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Pourquoi DSK est malheureusement en dessous de la réalité en pointant la responsabilité des dirigeants de la zone euro dans la catastrophe économique qui vient
©Reuters

Capitaines de pédalos

Dominique Strauss-Kahn a récemment prédit "un scénario cauchemardesque pour la zone euro". L'ancien patron du FMI a aussi annoncé une "poussée populiste" en Europe en réponse à l'incapacité des dirigeants à agir.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Dominique Strauss-Kahn prédit une catastrophe économique pour la zone euro. "Nous allons avoir une faible croissance qui ne crée pas d'emplois, pendant de longues années", a-t-il-annoncé comparant la situation au lendemain de la crise de 1929. Cette analyse vous paraît-elle juste ? En quoi ?

Nicolas Goetzmann : Je partage l’analogie avec les années 1930 sur un point qui me semble crucial : le diagnostic. Au cours des années 1960, Milton Friedman et Anna Schwartz publiaient “‘A Monetary History of the United States” et ont impliqué pour la première fois la responsabilité des autorités monétaires dans la crise de 1929. L’incapacité des banques centrales à réagir face au risque déflationniste est alors considérée comme la cause majeure de la crise. Seule la sortie progressive des États de l’étalon "OR" a permis un redressement économique. Cette version est aujourd'hui admise par la Réserve Fédérale américaine elle même.

Nous vivons le même phénomène d’austérité monétaire aujourd’hui en Europe. Alors que d'autres pays ont identifié le problème et ont ont agi en conséquence, c'est à dire par la voie de la relance monétaire (et ont obtenu des résultats : Etats-Unis, Japon, Royaume Uni, Chine etc.). L’Europe n’a pas fait le même diagnostic et les résultats sont déprimants : 12.2% de chômage et pas d’amélioration sur le front de la dette.

Les perspectives avancées par DSK me semblent également justifiées, il n’y a pas de raison de s’attendre à un boom économique en Europe dans les conditions actuelles. La zone euro est confrontée à un très puissant étau monétaire mis en place par la BCE  qui empêche toute reprise durable. C’est bien ce que ne veut pas comprendre notre gouvernement. Le niveau d’inflation de 0.7% au sein de la zone euro alors même que le chômage atteint des records permet de se faire une idée de la violence de cette austérité monétaire.

DSK a également dénoncé l'absence de "leadership" des dirigeants européens. "Ils se cachent tous derrière la BCE pour camoufler leur inaction" a-t-il déclaré. Les responsables politiques actuels sont-ils à la hauteur de la situation ? Étant donné le statut de la banque centrale, quelles sont leurs marges de manœuvre réelles ?

Nicolas Goetzmann :  Je partage également cette analyse. La BCE est en effet responsable de la crise que nous traversons mais le mandat qui lui a été attribué relève du politique. C’est à dire que les gouverneurs de la BCE appliquent strictement ce que leur mandat leur impose : stabiliser les prix sans se préoccuper de l’emploi. Cela est totalement absurde mais ce mandat découle du traité de Maastricht.

C’est exactement le message que Mario Draghi délivrait lors de sa visite à l’Assemblée nationale en juin dernier. Il réfutait alors toute critique en se basant sur le fait qu’il n’est pas un élu, et donc totalement illégitime à proposer une politique alternative. Il a par contre insisté sur la responsabilité des politiques ; c'est à dire que si les politiques veulent que la BCE suive une voie favorable à l'emploi, libre à eux de modifier les traités.

Une modification de la politique monétaire européenne suppose une action politique, une décision à l’unanimité pour réorienter la BCE vers l’emploi et la croissance. La BCE ne pourra pas en décider seule, elle ne pourra qu’obéir aux injonctions politiques. C'est en ce sens que DSK a raison de s’attaquer aux politiques, mais je ne me souviens pas l’avoir lu ou entendu sur ces questions lorsqu’il dirigeait le FMI.

Concernant l'absence de Leadership, il n'y pas réellement besoin de faire un dessin pour savoir qui est visé.

Pour DSK, "le débat est centré sur plus ou moins d'austérité alors que le véritable enjeu est la compétitivité". Les dirigeants européens se sont-ils trompés de diagnostic ? DSK, en tant qu'ancien patron du FMI, n'a-t-il pas lui-même une part de responsabilité dans cette situation ?

Nicolas Goetzmann : Je ne comprends même pas comment en partant des deux observations précédentes DSK parvient à ce constat. Il est évident que les politiques d’austérité ne donnent aucun résultat satisfaisant, mais une politique de compétitivité me semble tout aussi absurde aujourd'hui si elle n’est pas menée de concert avec une relance monétaire.

La compétitivité c’est simplement l’idée que chaque pays veut une plus grande part du gâteau mais sans se préoccuper de la taille du gâteau. Le gâteau ne grandit pas mais tout le monde en veut plus, il y a un problème pratique relativement évident. Il est utile que les pays se fassent concurrence par le biais de la compétitivité mais cela n’est que secondaire. Car l’urgence est de se préoccuper de la taille du gâteau global, ce qui relève des politiques monétaires. Lorsqu’il y aura à manger pour tout le monde, chacun pourra jouer à se faire concurrence mais l'inverse est suicidaire et source de tensions.

Pour le point de la responsabilité de DSK dans l’austérité, je me permets de citer son intervention le 15 novembre 2010 sur France Inter:

"Ce que je constate moi quand même, avec honnêtement pas mal de plaisir, c'est que dans les pays dans lesquels il a fallu couper les dépenses durement, et c'est toujours les pays les plus démunis, les plus pauvres, qui en souffrent dans ces cas la, les nouveaux programmes du FMI et je pense à la Grèce en particulier ont été construits de telle manière que l'on revienne à l’équilibre mais que cela se fasse en protégeant les plus démunis, les plus vulnérables."

Au regard de cette phrase on peut louer les intentions, mais les résultats ne correspondent pas aux intentions.

L’ancien directeur du FMI évoque également le risque d'une poussée des populismes. Ce risque est-il réel ? En quoi la situation est-elle comparable aux années 1930 et quelles pourraient en être les conséquences ?

Nicolas Goetzmann :  Ce n’est pas une surprise et tout le monde peut le constater aujourd’hui. A mon sens, il est juste de faire une analogie entre les années 1930 et aujourd'hui sur le plan macroéconomique. La Grèce et  l’Espagne notamment sont dans une situation comparable à celle de ces années 1930, situation qui ne peut être atténuée que par l'existence de transferts sociaux. Donc, évidemment, il y a une poussée des populismes qui est provoquée par les conditions de vie imposées aux populations européennes. Mais la montée des populismes n'a été rendue possible que par l'absurdité des politiques économiques menées en Europe. La responsabilité en est ainsi partagée.

Mais la comparaison s’arrête la. L’historien Georges Mosse explique très bien les conditions de la montée du nazisme dans les années 1920 tout en mettant l'accent sur la notion de “brutalisation” ou de “banalisation de la violence”. La sortie de la "guerre de 14" laisse une Europe accoutumée à une violence qui devient alors un mode d’action plus ou moins “acceptable”. L’Allemagne se radicalise en ce sens. Et cette "brutalisation" va s’étendre au champ politique et conduire notamment à l’émergence des SA (les bataillons d'assaut) dès 1921, qui ont donné un important levier "militaire" au parti nazi pour la conquête du pouvoir. Les deux époques sont en cela opposées.

Ainsi, alors que les conditions économiques sont effectivement similaires, il me semble absurde de pousser plus loin la comparaison. Les sociétés européennes sont bien plus pacifiées qu’elles ne l’étaient dans les années 1930, la menace populiste n'est donc pas de même nature. Ce qui n'est pas non plus une raison pour rester les bras croisés face aux évidentes défaillances économiques de la zone euro.

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