Troubles au Mali : la résurgence des islamistes intrinsèquement liée aux mouvements de populations nomades<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Troubles au Mali : la résurgence des islamistes intrinsèquement liée aux mouvements de populations nomades
©

L'éternel recommencement

A la suite d'une recrudescence d'attaques contre les forces de sécurité locales, la France a déclenché, en coopération avec ses alliés africains, une nouvelle opération de prise de contrôle du terrain au Mali. Un fait qui souligne la complexité du processus de pacification d'un pays tiraillé par des antagonismes ethniques.

Alain Antil

Alain Antil

Alain Antil est chercheur et responsable du programme Afrique subsaharienne à l’IFRI.

Il enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille et à l'Institut Supérieur Technique Outre-Mer (ISTOM).

Voir la bio »

Atlantico : L'opération Hydre, composée de forces françaises, maliennes et de la Minusma, est actuellement en train de se déployer au Mali pour éviter la "résurgence" des islamistes. Bien que les formations djihadistes - AQMI notamment - continuent d'opérer, elles semblent plus divisées qu'auparavant. Quelle degré de menaces constituent-elles encore ?

Alain Antil : L’opération Hydre est destinée à pourchasser les groupes salafistes-jihadistes qui sont en train de se réorganiser et commettre de nouveau des attaques ou des attentats au nord du Mali, comme cette semaine à Tessalit ou les semaines précédentes à Tombouctou et à Gao. Depuis l’été, on assiste à une réorganisation de ces groupes, on a vu successivement Aqmi nommer deux nouveaux chefs de katibat, et le Mujao (Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest) et le groupe de Mokthar Belmokthar ("Ceux qui signent par le sang" littéralement) annoncer leur fusion dans une nouvelle entité qui s’appelle "Les Mourabitounes". Actuellement, il semble que ces groupes aient encore des contacts mais de moins grande intensité qu’avant Serval. Aqmi a revendiqué l’attaque de Tombouctou, le Mujao les attaques de Gao, et celle de Tessalit aurait été organisée par Sultan Ould Badi, du Mujao, qui est aussi connu pour son implication dans différents trafics. Ces groupes resteront une menace dans la zone pendant encore des années.

L’opération Serval avait comme objectifs essentiels d’arrêter la progression de ces groupes vers le sud et de détruire au maximum les bases logistiques d’Aqmi, d’Ansar Dine et du Mujao, ce qui a été réalisé. Mais évidemment, bien qu’un certain nombre de combattants aient été éliminés physiquement, l’opération Serval ne pouvait pas, et n’ambitionnait d’ailleurs pas, de régler une fois pour toutes les questions de sécurité du Nord-Mali. C’est maintenant à la force composée des éléments français, maliens et de l’ONU de prendre en charge ces questions. D’ailleurs, il faut souligner que la réapparition de ces mouvements n’est que l’un des aspects de l’insécurité du Nord Mali, il faut également évoquer le banditisme très important, les rivalités entre différents groupes criminels pour le contrôle de certains trafics ainsi que différents accrochages entre l’armée malienne et des éléments du MNLA (Mouvement de libération nationale de l’Azawad), les autonomistes touaregs.

La question des populations semi-nomades du nord, dont les Touaregs, continue d'agiter le débat national. Peut-on imaginer qu'une médiation efficace puisse être mise en place ?

La très grave crise qu’a connu le Mali depuis le début 2012 va laisser des traces durables. L’une des conséquences est l’augmentation de la méfiance entre communautés et, en particulier, chez les gens du sud vis-à-vis de ceux qu’ils appellent « les rouges », c'est-à-dire les personnes à peau claire (une partie des arabes et des Touaregs). Il est aujourd’hui dangereux pour ces populations arabo-berbères de se rendre dans les localités du sud. Ce qui est triste, c’est ce racisme très fort, et cette ignorance des réalités sociales du Nord Mali. En résumant à grands traits, on peut dire premièrement que les questions portées par le MNLA étaient largement partagées par les autres populations du nord, qu’elles soient arabes, peules ou songhay, ce sentiment d’être des citoyens de seconde zone, oubliés de Bamako ou représentés par des individus corrompus coopté à Bamako qui détournent les aides internationales. Le second point c’est que bien que partageant ce constat, peu ont soutenu l’aventure militaire du MNLA, menée par des éléments issus de quelques tribus touarègues. Le troisième point c’est qu’au sein de chaque communauté, il y a des clivages sociaux qui sont parfois plus forts que les clivages entre groupes ethniques. Si l’on prend l’exemple de la société touarègue, les anciennes tribus dominantes n’ont pas forcément les mêmes intérêts que les groupes formés par leurs anciens tributaires ou leurs anciens esclaves.

L’un des chantiers prioritaires du président Ibrahim Boubacar Keïta est donc de mener à bien une négociation de sortie de crise.

Le problème Malien est-il donc national avant d'être purement la cause du radicalisme islamiste ?

La crise malienne est une addition, ou plutôt une conjugaison, de causes de natures très diverses. On peut évoquer l’effondrement de l’Etat malien sur lui-même avec une corruption endémique, avec une faible capacité à offrir des services de base aux populations de plus en plus nombreuses, et en particulier d’assurer un minimum de sécurité et de justice ; mais aussi une économie qui s’informalise et se criminalise car le marché de l’emploi formel, qu’il soit public ou privé, n’absorbe qu’à peine 10 % d’une classe d’âge ; l’importance des trafics ; la rareté des infrastructures de transports et de communication ; une zone nord complètement délaissée. On peut espérer que le président IBK puisse mener à bien un certain nombre de réformes essentielles mais on peut craindre malheureusement que le Mali comme certains de ses voisins ne soient en réalité plongés dans des cycles de crises de très longue durée.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !