Pourquoi la vente à l'unité des médicaments ne générera pas autant d’économies que le prétend Marisol Touraine<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Assemblée nationale a donné son autorisation pour que soit expérimentée la vente de médicaments à l’unité dans les pharmacies.
L’Assemblée nationale a donné son autorisation pour que soit expérimentée la vente de médicaments à l’unité dans les pharmacies.
©Reuters

Le saviez-vous ?

L'assemblée nationale a donné son accord à la proposition de la ministre de la Santé Marisol Touraine pour que soit expérimentée pendant trois ans la vente à l'unité de certains antibiotiques. Ce système, qui pourrait être généralisé s'il fait ses preuves, fait partie d'un ensemble de mesure censées réduire le déficit de la Sécurité sociale.

Etienne  Nouguez

Etienne Nouguez

Etienne Nouguez est chargé de Recherche au CNRS. Ses travaux portent sur les politiques de santé et sur la rationalisation des pratiques médicales.

 

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Atlantico : L’Assemblée nationale a donné son autorisation pour que soit expérimentée la vente de médicaments à l’unité dans les pharmacies. La mesure, défendue par la ministre de la santé Marisol Touraine, doit dans un premier temps se limiter à certains antibiotiques, dans quelques pharmacies, pour une durée de trois ans. Les syndicats de pharmaciens se montrent de leur côté sceptique. Quel serait le manque à gagner pour ces derniers si, à la fin de la période d'essai, la mesure était généralisée à tout le territoire et à la plupart des médicaments ?

Etienne Nouguez : Cette mesure s’inscrit dans un mouvement de transformation de l’activité des pharmaciens. Depuis La loi "Hôpital, patients, santé et territoires" de 2009 instituant le principe du pharmacien correspondant, nous nous dirigeons vers une nouvelle logique : les pharmaciens ne sont plus uniquement rémunérés à la boîte, mais de plus en plus en fonction de l’acte pharmaceutique. L’une de ces missions consiste dans le tri des médicaments pour les patients (piluliers, etc.). Les tensions au sein des syndicats ont surtout lieu entre les partisans de la rémunération à l’acte (avec une plus forte main mise sur le médicament) et ceux qui soutienne la vision "à l’ancienne", se contentant de vendre des boîtes.

La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), principal syndicat, est allée jusqu'à signer la mesure. Ce que les pharmaciens perdront sur les boîtes, ils le récupèreront sur la valorisation des actes, et notamment celui de dispensation. Le Comité économique des produits de santé fixe un prix à l’unité, négocié globalement avec le laboratoire : cela n’entraînera pas de grandes économies sur la vente de boîtes. Modifier les volumes de ventes ne changera pas grand-chose, puisque le prix à l’unité est fixé en fonction d’un conditionnement moyen. Les négociations à venir relèveront légèrement le prix à l’unité. Il est en revanche certain que cela rajoutera du travail pour les pharmaciens, et allongera éventuellement le service.

''S'il s'agit d'une vraie lutte contre le gaspillage, on sera aux côtés de la ministre. Mais si c'est pour donner les médicaments en vrac comme ça se fait aux Etats-Unis, nous ne sommes pas pour", a déclaré à Metronews Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine. Ce risque est-il fondé ? Existe-t-il un danger sanitaire ?

Cette mesure pose beaucoup de questions en termes de santé publique, notamment par rapport aux repères utilisés par les patients : remplacer une boîte avec notice par un flacon peut présenter des risques. L’expérimentation de trois ans fait sens, car elle permettra de voir si les patients s’y retrouvent. Il est certain que l’un des principaux enjeux du traitement médicamenteux est ce que je nomme dans mes travaux la "prise", c’est-à-dire la façon dont le patient est amené à identifier ses médicaments, à les distinguer les uns des autres et à leur associer une posologie. De multiples flacons avec pour seul moyen de différenciation une étiquette, cela peut poser des problèmes d’observance. Il a déjà été constaté que les génériques posent parfois des problèmes, notamment aux personnes qui ne savent pas lire ou aux personnes âgées. En définitive, les risques de confusion grandissent à mesure qu’on supprime les repères.

Avec cette mesure, vient aussi la question du gaspillage. En principe, un patient suit à la lettre son ordonnance. Donc logiquement, s’il reste des médicaments dans la boîte, c’est qu’il y en avait trop. Mais un autre scénario existe, qui est assez répandu : s’il en reste, c’est parce que le patient n’a pas suivi les indications du médecin, notamment pour les antibiotiques. Car les médecins ont beau dire à leurs patients de suivre le traitement jusqu’au bout, ces derniers ont tendance à arrêter dès qu’ils se sentent mieux. Il reste donc toujours des antibiotiques, indépendamment du conditionnement.

La vente en vrac pourrait-elle favoriser les médicaments génériques ? Les laboratoires ont-ils à y perdre également ?

Les laboratoires sont susceptibles de se s’opposer car un tel conditionnement casse leur image de marque par rapport aux piluliers. Dans cette histoire, c’est l’industrie pharmaceutique qui a le plus à perdre. Il suffit pour cela de voir le soin qu’elle met à valoriser visuellement ses médicaments. Nous verrons comment les laboratoires riposteront : ils pourront fournir des piluliers conditionnés aux couleurs de la marque, etc.

La mesure remporte l’adhésion des Français : plus de 80 % estiment qu’ils pourront ainsi réaliser des économies et lutter contre le gâchis (sondage ifop). Dans quelle mesure la vente à l’unité permettra-t-elle de réduire le déficit de l’Assurance maladie ?

Je suis particulièrement sceptique sur l’effet économique de la mesure. En ce qui concerne les médicaments, le fondement du trou de la Sécurité sociale réside dans la prescription. Les médecins en prescrivent beaucoup trop. La mesure efficace, mais beaucoup plus compliquée à mettre en place, consisterait à contrôler la manière dont sont faites les prescriptions pour éviter celles qui sont inutiles et coûteuses.

L’effet financier de la mesure telle qu'elle est proposée sera nul, voire négatif. C’est pour cela qu’il faut plutôt l’envisager comme une mesure de santé publique.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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