ZLB : trois lettres pour comprendre pourquoi l’Europe se dirige lentement vers l’implosion <!-- --> | Atlantico.fr
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Le taux de chômage de la zone euro atteint 12.2%.
Le taux de chômage de la zone euro atteint 12.2%.
©Reuters

Tic, tac...

La Banque centrale européenne a abaissé ses taux directeurs à 0,25 %. Quelles marges lui reste-t-il désormais ?

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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L’Europe poursuit lentement sa course vers des territoires encore inconnus des statisticiens ; alors que le taux de chômage de la zone euro atteint 12.2%, les chiffres de l’inflation marquent un sévère tassement à 0.7% pour le mois de septembre 2013. Et ce dernier chiffre n’est pas non plus une bonne nouvelle car il traduit un ralentissement notable de l’activité intérieure à la zone euro. Il traduit surtout la menace déflationniste qui pèse sur l’union monétaire.

Afin de répondre à de telles circonstances, la Banque centrale européenne, qui se réunissait ce jeudi 7 novembre, s'est orientée vers une baisse de ses taux directeurs pour atteindre un niveau de 0.25%. Une telle décision a pour but de soutenir un peu plus l’activité économique, bien qu’un tel mouvement puisse paraître dérisoire. Mais sa conséquence première va être de déplacer le débat économique vers un thème nouveau en Europe: le ZLB, ou Zero Lower Bound.

Le Zero Lower Bound est un terme technique permettant de qualifier une situation pourtant bien simple. Lorsqu’une banque centrale se voit condamnée à baisser ses taux toujours plus loin, pour cause d’anémie économique, il est un jour où elle se retrouve confrontée à l’impossibilité pratique d’avancer....car les taux sont à 0. De 4.25% en juillet 2008 et après 5 années de guerre lasse les taux parviennent doucement à leur limite basse de 0%. Bien qu’un rebond économique de faible ampleur soit probable dans les mois à venir, le retour à la norme, c’est à dire à la stagnation, fera bien son retour. C’est à ce moment que nous serons réellement confrontés au Zero Lower Bound, moment où la BCE sera contrainte de baisser son taux à 0%.

La survenance du ZLB est une information cruciale pour les marchés financiers puisqu’elle  signifie que la BCE est à court de munitions. L’analogie est parfaite avec un personnage de série B se retrouvant face à une horde d’ennemis, et ne disposant que d’un chargeur vide pour pouvoir se défendre. Le soldat BCE pose les armes, et plus aucun rempart ne saurait protéger efficacement la zone euro.

Les plans déjà appliqués, et susceptibles de faire leur retour, sous le nom de LTRO (Long Term Refinancing Operation) ne sont que des soins palliatifs. Ces derniers ont permis aux banques européennes de ne pas s’effondrer mais ne sont pas une solution. En effet, les LTRO sont un programme défensif, un filet de sécurité, mais en aucun cas un soutien à la croissance. Les LTRO ne sont que le tuba offert aux banques afin de les laisser respirer, tout en maintenant la tête sous l’eau de l’économie dans son ensemble.

Il en va de même pour le mécanisme européen de stabilité (MES), qui n’est rien d’autre qu’un programme défensif. Programme ouvert aux Etats désireux de perdre définitivement leur souveraineté budgétaire afin d’éviter un défaut de paiement. Ce mécanisme offre en effet un soutien à la dette du pays qui le sollicite en échange d’un pilotage automatique de sa politique budgétaire, en direction de toujours plus d’austérité.

La perspective des taux directeurs à 0 % est alors synonyme d’impuissance pour la Banque centrale européenne. Pourtant, le cas spécifique du Zero Lower Bound a été largement étudié, notamment aux Etats Unis. Selon les travaux académiques les plus récents, dès lors qu'une banque centrale est confrontée à une impossibilité pratique de baisser ses taux, elle se doit d’agir par d’autres moyens:

1 - Rachat d’actifs ou quantitative easings qui sont pratiqués aux Etats Unis, au Japon et au Royaume Uni, et ayant  pour but de contourner la problématique des taux zéro en injectant de la “monnaie” directement.

2 - Forward Guidance : c’est à dire l’acceptation de la part des institutions monétaires de communiquer avec plus de précision afin de permettre au public d’anticiper ses décisions. C’est ainsi que Mario Draghi a indiqué que la BCE maintiendrait ses taux “bas” pendant une période prolongée, et offrant de cette façon une plus grande visibilité aux acteurs économiques.

Mais ces deux techniques, bien que globalement satisfaisantes, se sont révélées insuffisantes dans leur ampleur. Une troisième solution offre par contre des résultats prometteurs :

3 - Un objectif de PIB nominal : Sous l’impulsion de l’école des "market monetarists", le professeur Michael Woodford dénonçait le défaitisme ambiant sur la question de l’efficacité d’une politique monétaire confrontée au taux zéro (ZIRP: Zero Interest Rate Policy) en prononçant un discours qui a fait date en août 2012 : le moyen d’action le plus probant reste de modifier l’objectif de la banque centrale (qui est un objectif de stabilité des prix pour la Banque Centrale Européenne), notamment vers un objectif de PIB nominal. Ce nom barbare n’est que la traduction d’un objectif monétaire qui allie stabilité des prix et recherche du plein emploi, dans une seule et même mesure.

La Réserve Fédérale Américaine a répondu favorablement, bien que partiellement, à cette injonction de Woodford en appliquant un double objectif à sa politique monétaire : taux de chômage de 6.5 % et taux d’inflation à 2.5 %. Et ce par soucis de ne pas “perturber” les acteurs économiques par un changement trop radical. Cette solution intermédiaire, bien qu’encore imparfaite, a largement contribué à la baisse du chômage aux Etats-Unis pour atteindre 7.2 %. De la même façon, le Japon a considérablement assoupli son objectif d’inflation afin de parvenir au même résultat, avec succès. Le Royaume-Uni s'oriente également dans cette même voie.

Mais un tel moyen d’action n’a pas été prévu par les traités européens, et la zone euro est à l’heure actuelle totalement sans défense. Comme le disait Warren Buffet, “c’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui se baignent nus”. Et structurellement, la BCE est nue et entraîne la zone euro dans son sillage.

La défiance qui est susceptible de s’emparer des marchés financiers vis-à-vis de la zone euro reste imprévisible, mais il est indéniable que la révélation de l’impuissance de la BCE va considérablement affecter la crédibilité de l’union monétaire

Sans réforme institutionnelle profonde, la zone euro se retrouve condamnée par ses propres traités fondateurs. Le Traité de Maastricht est resté silencieux sur une telle situation de ZLB qui n’était alors considérée que comme une curiosité théorique. Mais le bizarre est à l’ordre du jour. La menace déflationniste est aux portes de la zone euro et les marges de manœuvre de la BCE sont inexistantes pour la contrer.

Il est aujourd'hui urgent de doter la BCE des outils qui lui permettront de répondre à la crise qu’elle traverse depuis 2008. Cinq années d’erreur de diagnostic auront conduit à cette situation. Il est en effet assez pathétique de constater que les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi le Japon ont d’ores et déjà identifié cette problématique monétaire tout en y répondant efficacement.

La lente descente aux enfers des taux européens peut encore durer des mois, voire des années, au gré de la hausse du chômage et de la perte progressive de confiance des populations européennes. Et les taux bas ont une signification, comme le rappelait Milton Friedman en 1998: "des taux faibles sont en général le signe d’une politique monétaire stricte, comme au Japon, des taux élevés sont le signe d’une politique monétaire laxiste". Les taux faibles de la BCE sont bien le signe de l’austérité monétaire pratiquée en Europe depuis 5 ans.

Toute la question européenne repose sur la capacité de la zone à se réformer en apprenant de ses erreurs, et dans un laps de temps suffisamment court pour éviter son implosion. Car sans réelle réforme monétaire cette implosion sera inévitable.

Il est alors urgent de poser un diagnostic monétaire sur la crise européenne, et d’y apporter le remède le plus efficace, qui se résume en deux points :

1- Intégrer la recherche du plein emploi en tant que l'un des objectifs de la politique monétaire, et ce au même titre que la maîtrise des prix.

2- Mettre en place un objectif de PIB nominal en lieu et place du simple objectif de maîtrise des prix à l’œuvre aujourd’hui.

La lutte contre la déflation, contre le chômage, contre les déficits et la dette ne pourra être efficace qu’à ce prix.

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