1 000 plans sociaux en France : ce n'est que la partie émergée de l'iceberg du désastre social <!-- --> | Atlantico.fr
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Les plans sociaux ne sont que la partie immergée de l'iceberg de la misère sociale en France.
Les plans sociaux ne sont que la partie immergée de l'iceberg de la misère sociale en France.
©Reuters

Va y avoir de la casse !

Jean-Marc Ayrault a beau assurer que la France est "en train de remonter la pente", une nouvelle vague de plans sociaux touche le pays. La Redoute, Alcatel-Lucent, Tilly-Sabco ou encore FagorBrandt menacent à leur tour l'emploi industriel. La fin de l'année s'annonce rude sur le front de l'emploi.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Au-delà du nombre de plans sociaux que connaît aujourd'hui l'économie française, quelles sont les entreprises contraintes aujourd'hui de licencier ? Seuls les grands groupes sont-ils aujourd'hui touchés par les destructions d'emplois ?

Jean-Yves Archer : Une étrange rumeur traverse actuellement le monde des décideurs économiques : elle consiste à annoncer de sévères plans sociaux d'ici la fin de l'année civile. Compte tenu du délit d'entrave ( vis-à-vis du comité d'entreprise) qui consisterait à confirmer une telle perspective aussi sombre, les entreprises demeurent silencieuses et légitimement discrètes.

Alors que des chiffres sur la croissance semblent s'améliorer – même s'ils restent faibles en valeur – et que des voix comme celle de Louis Gallois indiquent que " le pire est derrière nous ", chacun sent bien que les carnets de commande sont, comme les trésoreries, à un niveau de faiblesse préoccupant.

Les deux premières causes qui contraignent aux licenciements sont la chute du volume d'affaires qui atteint souvent plus de 20% dans certains secteurs (et ne permet plus d'absorber le niveau des charges fixes) et les tensions de trésorerie qu'une étude de la COFACE a confirmée dès l'été. A côté de ces deux premiers points critiques, se trouve la question de la compétitivité, autrement dit du prix de vente de nos produits qui répercutent le poids des impôts et taxes, et le poids croissant des charges sociales.

L'économie sectorielle – la mésoéconomie – montre que tous les secteurs sont concernés. En 1982, il y a un peu plus de trente ans, le Plan intérimaire piloté par Michel Rocard indiquait : " Il n'y a pas de secteurs condamnés, il y a des technologies dépassées ". C'était partiellement exact à l'époque, c'est désormais faux car les technologies sont détenues – sous licences – par les BRICS ( pays émergents ). Autrement dit, de nos jours, il faudrait dire : certains sites européens sont condamnés du fait de la maîtrise technologique de nos nouveaux concurrents. Songez qu'il a été produit plus de scanners de dernière génération de marque Siemens en Chine l'an dernier par rapport à l'Allemagne, berceau historique du groupe.

Les grands groupes ne sont que très peu créateurs nets d'emplois depuis plus de dix ans. Détenus à plus de 55, voire 60% par des institutionnels non-résidents, les grands groupes français sont dans des logiques de forte pression sur les résultats, donc ont tendance à "dégraisser", pour reprendre l'ancien terme qu'affectionnait le leader de la CGT Henri Krazucki, même lorsqu'ils affichent des résultats positifs importants (Sanofi).

En fait, certains grands groupes connaissent des déboires suite à des opérations de fusions-acquisitions qui n'ont pas été des succès. Il y a eu comme exemple emblématique, il y a quelques années, le rapprochement Daimler-Chrysler. On verra si Fiat parvient à réussir avec cette firme complexe.

Mais il y a aussi des logiques stratégiques qui n'ont pas misé sur l'emploi en Europe depuis des années. Ainsi, Serge Tchuruk s'était répandu dans la presse en 1999 en expliquant que l'avenir était à l'assemblage et qu'il fallait des "fabless" industries (sans unité de fabrication, ndlr). Les sites de Brest et Laval (dont le premier était rentable et comptait plus de 1.100 salariés) a été cédé à un repreneur américain de circonstance. Puis l'hémorragie a continué jusqu'aux dernières annonces qui concernent, là encore, plus de 1.000 personnes, sur les sites de Eu, des Orvault, d'Ormes, etc. Une large part du patronat a une réticence face à l'usine, face à la production, contrairement à quelques trop rares personnalités comme feu Antoine Riboud qui avait dit un jour qu'il "voulait bâtir une cathédrale".

Dans quelles proportions les PME sont-elles touchées ? Qui, des grands groupes ou des PME, détruit aujourd'hui le plus d'emplois ? 

Dans le cas d'Alcatel, il y a eu l'option décrite ci-dessus (" fabless") et les promesses déçues de la fusion avec Lucent. Tant les actionnaires que les salariés et les sous-traitants vont souffrir des annonces réalisées. Cet exemple montre que beaucoup de grands groupes sont sur la défensive en matière d'emplois, voire en phase de régression, mais il est impératif de raisonner en termes de filières. Un chiffre non établi mais collecté de manière empirique montre qu'un emploi supprimé dans un grand groupe peut entraîner l'apparition de deux chômeurs dans les parties amont ou aval, c'est-à-dire dans les PME ou les ETI qui se situent dans la filière.

La crise de l'emploi est massive et tenace : dès lors, il est difficile de conclure formellement quant à votre question sur la destruction comparée d'emplois. Pour développer un raisonnement, trois points doivent être soulignés. Tout d'abord, les grands groupes sont mondialisés, donc on ne voit qu'une partie de l'iceberg. Sans commettre de fixation, revenons sur le cas Alcatel-Lucent : près de 10.000 emplois vont être supprimés, dont 1.000 voire 1.200 en France. Puis, si on limite votre question à l'Hexagone, ce sont les ETI et les PME qui détruisent numériquement le plus d'emplois. Mais, si l'on effectue un bilan d'ensemble plus affiné, la réponse est plus nuancée. Enfin, notre appareil statistique a parfois des difficultés à clairement isoler un plan de suppressions d'emplois d'une fermeture d'établissement, voire d'une liquidation judiciaire. En effet, ce qui est sincèrement significatif – depuis 6 mois – c'est l'augmentation des défaillances d'entreprises. Au risque de choquer l'intelligence, il peut être parfois plus "simple" pour un patron de PME dont l'entreprise n'a guère de valeur marchande de décider de déposer son bilan plutôt que de se lancer dans l'expérience sociale et judiciaire d'un PSE (plan de sauvegarde de l'emploi).

Grand groupes ou PME, les mécanismes de destruction d'emplois sont-ils similaires ?

Au plan des mécanismes économiques, sociaux et judiciaires, ils sont très comparables. En revanche, il faut se souvenir que des mandataires sociaux (chefs d'entreprise de PME) ont été condamnés pour "poursuite d'une activité déficitaire dans une situation irrémédiablement compromise" (Cour de cassation dans le cas de prêts de banque puis de compte-courants de dirigeants). Ainsi, il peut être jugé contraire à l'intérêt des créanciers et autres de poursuivre une aggravation de passif.Ce type de règle jurisprudentielle peut inciter un dirigeant à contracter ses effectifs pour éviter toute faute de gestion.

Quels sont les secteurs qui sont en train de craquer ?

Nous vivons et traversons avec rugosité et douleurs sociales une crise historique. L'Histoire peut donc être un rapide détour utile. A la fin des années 1970 (en arrondissant), la France a connu un sinistre majeur : l'affaire des textiles Boussac. Parallèlement, la mort de Simca, devenu Talbot (usine de Poissy) et le plan sidérurgie de 1979 qui fût lourd au plan humain. Autrement dit, textile, automobile, acier avaient été touchés.

Si l'on examine la situation actuelle PSA (Aulnay), Nobel Automotive (Vitry-le-François), Michelin (Joué-lès-Tours), Goodyear (Amiens), Arcelor Mittal (Gandrange puis Florange), l'agro-alimentaire, notamment breton (Doux, Gad, Tilly-Sabco, Marine-Harvest, etc.) sont atteints. Force est donc de conclure que la crise ne se focalise pas sur un ou deux secteurs, elle a hélas une voracité plus expansionniste.

Que racontent ces phénomènes quant à la situation de l'économie française ? Sont-ils la marque d'une désindustrialisation réelle ? Si oui, est-elle enrayable ? Ouvre-t-elle la voie vers un autre modèle ? Lequel ?

Votre question mérite une réponse quant au climat des affaires, qui n'est pas rendu simple du fait du peu de lisibilité de la politique économique du Gouvernement et du fait du concours Lépine des taxes et impôts. Si l'écotaxe est un sujet complexe, il est patent que l'idée de taxer l'excédent brut d'exploitation relevait d'un raisonnement fort hasardeux pour ne pas dire périlleux.

Le climat des affaires et la confiance qui en découle sont des paramètres importants.

Parallèlement, pour moi qui suis un européen convaincu, il est franchement regrettable de découvrir que la directive sur le détachement de salariés est habilement utilisée par la filière porcine allemande, qui réalise ainsi un vrai dumping social au détriment des abattoirs bretons.

Il ne s'agit pas de désindustrialisation mais d'une Europe aussi peu lucide qu'efficace, qui génère une concurrence déloyale. Aller en Justice sur ces fondements ? Pour une décision définitive dans 8 ans ! Et que fait-on des salariés bretons pendant tout ce temps ?

Jean-François Deniau a souvent dit que la France n'envoyait pas toujours les négociateurs adéquats à Bruxelles : nous avons là un triste exemple de l'exactitude de son analyse.

A près d'un an de l'anniversaire (13 novembre 2012) de la conférence de presse du Président de la République, le choc de compétitivité prôné par Louis Gallois n'a pas eu lieu, et nombre de ses judicieuses préconisations sont restées lettre morte. Depuis un an, la France a connu et subi plus de mille plans sociaux.

Le débat s'est cristallisé sur la question de la compétitivité (euro fort, charges des entreprises) ce qui correspond à une logique. Il faut souhaiter que les entrepreneurs et surtout les Pouvoirs publics attaquent les questions liées aux éléments de compétitivité hors-prix tels que le design, la qualité des produits, le respect des délais de livraison, le "customer care", etc.

Nous sommes un pays qui a des atouts sérieux mais il est clair que les conditions du débat sur nos handicaps ne sont ni sereines, ni constructives, ce qui ne facilitera pas notre insertion dans la nouvelle configuration capitaliste que la crise va faire progressivement émerger.

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