Maastricht, 20 ans après : quel bilan pour le traité qui a créé l'euro ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Maastricht, 20 ans après : quel bilan pour le traité qui a créé l'euro ?
©

Putain, 20 ans !

Le traité de Maastricht instaurant l'Union monétaire fête ses vingt ans ce vendredi alors que l'Europe traverse une crise sans précédent. Une crise qui nous fait parfois oublier certains bénéfices de la monnaie unique.

Atlantico : Le traité de Maastricht instaurant l'Union monétaire fête ses vingt ans ce vendredi. La monnaie unique devait renforcer L'Union européenne et générer croissance et emplois. 20 ans après, la majorité des pays de la zone euro sont empêtrés dans la crise des dettes souveraines, la croissance est en berne, le chômage a explosé et la confiance dans la monnaie unique est entamée. Nous avons aujourd'hui davantage tendance à voir les désavantages de l'Union monétaire que ses bénéfices. Quels sont-ils ? Que nous ont-ils épargné ?

François Lafond :  Il est vrai que la situation économique de la zone euro ne permet pas de se réjouir actuellement et alimente une partie du scepticisme ambiant. Mais les principaux responsables de cette situation économique ne sont pas les institutions européennes, qu'il s'agisse de la Commission ou du Parlement européen. Ni même la mise en place d'une monnaie unique, l'euro. L'Union monétaire n'a pas été construite telle qu'elle aurait dû l'être. Tous ses architectes vous le diront. Il a manqué dès le départ une meilleure coordination budgétaire, une plus grande harmonisation fiscale, une intégration bancaire, etc. Et puis la crise des dettes souveraines, comme son nom l'indique, est directement issue de l'incapacité des États membres, la France en tête, de ne pas avoir de budget de la nation déséquilibré depuis plus de trente ans. En déficit permanent, les dettes nationales se sont accumulées. Et la crise financière a obligé les États à injecter de l'argent pour sauver les banques qui avaient oublié leur métier de base. L'euro a cependant empêché les États de l'Union monétaire de dévaluer leur propre monnaie à la moindre difficulté, impliquant de se réformer. Ce qu'ils ont fait, ou pas.     

Jacques Sapir : Si nous étions allemands, nous pourrions dire qu’il y a des avantages à l’Union économique et monétaire (UEM), soit la zone euro. L’Allemagne a outrageusement profité de ce mécanisme. Mais il a ruiné des pays comme l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal et la France. Le bilan, même pour la Belgique, est très négatif. On a prétendu que l’UEM allait engendrer, par sa seule existence, de 1% à 1,5% de croissance supplémentaire. C’est tout le contraire auquel nous avons assisté. L’euro a été le début d’un effacement économique de l’Europe, à l’exception de l’Allemagne. L’euro impose aux pays qui y participent des contraintes insupportables du fait de la présence de l’Allemagne dans le mécanisme.

Nicolas Goetzmann : Je crois qu’il est inutile de parler des avantages dans cette période. Ils sont indéfendables. Les points que vous soulevez sont si lourds qu’il y aurait une forme d’indécence à crier les bienfaits du traité de Maastricht. Ce qui est en fait désolant car le projet européen pourrait être une réussite si l’on voulait bien se pencher sur les erreurs commises plutôt qu’en refusant de les regarder en face.

La politique monétaire européenne est d’une absurdité totale, à laquelle seule l’Europe est encore capable de croire. Je parle ici de la stabilité des prix comme méthode de gestion de la politique monétaire. Cette méthode a été abandonnée à peu près partout car elle a été dévastatrice au cœur de la crise. C’est une méthode inadaptée dès lors que l’économie se rapproche de la déflation. Le malheur est que ce que nous avons vécu en 2009 est en train de se reproduire aujourd’hui. Eurostat publiait hier les données de l’inflation pour le mois de septembre 2013 : 0.7%, ce qui traduit un effondrement économique en Europe.

Nous pourrons reparler des avantages de Maastricht une fois que cette question sera réglée. Car si cela n’est pas fait, Maastricht ne sera plus.

Gérard Bossuat :

Il est toujours étonnant de lire que l’UE serait responsable de la crise de l’euro, celle des dettes souveraines et du chômage en Europe. Le 1er janvier 1999, l’euro devient la monnaie officielle de onze pays membres de l’UE. La zone euro et l’UE ont été capables de résister aux tourmentes monétaires qui ont assailli le marché américain et les économies grecque, chypriote, italienne, irlandaise et espagnole. Comment savoir ce qui se serait passé sans la zone euro ? Des dévaluations compétitives auraient été décidées rouvrant la guerre des monnaies. Qui peut être sûr que le système monétaire européen aurait survécu ? La zone euro couvre les déficits des pays membres dans leurs échanges extérieurs, comme dans le cas de la France ; la fin de l’euro provoquerait le retour des menaces sur les monnaies des pays en déficit extérieur.

L’adhésion à la monnaie unique, l’euro, était subordonnée au respect d’un pacte de stabilité (pas plus de 3 % de déficit public par rapport au PNB) qui n’a pas été respecté par l’Allemagne et la France dès 2004. Une autre faiblesse apparut rapidement : l’absence de coordination des politiques économiques au sein de l’euro-zone, alors que la gestion monétaire était centralisée. Il n’y a donc pas de convergence économique capable de mobiliser les économies des pays membres, même si un président de l’Eurogroupe a été nommé en 2004, la coopération volontaire s’avérant insuffisante. Il n’y a pas de politique de change capable de peser sur les marchés monétaires, cette compétence étant assurée par les États au Conseil économique et financier où ils ne sont pas d’accord pour baisser la valeur de la monnaie et favoriser les exportations. L’euro est une devise forte qui a bien résisté aux crises financières des années 2008-2011. L’euro appelle à l’austérité puisqu’il a été institué pour empêcher toute dérive inflationniste en Europe.

Le traité de Maastricht est encore aujourd’hui conspué par les eurosceptiques de tous bords à l’égard d’une organisation monétaire européenne qui n’a point failli. Mais l’euro-zone manque de cohérence interne en raison de l’absence d’un « gouvernement économique » qui dirait ce que doit être la valeur de la monnaie européenne et la mettrait au service d’une grande politique de changement de paradigme économique, de lutte contre la crise et de développement humain.

Le traité de Maastricht ne se limite pas à l’Union économique et monétaire. Il augmente les pouvoirs de co-décision législative du Parlement européen et prévoit l’investiture de la Commssion par lui, il institue une politique étrangère et de sécurité commune de l’Union (PESC), il organise la coopération des Etats membres dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Ce que l'on reproche aujourd'hui au traité de Maastricht est-il réellement lié à l'esprit du traité, ou plutôt aux décisions politiques qui ont été prises par la suite ?

François Lafond : Les reproches aujourd'hui ne sont guère constructifs. Le cadre du Traité de Maastricht, et en particulier les critères qui en étaient les piliers, pouvait apparaître inopportun. Comme déjà évoquée, la construction de l'Union économique et monétaire a été parcellaire et d'autres transferts de souveraineté auraient dû être envisagés ; de la même façon, par la suite, l'Allemagne et la France ont été les premiers à s'en affranchir, donnant un très mauvais signal aux autres membres de l'Union. Un cadre initial insuffisant et des pratiques nationales déviantes ont en partie miné l'Union.

Jacques Sapir : C’est bien l’esprit du traité qui est en cause, et non simplement ses conditions d’application. Même si l’on avait mieux appliqué le traité, si on avait progressé vers l’Europe sociale et l’Europe fiscale aussi vite que l’on a avancé vers l’Union économique et monétaire, les différences de compétitivité se seraient manifestées en raisons des différences de structure des pays concernés. L’Euro impose une monnaie unique à des pays dont les économies sont structurellement différentes, et c’est là la cause de tout le mal.

Nicolas Goetzmann : Le Traité de Maastricht a gravé dans le marbre une doctrine économique qui consiste à installer la stabilité des prix comme l’alpha et l’oméga de toute politique économique. Alors que nous n’avions que 10 ans de recul sur cette doctrine. La construction européenne reposait sur cette certitude que cette méthode apporterait bonheur, joie, emploi, protection sociale à tous les européens.

L’échec est flagrant mais personne ne remet en cause ce principe de base.

Cette « méthode » a été confirmée à plusieurs reprises mais c’est bien le traité lui-même qui est à l’origine du vice Européen.

L’Europe reste un beau projet qui est aujourd’hui remis en cause par l’incapacité de ses dirigeants d’accepter leurs erreurs. Plutôt mourir que de se déjuger. La situation est insoutenable.

Gérard Bossuat : Le traité est né dans un contexte particulier. Le projet d’Union politique européenne renvoyait à l’impuissance de la politique étrangère de la France et des autres Européens au Liban, au Moyen-Orient, au Nicaragua. « Nous sommes entre deux empires qui nous prennent pour des colonies », expliquait Mitterrand, d’après Jacques Attali, « Que faire pour y résister, sinon l’Europe ? » Le « grand marché intérieur » prévu pour 1993 exigeait la stabilité des parités monétaires entre les Etats membres. La dislocation du camp communiste exigeait d’avoir une politique étrangère commune, ou du moins une intense coopération entre les pays membres. L’absence de l’Union dans la solution des guerres dans l’ex-Yougoslavie a provoqué une intervention de l’OTAN et des Russes ce qui a limité la crédibilité politique des Etats européens et de l’Union. Il fallait aussi régler la question de la réunification allemande, inquiétante pour beaucoup, dont la France. La communauté européenne devait disposer de nouveaux moyens pour affronter les secousses internationales aussi graves. Ce furent l’UEM et la PESC. Le traité de Maastricht n’a certainement pas été assez précis concernant  la gouvernance de la zone euro. 

Le traité de Maastricht a instauré une Union monétaire sans pour autant imposer aux États une convergence économique, fiscale et budgétaire. Ce choix était-il cohérent ? S'agissait-il d'un péché originel qui a conditionné la crise actuelle ?

Nicolas Goetzmann : Le traité de Maastricht a instauré l’union monétaire en pensant au prochain coup. La dissociation entre budgétaire et monétaire est absurde, et  il est évident que les « pères fondateurs » prévoyaient l’union budgétaire. Mais ils ont été pris de cours, la crise est arrivée avant que cette union ne voit réellement le jour et cela a mis en avant l’absurdité de la position de départ.  

Milton Friedman annonçait à ce propos que la zone euro ne survivrait pas à sa première récession.

Mais encore une fois, je veux vraiment souligner le fait que cette union est possible et a la capacité d’être réellement performante. Le point essentiel est de convaincre les autres membres de la nécessité absolue de réformer la BCE et de lui adjoindre un objectif de plein emploi.

Sur cette base, beaucoup de réformes pourraient être menées. Cela rendrait une part de souveraineté aux États qui auraient la possibilité d’agir effectivement sur la vie de la population. Pour le moment c’est l’austérité et rien d’autre. Et L’austérité n’est pas un projet.

Jacques Sapir : Il est clair que ce choix était incohérent. Cette incohérence aurait dû conduire à rejeter le traité, et l’on sait qu’il s’en est fallu d’un cheveu pour que ce soit le cas en France. Les contempteurs de Maastricht, de J-P Chevènement à P. Seguin ont eu entièrement raison sur ce point. Cette incohérence est bien à l’origine de la crise actuelle, et des crises futures de l’Union européenne. Car il faut craindre que l’euro ne dévore de l’intérieur l’Union européenne d’ici peu.

Récemment Marine Le Pen a comparé l'Europe à l'Union soviétique. Si l'Union européenne a créé plus de richesses que l'URSS, n'a-t-elle pas cependant péché par excès de technocratie ? A-t-on oublié de penser l'"identité européenne" ?

François Lafond : Madame Le Pen estime aussi qu'il faut sortir de l'Euro, donc appauvrir les Français, puisque notre dette libellée en euros deviendrait du jour au lendemain plus lourde à rembourser. Madame Le Pen peut continuer à comparer l'Union européenne et l'Union soviétique, témoignant ainsi son ignorance de l'une comme de l'autre. Jouer avec des comparaisons simplistes, faire peur aux citoyens alors qu'en même temps l'Europe a été le symbole de la liberté pour les dix derniers pays qui nous ont rejoints, qu'ils ont réussi à se développer économiquement, grâce à nos aides financières, aidant en cela également nos entreprises à leur vendre du made in France. La technocratie européenne ? Parce que notre régime fiscal en France est compréhensible ? Arrêtons de dire n'importe quoi. Que des abus aient pu être commis à Bruxelles, certainement. Que des acronymes soient inutilement utilisés, systématiquement, comme l'a très bien expliqué le premier ministre italien Enrico Letta à la conférence Europa qu'EuropaNova a organisée le week end dernier, et qu'il faille les réduire au maximum, bien entendu. Mais de grâce, arrêtons ce genre de comparaison stérile et électoraliste.

Jacques Sapir : La comparaison est juste si l’on regarde les montagnes de réglementations tatillonnes qu’a produit l’Union européenne et son incapacité à s’attaquer aux véritables problèmes de la sauvegarde des industries européennes. L’UE est libérale dans son essence, on le voit par exemple dans les réglementations sur la « dissociation » entre l’opérateur des infrastructures et le producteur de services, principe qui a conduit partout où il a été appliqué à des catastrophes sans nom, et ce libéralisme dogmatique produit les mêmes effets que le dogmatisme étatiste de l’URSS.

Nicolas Goetzmann : Ce sont les circonstances qui ont guidé cette situation. Quelle peut être l’identité d’un peuple européen qui une fois uni se retrouve dans la plus grande crise depuis les années 30 ? L’unité européenne est désormais perçue comme une promesse de chômage et de déclassement.

La politique-fiction serait d’imaginer ce que pourrait devenir une telle union si le taux de chômage était proche d’une situation de plein emploi. Une identité européenne, bien qu’improbable en soi, pourrait au moins ressembler à un partage d’intérêts communs. Mais même cela est inexistant aujourd’hui.

Quant à Marine Le Pen, elle surfe sur les erreurs européennes, et les vagues sont bonnes. Mais son discours de renoncement face à l’Europe empêche toute possibilité d’améliorer les choses. Avec elle, c’est tout ou rien, alors que nous avons les moyens d’améliorer profondément la situation.

Il faut cependant admettre que l’absolutisme des dirigeants européens, incapables de se réformer et d’apprendre de leurs erreurs, permet à Marine Le Pen de progresser. Le « Oui » absolu contre le « Non » définitif : il n’y a aucune pondération, aucune mesure des deux côtés du spectre.

Gérard Bossuat : Comment construire l’unité si les citoyens européens ne partagent pas une identité commune ? Le problème est de se demander quelle pourraient être les valeurs à partager, l’histoire commune à réviser pour nos enfants, le destin à vivre ensemble ? Une partie de la réponse se trouve dans les préambules et développement des traités de Rome, de l’Acte unique, du traité de Maastricht, du traité de Nice, du traité de Lisbonne. Une autre partie de la réponse se trouve dans la construction volontaire de références communes, européennes, par chacun des citoyens de l’Union, fondées sur la liberté, l’égalité hommes-femmes et la solidarité européenne. Une autre encore dépend des leaders d’opinion. Sont-ils capables de parler européen et d’abandonner leurs préoccupations nationales ? C’est rarement le cas en France du moins

Comment oser comparer l’UE à l’Union soviétique ? Chacun se rend compte de la vacuité de cette affirmation destinée à occulter l’efficacité de l’Union en termes d’organisation de la paix entre les Européens, de stabilisation monétaire et financière, de régulation régionale et sociale). Si les moyens utilisés sont discutables (austérité, euro fort, concurrence, affaiblissement de la protection sociale, méthode managériale de gouvernance) , ils relèvent de choix politiques et théoriques assumés par les gouvernements en conseil européen. Ils ne sont pas secrétés par une structure technocratique insaisissable. L’Union n’est pas un ensemble totalitaire ; elle est une structure nouvelle en invention permanente d’action.

Le professeur de Harvard Dani Rodrik, dans son essai The Globalization Paradox, explique que l’Europe se trouve dans un dilemme insoluble, incapable qu'elle est de conjuguer ses trois aspirations les plus fortes : union monétaire, souveraineté nationale et démocratie. Si on fait le choix de conserver une monnaie unique, le choix du fédéralisme paraît inévitable pour que l’Europe reste démocratique. Peut-on vraiment imposer ce choix à la faveur d'une crise et sans consultation populaire ? Est-il possible au contraire de revenir en arrière ?

François Lafond : Il est vrai que nous sommes aujourd'hui devant un certain nombre de choix importants à faire. Guillaume Klossa et un petit groupe d'expert et d'anciens sherpas européens sont en voie de finaliser un document, "A new Pact for Europe", qui recense des scénarios alternatifs prévisibles quant au futur de l'Union européenne. Du délitement de l'Union européenne tel que souhaité par les indépendantistes britanniques, les populistes tchèques ou le Front National français notamment, au grand saut fédéral, parfaitement inatteignable. Et entre ces choix, des possibilités pour améliorer durablement l'Union européenne, qui reste notre meilleure assurance vie pour nos enfants. Des mutualisations de souveraineté dans les domaines budgétaires, économiques et fiscaux seront nécessaires, mais en parallèle avec une réorganisation des processus décisionnels, et un renforcement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux notamment. La campagne des élections européennes doit aussi être un moment pour en débattre dans chaque pays.   

Jacques Sapir : Dani Rodrik a parfaitement identifié la contradiction centrale de l’Union européenne. Il n’est pas le seul d’ailleurs. L’euro a été fortement critiqué par de nombreux prix Nobel d’économie, comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman. Le problème fondamental est que l’on a refusé de donner aux peuples d’Europe, qui s’expriment à travers les États souverains dont ils se sont historiquement dotés, voix au chapitre. Le fédéralisme européen est un rêve, en raison des contraintes qui pèseraient sur l’Allemagne. Réaliser l’Europe fédérale, c’est imposer un prélèvement annuel de 10% sur le PIB allemand pour compenser les dégâts provoqués par l’Union monétaire. On voit bien que c’est impossible. Il est donc impératif de faire machine arrière, et cela peut être fait très rapidement. Qu’un pays comme la France ou l’Italie annonce son intention de se retirer de la zone euro et celle-ci se dissoudra immédiatement.

Nicolas Goetzmann : L’Europe est un processus d’intégration, et n’est pas à un stade définitif, c’est-à-dire qu’il ne peut rester en l’état, une telle structure ne peut rester figée.  A un terme lointain, ce sera une forme de fédéralisme ou rien. Et je crois que personne n’est dupe de cette situation. Devant un tel programme, les europhiles feraient bien de se poser la question de ce qui ne marche pas avant de se retrouver dans l’incapacité de sauver ce qui reste à sauver. Les europhobes n’ont qu’à attendre, car dans la configuration actuelle, toute reprise durable est hautement improbable, si ce n’est structurellement impossible.

La consultation populaire me paraît essentielle et pas seulement par le biais d’une élection présidentielle qui viendrait valider une position ou une autre. Cela nécessite un référendum. Ce qui serait une forme de suicide aujourd’hui.

Gérard Bossuat : L’Union européenne ne se réduit pas à la monnaie unique. Ses citoyens espèrent que la monnaie servira un projet de développement neuf capable de réduire le chômage et de servir un nouveau modèle de société de liberté et de solidarité, respectueux de l’environnement. Si des institutions fédérales étaient envisagées réellement, il faudrait un débat public  intereuropéen et un vote sur un nouveau traité. Personne ne peut envisager d’imposer un tel choix, sans consultation populaire. Là encore la peur d’une prétendue technocratie toute puissante égare les esprits.

Je ne sais pas si la souveraineté nationale est exclusive dans l’esprit des citoyens européens et singulièrement français. Ils ont jadis voté pour des partages européens de souveraineté dans les domaines économiques et les ont refusés dans le domaine de la défense en 1954 et politiques en 2005 en rejetant le projet de constitution européenne. Mitterrand a dit « La France est notre patrie et l’Europe notre avenir » ; la formule avait été reprise par Kohl. Peut-être est-il temps de dire que « la France est notre patrie et l’Europe notre présent ».

Si on fait le choix du grand saut fédéral, quelles sont les réformes structurelles à engager pour aller au bout de la logique du traité de Maastricht : homogénéisation de la zone euro et convergence des politiques sociales et économiques ? Le rôle de la BCE doit-il être repensé ?

François Lafond : Le grand saut fédéral ne se fera pas, parce que les conditions politiques ne le permettent pas, et parce qu'il n'est pas sûr que cela soit souhaité en terme d'efficacité. Qu'une plus grande intégration économique se poursuive avec la mise en place de l'Union bancaire, par exemple, cela est vital ; que des convergences économiques se renforcent, avec éventuellement la mise en place de ressources propres, d'un budget communautaire dépassant ce 1% symbolique et ridicule (on pense aux 20% du budget fédéral américain), bien entendu. Quant à la BCE, c'est effectivement une excellente question. Je n'ai pas d'avis tranché entre l'insertion dans son statut, donc dans les traités, d'une obligation en termes de croissance comme la FED aux Etats-Unis, mais l'Allemagne s'y refuse pour ne pas politiser son rôle ; ou laisser les compétences de la BCE comme elles sont, qu'elle ne s'occupe que du taux d'inflation quitte à la rendre insensible aux autres dimensions et parfaitement indemne aux pressions politiques ? Reste que c'est son Président, Mario Draghi, qui a sauvé l'euro en juillet 2012, avec une seule petite phrase capable de calmer les marchés internationaux et de rétablir la confiance. Son statut n'est par conséquent pas forcément le principal problème....

Jacques Sapir : Aucune réforme n’est possible dans l’état ou se trouve tant la zone Euro que l’UE. Il faut s’en rendre compte et admettre la réalité. Le fédéralisme est un rêve qui s’est transformé en cauchemar. Il est impératif qu’un gouvernement, et pourquoi pas le notre, ait le courage de mettre fin à cette « expérience » qui détruit les État et les peuples.

Nicolas Goetzmann :Tout d’abord la BCE, évidemment oui. Il faut faire du plein emploi un objectif monétaire. Ensuite, il me semble bien plus opportun de réformer les institutions avant d’aller plus loin dans le fédéralisme. Les membres de la Commission et le président du Conseil doivent être des élus et non des technocrates. Catherine Ashton, Herman Van Rompuy, Olli Rehn... autant de personnalités ne disposant pas de légitimité directe tout en ayant l’essentiel du pouvoir à l’échelon européen. Cette Europe des technocrates n’est pas une solution, elle agit comme un repoussoir auprès des peuples.

Deux réformes sont indispensables avant d’aller plus loin dans l’intégration : un virage de la croissance avec la BCE, et un virage vers la légitimité, notamment de la commission. Cela me paraît être une base saine pour pouvoir avancer.

Dans la perspective des élections européennes, et étant donné les différentes configurations en Europe, il va falloir se préparer à la montée en puissance des partis antieuropéens au Parlement. Herman Van Rompuy n’avait pas aimé la remarque de Nigel Farage (Ukip) qui lui reprochait d’avoir le charisme d’une serpillère. Il va devoir s’habituer à ce type de déclaration avec les nouveaux arrivants qui s’annoncent.

Gérard Bossuat : Le grand saut fédéral est sans doute un rêve d’ultra. La référence au traité de Maastricht n’est pas tout l’avenir de l’Union. L’Union européenne a besoin d’un centre efficace et démocratiquement contrôlé, respectueux de la subsidiarité dans certains secteurs. Les secteurs qui pourraient bénéficier d’institutions fédérales sont celui de la monnaie et de la politique économique, celui de la fiscalité, du commerce extérieur, du droit du travail. Une structure fédérale supposerait qu’en dernier lieu un ministre fédéral prenne une décision s’appliquant à tous les Etats membres ; on voit mal ce système s’appliquer à l’éducation, aux politiques sociales, à la défense ou à la culture. La solution est dans les coopérations renforcées qui librement associent les pays qui veulent s’y engager pour faire des politiques particulières.


En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !