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La finance islamique pèse de plus en plus de poids en France.
La finance islamique pèse de plus en plus de poids en France.
©Flickr

L'or de l'orient

La finance islamique gagne timidement du terrain en France, comme par exemple à la faculté de Strasbourg ou à l’université Paris-Dauphine. Ce système qui pesait 1,46 trillions de dollars dans le monde en 2012 peine encore à séduire les esprits français, bien qu'il donne la part belle à l'économie réelle.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Londres accueille du 29 au 31 octobre le 9ème forum économique islamique mondial. On connaissait la place grandissante des pays musulmans dans l’économie mondiale. On entend maintenant de plus en plus parler de finance islamique. En quoi consiste-t-elle ? Qu’a-t-elle de différent par rapport à la finance "traditionnelle" ?

Michel Ruimy : La finance islamique se fonde sur un nombre limité de principes structurants et qui a toute sa place dans le paysage financier international. Une de ses caractéristiques est qu’elle s’introduit dans la sphère privée de l’individu en lui proposant un nouveau comportement de consommation. Comparée à la finance conventionnelle, elle apparaît comme :

  • un choix, puisqu’elle offre, grâce à une structuration des produits en amont différente, des techniques nouvelles de financement ;
    • une alternative pour quiconque souhaite respecter les préceptes religieux prescrits par l’Islam même si elle a vocation à s’adresser à l’ensemble des populations sans aucune distinction de religion et/ou d’origine ethnique ou sociale ;
    • plus responsable puisqu’elle propose une plus grande équité entre les parties ;
    • un point d’ancrage important pour la diversification des marchés, tant la liquidité est devenue rare dans de nombreux pays développés au contraire des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient et ceux du Sud-est asiatique, deux espaces où, justement, la finance islamique est florissante.

À l’heure où l’on reproche à certains produits financiers structurés d’avoir été totalement déconnectés de leurs actifs sous-jacents en termes d’appréciation du risque - ce qui a conduit des établissements bancaires à investir massivement dans des produits risqués mais très rémunérateurs -, il est intéressant de relever qu’un des principes fondamentaux de la finance islamique est d’exiger l’adossement de tout financement à un actif tangible. D’autres principes, tels que la prohibition de l’intérêt et de la spéculation, trouvent aujourd’hui un écho retentissant.

La faculté de l’université de Strasbourg s’est dotée il y a quelques années seulement d’un cycle intitulé "Executive mba de finance islamique", suivi par des professionnels de la finance du monde entier. cette formation répond-elle a un besoin particulier en France ? Quel est le poids de la finance islamique dans notre pays, et quels en sont les acteurs ?

L’insuffisance de formation et de connaissance de cette nouvelle finance constituent un frein à son développement en France. L’Executive MBA de l’Université de Strasbourg ou le Diplôme de l’Université Paris-Dauphine, lancés depuis 2009, sont des exemples de formations parmi d’autres pour enseigner les principes de la finance islamique et tenter de pallier ce manque. Ces Universités sont aidées par des organismes et associations tels que l’ACERFI (Audit, Conformité Et Recherche en Finance Islamique), l’AIDIMM (Association d’Innovation pour le Développement économique et IMMobilier), le CIFIE (Comité Indépendant de Finance Islamique en Europe), le COFFIS (Conseil Français de la Finance ISlamique) qui œuvrent pour la promotion de cette alter-finance et pour la mise en place de mesures concrètes pour soutenir cette nouvelle industrie.

En France, cette alter-finance a fait l’objet de nombreuses avancées entre 2008 et 2010. Il y a eu, à cette époque, une véritable volonté politique de promouvoir et faire de la France une plateforme de la finance islamique en Europe, notamment via des instructions fiscales permettant la mise en œuvre de produits tels que la murabaha (opération d’achat et de revente), le sukuk (obligation participative), l’ijara (proche du crédit-bail), etc. Depuis 2010, les principaux faits marquants sont liés à l’ouverture du premier compte bancaire sharia-compatible de la Chaabi Bank, le lancement d’un produit de financement immobilier sous forme de murabaha par le groupe 570 et plus récemment, du sukuk Al Farooj d’un montant de 500 000 euros.

Mais ces initiatives ne doivent pas cacher la frilosité des banques tricolores qui ne s’expliquerait pas tant par des raisons réglementaires, juridiques et/ou fiscales mais davantage par des motifs d’ordre culturel : elles ne seraient pas prêtes à assumer un risque de réputation dans une société où l’islam fait souvent l’objet de polémiques. Conséquence : les plus grandes banques françaises font de la finance islamique depuis de nombreuses années… mais en dehors du territoire métropolitain.

Alors qu’elle interdit le recours à l’intérêt et certains domaines tels que l’alcool, le tabac ou l’armement, quels secteurs de l’économie pourraient, en France, bénéficier de cette finance et quelles seraient les opportunités de développement pour les banques islamiques ?

La promotion de la finance islamique par les pouvoirs publics depuis quelques années vise à attirer des capitaux du Moyen-Orient pour financer l’économie.

Au niveau des activités de banque d’investissement, les grandes entreprises françaises pourraient profiter de financements institutionnels sur les marchés financiers en émettant des sukuks. Emettre des sukuks permettrait d’une part, d’avoir accès à une base diversifiée d’investisseurs, élément prépondérant pour un émetteur faisant régulièrement appel aux marchés financiers, comme par exemple EDF, GDF-Suez … et d’autre part, à certaines sociétés de se rapprocher de nouveaux marchés dans les régions du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-est. Cette dernière stratégie a été illustrée, dans le passé, par la firme américaine GE Capital qui a levé 500 millions de dollars, et qui envisage de nombreux projets dans la région du Golfe persique ou par Lafarge Malaisie qui a émis, en 2003, un sukuk de 250 millions de ringgit pour financer le développement de ces activités locales.

Emissions de sukuks

Certains secteurs industriels tels que l’immobilier, les énergies renouvelables, la santé ou la construction pourraient bénéficier directement de l’émergence de la finance islamique. L’entrée au capital de Vinci du fonds souverain Qatar Diar a permis au groupe français de construction d’accroître sa notoriété auprès des investisseurs institutionnels de la région du Conseil de Coopération des états arabes du Golfe (CCG). Les financements islamiques dans la banque d’investissement ont donc un potentiel de croissance.

Quant aux activités de banque commerciale, les PME et les TPE (Très Petites Entreprises) pourraient bénéficier de financements islamiques pour couvrir leurs besoins de fonds de roulement, les PME françaises étant suffisamment solides pour bénéficier de telles facilités.

La banque de détail islamique a, en revanche, bien moins de chance de trouver sa place en France. Selon une étude de la société de conseil Equinox Consulting, 500 à 700 agences islamiques pourraient être créées d’ici une quinzaine d’années, en se basant sur des hypothèses optimistes. Ce rapport considère que sur les 6 millions de musulmans vivant en France, un tiers seulement seraient pratiquants et surtout, que « ces clients potentiels n’ont pas connu de système financier islamique dans leur pays d’origine, contrairement aux musulmans du Royaume-Uni, souvent originaires du Pakistan, où la banque islamique a fait sont apparition il y a une trentaine d’années ».

Des établissements islamiques étrangers pourraient aussi s’implanter en France. La banque marocaine Chaabi propose déjà à ses clients, depuis 2011, un compte courant qui respecte les exigences de la finance islamique donnant accès à tous les services bancaires. Toutefois, ce marché étant très bancarisé et compétitif, ces banques devraient plutôt concentrer leur développement sur des pays à plus fort potentiel.

Au final, dans un contexte de rareté du capital humain, le développement de la banque de détail requiert d’importants investissements en infrastructures, en conception de produits, en publicité et… beaucoup de patience. Dans ces conditions, il semble que la finance islamique en France, et en Europe, ait de meilleures perspectives de développement dans le compartiment de la banque de gros. De surcroît, en finance, la diversification est un principe élémentaire de gestion des risques. Les pays occidentaux caractérisés par une demande importante de financements d’infrastructures ont ainsi plus de raisons pour diversifier leurs sources de financement et saisir l’opportunité que représente l’excès de liquidités, notamment des pays du Golfe persique. 

A quel rythme la finance islamique croit-elle en France ? Quelles sont les perspectives pour les prochaines années ?

Il convient de savoir qu’au cours de la dernière décennie, la finance islamique a connu un essor important au plan mondial. Les actifs gérés par les institutions financières chariatiques sont estimés, à fin 2012, à 1,46 trillion de dollars, représentant le quart de leur potentiel selon les estimations les plus conservatrices.

A ce jour, elle est devenue un ensemble de classes d’actifs à part entière en voie d’internationalisation mais encore loin d’être mondiale. Symbole de son intégration dans l’économie globale, il existe même un indice Dow Jones du marché islamique !

Croissance de la finance islamique

En France, elle ne progresse pas comme l’auraient souhaité ses sympathisants. Même l’arrivée prometteuse des comptes Harmonis de la Chaabi Bank n’a pas réussi à la dynamiser. Deux ans après ces premiers comptes sharia-compatibles, la banque marocaine n’a pas réussi à capitaliser l’enthousiasme qu’avait suscité la révolution qu’elle a pourtant initiée, ce qui est stratégiquement risqué.

Cependant, hormis les initiatives privées, il s’avère que la place parisienne reste au point mort dans le financement institutionnel conforme à la Charia. Ni l’Etat français, ni les entreprises françaises n’ont émis publiquement des sukuks. Alors que la crise a rendu plus difficile l’accès au crédit bancaire, le recours à ce type de financement (cf. Al-Farooj) offrirait une nouvelle source de financement. Comme on le constate avec le crowdfunding, la tendance est à la finance participative. Les sukuks ont un atout non négligeable : ils sont adossés à des actifs réels. C’est donc l’économie réelle qui est ainsi favorisée et non plus la finance spéculative.

Mais son développement est aujourd’hui soumis en particulier à la sociabilité financière.

Les institutions financières conventionnelles occidentales sont particulièrement exposées à ces tensions puisque les individus ne peuvent pas y faire, à ce jour, le choix de leur « consommation ». Hier, l’égalité de traitement des clients s’opérait par la qualité des prestations offertes. Doit-elle, dorénavant, prendre en compte les préférences ou obligations religieuses des individus ? Est-il légitime pour un établissement public de prendre en considération une demande de produits financiers religieux ? Cette reconnaissance est-elle acceptable pour un établissement public dans un cadre laïc ? À quel prix symbolique ? À quel coût économique ? Le risque d’image est important car le débat sur la place de l’islam dans la société reste toujours passionné en Occident.

Ses détracteurs affirment que la commercialisation de produits islamiques pourrait contribuer au développement de revendications culturelles, religieuses ou identitaires, et serait en conflit avec le principe républicain d’unicité et d’indivisibilité de la population. Comme la réalité de la demande n’est pas encore totalement avérée, la crainte d’encourir un déficit d’image, avec toutes les conséquences inattendues et dommageables que cette perte pourrait impliquer pour leur marque, réfrène la volonté des établissements bancaires à s’y engager plus avant. Il n’en demeure pas moins qu’à l’avenir, ces derniers seront assez rapidement confrontés à autant de menaces que d’opportunités. Il n’en est donc que plus crucial qu’ils définissent, dès aujourd’hui, leur stratégie.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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