieu n’a été épargné. Cinq fils Jardot, près de Belfort, et les quatre fils de Paul Doumer, le futur président de la République, à qui Clemenceau reprochera d’en faire son « fonds de commerce » électoral.

Beaucoup ont été transplantées, déracinées, évacuées des régions occupées du Nord vers le Languedoc ou la Provence, faisant que des frères et sœurs seront séparés à jamais. Comme d’autres se trouvaient réunies ou recomposées : ainsi, à Saint-Maur, ces trois veuves de guerre se réunissant pour s’entraider et élever ensemble leurs enfants. Beaucoup ont été ruinées, comme quelques unes, parfois, se sont enrichies

Et puis, il y a eu les couples : couples unis par la guerre, le soldat blessé épousant son infirmière ou le poilu épousant la sœur de son copain de tranchée. Sans oublier les marraines de guerre ! Mais aussi des couples que la guerre va déchirer : le permissionnaire, absent depuis plus d’un an, qui retrouve sa femme enceinte…

En l'absence quasi totale de témoin directs, comment avez-vous travaillé ? Comment peut-on aujourd'hui trouver la trace concrète de ces destins ordinaires ?

Comme les auteurs de Paroles de Poilus, j’ai lancé des appels à témoins dans la presse et sur Internet et les réseaux sociaux. Et des centaines de témoignages me sont revenus (plus de 700 !), émanant d’enfants, de petits-enfants ou d’arrière petits-enfants de poilus. Car nous descendons tous d’un combattant de 1914, et même souvent de plusieurs…

Et puis, j’ai classé, inventorié, et j’ai demandé à mes témoins d’accompagner leur témoignage d’une photographie. Tous ont accepté. Car tous ont compris que je voulais rendre la parole aux familles. Et la leur rendre nominativement, en nommant les familles et les lieux. Je voulais les sortir de l’habituel anonymat des statistiques. Parce que leur rendre leur identité est pour moi une façon de leur rendre hommage et qui permet aussi de mieux les rencontrer.

En temps qu’historien généalogiste, je ne me suis donc pas lancé dans la description des combats ou de la vie dans les tranchées. J’ai voulu me limiter à ma sphère de compétence, avec mon sujet de départ : mesurer l’impact de cette guerre sur les trajectoires familiales et sur nos destins.

Par contre, j’ai complété ce recueil de témoignages, par des dossiers consacrés aux questions essentielles (pensions, télégrammes, dons d’or, grippe espagnole, marraines de guerre, « non morts » pour la France, pupilles de la Nation, monuments aux morts…), afin de proposer un ouvrage complet sur le poids de la guerre sur la vie des familles.

Quelles impressions et quelles conclusions en avez-vous tirées ?

D’abord, beaucoup d’émotion. Ces témoignages sont souvent pathétiques et poignants. Je pense à ce permissionnaire qui découvre que sa femme l’a trompé, qui écourte sa permission et repart se faire tuer – ce qui arrive…

Je pense à cette jeune couturière parisienne qui récupère son neveu orphelin de guerre, qu’elle va élever au sacrifice de sa carrière et de sa vie personnelle. À cette photo trouée, où un visage a été découpé, et qui sera reconstituée au bout de plus de soixante ans, lorsque l’on retrouvera  la partie manquante dans le médaillon d’une parente. Je pense à Monique, morte à quatre ans de la grippe espagnole – une épidémie intimement liée à la guerre – et qui était le seul trait d’union du ménage de ses parents. À Lydia, veuve de guerre que l’on forcera – pour son malheur – à épouser son beau-frère, pour conserver la fortune familiale. À ce père de famille, qui n’ayant pas de fils, offrit son or pour l’effort de guerre et se ruina totalement… Sans oublier tous ces combattants qui, démobilisés, auront tant de mal à se reconstruire et à se réintégrer dans la société, à commencer par les « Gueules cassées ». Ou encore à ces hommes de 2013 qui, étrangement, se trouvent avoir exactement la même blessure à la jambe droite ou à la joue gauche que leur grand-père poilu…

Mais ce qui m’a peut-être le plus frappé, c’est la force fédératrice que présente aujourd’hui cette guerre. Car pour toutes nos familles, que l’ancêtre soit tombé héroïquement à Verdun ou au Chemin des Dames ou qu’il ait été au nombre des fusillés pour l’exemple, l’approche est la même : tous ont été des victimes. Victimes de cette boucherie inhumaine, de cette guerre aberrante, de cette épouvantable tourmente, qui exige justement de notre part ce devoir de mémoire.

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