Cocufiages, ruptures ou bigamie : tous ces couples qui n'ont pas résisté à la Grande Guerre <!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux couples n'ont pas survécu à la Grande Guerre.
De nombreux couples n'ont pas survécu à la Grande Guerre.
©Reuters

Bonnes feuilles

Jean-Louis Beaucarnot a rassemblé des témoignages pour reconstituer la vie quotidienne des familles pendant le premier conflit mondial du XXe siècle (1914-1918). Extrait de "Nos familles dans la Grande Guerre" (1/2).

Jean-Louis Beaucarnot

Jean-Louis Beaucarnot

Jean-Louis Beaucarnot est l’auteur de best-sellers. Comment vivaient nos ancêtres, Entrons chez nos ancêtres … Généalogiste de grande réputation, il travaille pour de nombreux médias et tient en particulier une chronique hebdomadaire dans le Journal Du Dimanche.

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Dans la société d’avant-guerre, les mariages étaient codifiés et obéissaient à des règles. L’alliance entre deux familles était lourde de sens et de conséquence. Bien des unions n’étaient pas permises, et enfreindre ces principes n’était jamais facile. Mais la guerre, ce sera surtout pour les couples l’épreuve du temps. La chair est faible : bien des ménages de combattants ont malheureusement pu le vérifier tout au long des années de guerre, avec selon les cas des dénouements variables.

(...)

L’héroïque bataille d’une femme de capitaine

Toujours dans la série des amours interdites, voici, dans les années 1930, la photographie d’un valeureux capitaine avec sa femme, en mission à Madagascar…

La tenant par le cou, il lui pose la main sur l’épaule. Geste qui trahit sans doute, outre son amour et son attachement, son soutien ou sa protection. À moins que ce ne soit en fait lui qui s’appuie sur elle… Car telle est la question que l’on se pose, lorsqu’on connaît leur histoire, ou plutôt son histoire à elle, que lui n’a jamais connue…

Car ne nous y méprenons pas ! Au lendemain de la guerre, cette petite femme méridionale et sanguine, Niçoise à l’allure volontaire et à la forte tête, a aussi bien réussi à sauver sa famille que son mari avait su sauver sa patrie, pendant les quatre années de guerre. Mieux : elle la sauvera toute seule, avec pour toutes armes son imagination et cette robe noire, qui lui a porté chance.

L’armistice, en 1918, lui avait rendu un époux, qui avait été fait prisonnier et avait passé lui aussi plusieurs années en Allemagne. Joie double pour l’épouse et leur fille aînée, alors fille unique, une seconde devant naître quelques années plus tard. La vie conjugale avait repris son cours ordinaire, que tout portait à imaginer calme et sans surprise.

Pourtant, un beau matin, relevant la boîte aux lettres, Rosa a la surprise d’y trouver une lettre adressée à son mari. Une lettre venant d’Allemagne. Intuition féminine, elle l’ouvre immédiatement et la lit, stupéfaite : une femme, que son mari a connue lors de son séjour là-bas, lui annonce qu’elle a eu un enfant de lui – une fille – qu’elle veut lui présenter. Le croyant apparemment célibataire, elle annonce son arrivée en gare de Nice pour la semaine suivante, avec l’horaire précis d’arrivée du train.

Rosa ne tergiverse guère et choisit le silence. Doute-t-elle de la force et de l’attachement de son mari ? Peu importe, sa décision est vite arrêtée et son imagination lui suggère un scénario imparable. Le jour dit, elle se rend seule en gare, toute vêtue de noir des pieds à la tête, et se présente à sa rivale comme une veuve digne et courageuse, dont le mari a trouvé la mort au cours des derniers combats. Il n’est rien à ajouter. Le soir même, la femme et son bébé reprendront le train pour l’Allemagne. Ce n’est que soixante-dix ans plus tard que l’histoire sera révélée par une tante à l’arrière-petite-fille de Rosa, la veuve noire, qui la racontera à son tour.

Le ménage des ménages

À certains couples, la guerre a en effet fourni l’occasion de « faire le ménage ».

Officier de carrière, le Breton René Le Pivain avait fait, en 1906, un mariage arrangé, dans la bourgeoisie malouine, et d’où étaient nés deux enfants. Mais le ménage est manifestement froid et sans amour et il semble que pendant la guerre, qu’il a faite tout entière sur le front français, le mari ait eu, à l’occasion d’une hospitalisation suite à une blessure, une idylle sans lendemain avec une infirmière. En 1919, affecté à la Mission interalliée en Bulgarie, où la guerre continue, il va y rencontrer un couple de Russes blancs, fuyant le bolchevisme, dont une soeur était gardée en otage à Moscou. Ayant réussi à la faire sortir, il fait sa connaissance, tombe amoureux d’elle, et va finalement divorcer pour l’épouser et avoir avec elle un troisième enfant.

Le bigame de Montereau

Sur la photographie du mariage d’une de ses petites-filles, un couple de retraités, apparemment tranquille et sans histoires. Apparemment, parce que déjà, à les bien regarder, on ne les imagine guère se cajolant tout le jour. Lui, avec ses moustaches épaisses, affiche des airs d’indépendance un rien provocants. Elle, corpulente et décidée, semble avoir le sens du commandement et on l’imagine fort bien jouer du rouleau à pâtisserie ou donner des ordres d’une grosse voix bourrue. Mariés en 1906, qui les observe sur cette photo conclut que le demi-siècle qui s’est écoulé depuis cette date a donc dû être pour le moins « animé ». Et pourtant, il se trompe… L’histoire a été en effet tout autre, comme le raconte leur petit-fils.

"Mon grand-père, Charles Desartine, ancien pupille de l’État, abandonné par sa mère et qui avait été placé dans une famille d’accueil de paysans de la Marne, avait épousé à Joinville, en 1906, ma grand-mère, Georgette. Le couple s’était établi à Meaux, où il allait vivre, comme l’on disait alors, de ses journées, lui travaillant successivement dans des fermes, dans une carrière et puis dans une scierie ; avant d’être mécanicien. Ils avaient eu un fils – mon père – en 1910 et, en août 14, le mari avait été mobilisé… À son retour, à la fin de la guerre, il n’avait plus retrouvé ni femme ni enfant ! L’avait-elle attendu ? L’a-t-il recherchée ? Pour avoir connu ma grand-mère, je ne peux que confirmer qu’elle n’était pas d’un naturel commode… Mon père sera donc élevé par sa seule mère – plus quelques « beaux-pères » occasionnels – et personne ne se souciera du devenir de Charles, que son fils n’avait quasiment pas connu. Les années passent. Une nouvelle guerre arrive. En 1943, à la fin de laquelle la mère et le fils habitant Provins, le fils se rend à la mairie pour y récupérer sa carte d’alimentation des tickets de rationnement et entend le secrétaire lui dire qu’il connaît d’autres Desartine, à Melun. Intrigué, il saute sur son vélo et se transporte sur place, où il débarque dans une maison pleine de gosses, qui sont en fait ses demi-frères et soeurs, puisque leur père, qui le reçoit, n’est autre… que le sien propre : ce même Charles Desartine, dont on est sans nouvelles depuis un quart de siècle ! L’homme s’explique : n’ayant retrouvé personne à son retour de la guerre, il avait refait sa vie avec une autre, qui lui avait donné neuf enfants et qu’il n’avait évidemment pas pu épouser légalement. Malgré tout, il avait réussi à régulariser sa situation par un subterfuge, en déclarant avoir perdu son livret de famille et en s’en faisant délivrer un autre, avec le nom de sa nouvelle compagne. Le plus extraordinaire sera qu’au décès de cette dernière mon père réussira à réunir ses parents, qui finiront ainsi leur vie ensemble, avec dix années durant lesquelles Georgette ne ratera jamais une occasion de traiter son mari de « bigame »…"

Extrait de "Nos familles dans la Grande Guerre", Jean-Louis Beaucarnot (JC Lattès Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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