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Pourquoi la France a beaucoup plus à perdre à se soumettre à l'Allemagne qu'à lui désobéir
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Bonnes feuilles

Steve Ohana démontre qu'en tant que pays fort de la zone euro, la France doit aujourd’hui désobéir à l’"Europe allemande" et refonder les bases d’une nouvelle Europe, démocratique, juste et prospère. Extrait de "Désobéir pour sauver l'Europe" (2/2).

Steve Ohana

Steve Ohana

Steve Ohana est professeur de finance à l’ESCP Europe et co-fondateur de la société Riskelia. Il a contribué à plusieurs ouvrages collectifs, dont Perspectives Energétiques, (Ellipses 2013) et rédigé de très nombreuses analyses pour des revues scientifiques.

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La France ne doit plus avoir peur

La France, pour assumer son rôle historique en Europe, ne doit plus craindre d’être attaquée par les marchés.

Ce risque n’existe en effet que dans notre imagination. D’une part, un tel événement impliquerait la faillite de la zone euro car il n’y aurait alors plus de bailleur solvable de taille suffi sante pour garantir les dettes des « maillons faibles » de la zone (dont la France ferait maintenant partie). Les investisseurs réfl échiront donc probablement à deux fois avant de spéculer sur ce scénario car toute inquiétude sur la dette française amènerait la BCE à agir immédiatement, et avec détermination, pour préserver le statu quo. Et elle ne pourrait probablement pas imposer de « conditionnalité » à cette action, car cette fois, la France sera en position de force : sans un secours immédiat et inconditionnel à la France, la zone euro fera faillite. D’autre part, il est probable que la fronde lancée par la France soit accueillie de manière positive par les investisseurs, qui n’en peuvent plus de voir l’Europe enchaîner les sommets inutiles et les plans de sauvetage inefficaces. Pourquoi sanctionner la France si ce qu’elle propose est la seule solution ?

Mais imaginons quand même le pire, simplement pour apaiser nos angoisses. La France est attaquée, la BCE reste sans réaction, l’euro se disloque. Que se passe-t-il alors ? Rien d’insurmontable, à condition que les partis de gouvernement européens se montrent à la hauteur du défi . Chaque pays revient à sa monnaie. Le franc se dévalue fortement par rapport au mark, s’apprécie légèrement par rapport à la lire et plus fortement par rapport à la peseta123. Au fi nal, sa valeur reste à peu près la même face à « l’euro » (défi ni comme le panier des nouvelles monnaies). La France prend des mesures d’urgence qui permettent de rassurer tout le monde : garantie totale des dépôts, des contrats d’assurance-vie, assurance que sa propre dette sera intégralement remboursée en « euros ». Autant de garanties qu’elle peut tenir du fait que le franc ne se dévalue pas par rapport à « l’euro ». La Banque de France, devenue prêteuse en dernier ressort inconditionnelle, crédibilisera ces promesses. Reste le problème des dettes périphériques, qui ne pourront évidemment pas être intégralement remboursées. La France organisera très vite une grande conférence réglant défi nitivement les questions de la dette périphérique et de la recapitalisation du système bancaire européen. En attendant, la liquidité des dépôts sera assurée partout dans la zone euro (avec certaines limites de retrait) mais avec un contrôle strict des fl ux de capitaux transfrontaliers pour prévenir des comportements d’arbitrage ou de panique. On réglera le plus rapidement possible les litiges relatifs à la redénomination des contrats en devises locales. Les relations avec les anciens pays de la zone euro seront immédiatement normalisées et de nouveaux projets de coopération lancés pour effacer l’ardoise et écrire une nouvelle page de l’histoire européenne.

Quels choix pour l’Allemagne si une majorité d’Européens adhérait au plan de la France ?

Maintenant, envisageons le cas plus probable où rien ne se passe sur les taux français. La France recueille assez facilement le soutien des pays périphériques sur son plan. Si l’on additionne les populations de la France et des pays périphériques, on arrive à 200 millions d’habitants. Les pays plus favorables à la plate-forme « allemande » (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, Autriche) ne totalisent, quant à eux, qu’un peu plus de 100 millions d’habitants. Si l’on admet le principe démocratique fondamental « un homme égale une voix », la plate-forme proposée par la France aura donc plus de légitimité démocratique que la plate-forme actuelle. Ceci signifi e concrètement que la pression va changer de camp : ce seront l’Allemagne et les autres pays exportateurs qui devront choisir entre accepter la plate-forme française ou se retirer de la zone euro. George Soros partage d’ailleurs pratiquement complètement ce diagnostic quand il écrit que « l’Allemagne doit choisir entre les eurobonds et quitter la zone euro124 ». Ce à quoi l’économiste Hans Werner Sinn, président de l’institut économique allemand IFO, réplique « qu’il n’y a aucune base légale pour contraindre l’Allemagne à un tel choix ». Sinn a raison : seul un changement des rapports de force pourra l’y contraindre.

Les conséquences d’un retrait des pays exportateurs sont gérables pour la France et les pays périphériques. L’application de la plate-forme française conduira à la dévaluation de « l’euro » (le nouvel euro sans l’Allemagne), utile pour restaurer la compétitivité, et à une infl ation plus forte, très précieuse pour alléger le poids de la dette. Elle assainira le système bancaire, remettra les chômeurs au travail, fera revenir les talents vers leurs pays d’origine, proposera une nouvelle perspective d’avenir à la jeunesse européenne. Les pays disposeront d’une Banque centrale prêteuse en dernier ressort, ce qui permettra à l’Italie de redevenir solvable. Les créances de la France sur les pays périphériques ne seront probablement pas toutes recouvrées mais, au moins, ce qui sera remboursé le sera dans notre monnaie. Les relations commerciales entre France et nations périphériques ne seront pas entachées par un nouveau risque de change. Et, ironie de l’histoire, les « efforts » réalisés par les pays périphériques pour annuler leurs défi cits courants deviendront alors très utiles pour susciter l’appétit des investisseurs pour le nouvel euro. Il en va tout autrement pour les nations exportatrices si elles venaient à sortir. L’appréciation de leur devise aurait la double conséquence de conduire à l’affaiblissement de leur compétitivité et à la dépréciation de leurs créances vis-à-vis du reste de la zone euro. Le nouveau risque de change qui serait créé nuirait à leurs exportations vers le reste de la zone, qui restent substantielles.

Ainsi, le mouvement de désobéissance lancé par la France affaiblirait considérablement le parti de la chancelière allemande, qui subirait une pression internationale forte en faveur du plan français ainsi qu’une pression intérieure triple, des syndicats, de la gauche allemande et du parti AfD.

La France n’a donc pas grand-chose à perdre à désobéir, mais elle a beaucoup à perdre à laisser perdurer trop longtemps le statu quo.

Extrait de "Désobéir pour sauver l'Europe", Steve Ohana, (Max Milo Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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