La France bloquée : mais quelles sont les solutions qu'attendent les Français en plaçant Le Pen, Valls et Sarkozy en tête des personnalités capables de réformer le pays ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux yeux des Français, le FN est le parti le plus capable de surmonter les blocages de la société française.
Aux yeux des Français, le FN est le parti le plus capable de surmonter les blocages de la société française.
©Reuters

A l'arrêt

Selon un sondage CSA pour Atlantico, 44% des Français pensent que le FN est le parti le plus à même de réformer en profondeur le pays, devant l'UMP et le PS. Mais ils aspirent peut-être moins au changement qu'au retour à un passé disparu.

>>>> Sur le même sujet : 44% des Français considèrent que le FN est le parti le plus à même de réformer en profondeur le pays

Atlantico : Selon un sondage de l'institut CSA pour Atlantico, Marine le Pen, Manuel Valls et Nicolas Sarkozy sont considérés comme les plus à même de réformer en profondeur la France. Le FN apparaît comme le parti le plus capable aux yeux des Français de surmonter les blocages de la société française. Qu'est-ce que cela révèle de la vision que les Français ont de ces blocages et des solutions à y apporter ?

William Genieys : Au fond le résultat de ce sondage n’est pas surprenant en soi car le FN surfe sur le fantasme de la crise et joue à fond la carte d’un discours attrape-tout qui consiste à faire croire qu’il est le seul parti à pouvoir rendre aux Français le lustre d’antan proche de celui des Trente Glorieuses. A cette fin, le FN développe un discours politique fondé sur un populisme du bien être, en ciblant de façon assez habile non seulement toutes les couches sociales mais également les différentes générations en mal de repères quant à leur futur. Cette stratégie cible plus finement tous les segments corporatistes de notre société qui freinent justement le changement en raison de la menace qu’il fait peser directement sur leurs intérêts constitués. Par ailleurs, le sondage fait ressortir que le mot réforme est devenu un mot valise car il ne permet plus de distinguer ce qui relève du progrès et du changement de ce qui renvoie à l’esprit de conservation. En effet, mettre sur la même ligne « réformatrice » Marine Le Pen, Manuel Valls et Nicolas Sarkozy en dit long sur l’alignement des contraires. Je pense qu’il faut lire le sondage à l’envers et considérer que ceux qui prétendent vouloir des réformes aspirent à retrouver un passé qui est peut être malheureusement sorti de notre histoire collective.

En dépit de 1789, il est resté très corporatiste et à mis en place progressivement un système de redistribution de la richesse qui, malgré certains défauts, a plutôt bien fonctionné. Le problème est qu’aujourd’hui le discours politique de certains partis qui ne sont pas au gouvernement persuade les citoyens qu’à court terme, ils ont plus à perdre qu’à gagner avec les choix politiques actuels et ceux du passé récent. Quant au mythe qui consiste à dire que la France se réforme avec des grandes « Révolutions » portées par des mouvements ancrés dans la société civile, il est non seulement faux, et ce depuis 1989, mais c’est tout le contraire qui se passe dans la pratique. En effet, la plupart des réformes survenues hors période de guerre se sont déroulées selon la "logique du subrepticement", c’est à dire par l’accumulation de petites touches qui un jour mises bout à bout font changer le système. Les anglo-américains appellent cela "l’incrémentalisme" : c’est moins hypocrite, plus élégant et surtout plus visible pour le citoyen. Néanmoins, aujourd’hui ce mode opératoire pour réformer semble plus efficient, et actuellement on ne sait plus trop comment faire. De surcroît, la marge de manœuvre des partis au gouvernement est relativement faible dans la mesure ou des outils comme le référendum sont peu mobilisables en France, comme on l’a vu par le passé sur la question européenne.

Eric Verhaghe : Je retiens personnellement deux enseignements de ce sondage.

Premier enseignement : les Français admettent que les défis auxquels la France est confrontée n'appellent plus des évolutions, mais des révolutions. On ne pourra redonner à la France la place qui est la sienne par un recours systématique aux aspirines habituelles : un peu d'emprunt, des lois mal ficelées et des recrutements nouveaux de fonctionnaires. Il faut des recettes d'un nouvel ordre, qui sont autant de ruptures dans l'ordre habituel.

Deuxième enseignement : les partis de gouvernement ne sont plus les véhicules de ce relèvement. Les Français appellent de leurs vœux des gens nouveaux, et si possibles des colonels de hussard, plutôt que les plats capitaines de tranchée qui peuplent les partis. Incontestablement se met en place, pour le relèvement collectif, notre schéma traditionnel dans ces phases de crise: l'appel à l'épisode autoritaire.

A travers ces personnalités, les Français plébiscitent "une certaine forme de politiquement incorrect". Le principal blocage de la société française vient-il finalement d'une certaine forme de "pensée unique" des élites incapables de proposer des solutions convaincantes aux yeux des électeurs ?

William Genieys : Si on laisse de côté les questions « sécurité-immigration » qui permettent d’opérer un amalgame un peu « olé olé » entre ces trois leaders politiques, tout les sépare en termes de projet politiques et de contenus des réformes à mener. Certes, ils ont une ambition commune : la conquête de la magistrature suprême dès 2017, sans oublier -  ce qui n’est pas un détail - que l’un d’entre aux a déjà exercé la fonction entre 2007 et 2012. Je ne pense pas que ces figures de la vie s’inscrivent dans le politiquement incorrect, ce sont plutôt des individus qui incarnent une voie différente dans l’approche des réformes, mais qui ont l’avantage d’être crédibles sur ce créneau qui semble être politiquement clivant. Notons quand même qu’en 2007, Nicolas Sarkozy inscrivait son quinquennat dans une logique de Réforme et François Hollande dans celle du changement maintenant. Le problème sur cette question, c’est la perception du décalage entre le « dire » et le « faire ». A cela s’ajoute que, les choix comme les solutions en termes de politiques publiques qu’un gouvernement X ou Y peut réellement mettre sur l’agenda ne sont pas si nombreuses. Cela à pour effet dans un contexte de crise de permettre à ceux qui entretiennent le discours sur la dénonciation de la « pensée unique » des élites, notamment celles qui occupent des positions marginales, et qui en profitent pour en appeler au "Grand soir". Ce type de discours ne mènera certainement pas sur le chemin des réformes et bien au contraire, il ouvre la voie à une limitation future des formes d’expression du pluralisme démocratique.

Eric Verhaghe : Le premier facteur de blocage en France, c'est l'élite. Pour plusieurs raisons simples à comprendre.

Première raison : l'élite est cramponnée à ses dogmes hors-sol, comme la certitude que la France est un État de seconde zone qui ne peut exister que par une Europe aseptisée, technocratique, ennuyeuse - une Europe construite à partir de zéro à l'image de nos élites elles-mêmes : distante, froide, réglementée, col blanc et cul serré en quelque sorte.

Deuxième raison : l'élite française profite du système étatiste et étatisé actuel, et n'a aucun intérêt à le voir changer. Elle peut même se plaindre d'avoir vu ses privilèges se rétrécir. Plus on a dénationalisé, libéralisé, moins on a préservé de postes en or pour cette élite. Pensez à l'époque où EDF, la BNP, la SNCF, étaient des entreprises purement nationales. Que de carrières on pouvait faire, qui ne sont plus possibles aujourd'hui. Forcément, beaucoup se cabrent pour éviter que l'hémorragie ne continue.

Troisième raison : l'élite française est, par nature, conservatrice et hostile au risque, comme au changement. Les valeurs de l'élite française sont profondément protectrices. On sélectionne les gens pour être sûr qu'ils préserveront et qu'ils ne bougeront pas les lignes. Regardez l'attitude de l’État face à la dette : il dépense infiniment plus d'énergie à créer des impôts pour ne toucher à rien, qu'à réformer et réorganiser pour diminuer les dépenses.

En plaçant Marine le Pen, Manuel Valls et Nicolas Sarkozy en tête des personnalités capables de faire bouger les choses, les Français sont-ils séduits par les solutions plus ou moins détaillées et plus ou moins cohérentes qu'ils proposent ou davantage par le volontarisme et l'intention générale qu'ils affichent ? 

Eric Verhaghe : L'histoire de France est, depuis Vercingétorix et même avant, celle d'une immense et constante oscillation entre un régime aristocratique où rien ne bouge, où l'étiquette prime sur le fond, où la forme importe plus que le sens, et une tentation autoritaire, césarienne, où un leader charismatique prend le pouvoir et métamorphose la réalité nationale.

Il est très probable que nous soyons entrés dans l'ère de la seconde phase, après une longue errance et une longue décadence dans la première.

Permettez-moi une référence provocatrice à Georges Dumézil, un sociologue français qui soutenait que, dans le monde indo-européen, l'imaginaire collectif se structurait autour de trois figures : celle de la maternité (incarnée par Athéna chez les Grecs), celle de la guerre (incarnée par Mars) et celle du pouvoir (incarnée par Jupiter). Les trois noms que vous venez de citer me rappellent étonnamment cette triade.

Le FN l’emporte chez les catégories populaires tandis que l’UMP est en 1ère position chez les cadres et les retraités sur  la capacité à mener des réformes, y a-t-il autant de blocages aux yeux des Français que de catégories sociales ?

Eric Verhaghe : Je dirais plutôt qu'il n'y a plus de vision collective unique. Chacun conçoit la France depuis son point de vue, depuis son clocher. L'enjeu du politique est aujourd'hui de donner une vision collective. 

Ces trois personnalités sont connues pour avoir transgressé certains tabous en matière de d'immigration ou d'insécurité. Est-il particulièrement difficile de faire bouger les lignes sur ces questions ?

William Genieys : Il est clair que la question sécuritaire et celle de l’immigration demeurent sensibles. Dessus se retrouvent les trois personnalités mises en avant par le sondage qui ont pris des positions qui les singularisent sur le sujet. Néanmoins l’amalgame entre ces figures politiques ne doit pas être opéré car leurs positions sont dans la réalité assez différentes quant à la nature et aux degrés des solutions qu’il faudrait apporter en réponse à ces problèmes. Par contre, faire bouger les lignes est assez compliqué car le débat réactive fortement un clivage politique complexe. Ce qui est drôle, c’est que deux des trois leaders politiques mis en avant sur la question de l’immigration ont des ancêtres étrangers…

Eric Verhaghe : La ligne de fracture est, j'en suis persuadé, ordonnée autour de la question de la nation. La nation est-elle, pour aller vite, une tribu ou une ethnie ? ou bien est-elle un concept, une idée? Si l'on croit que la nation est une tribu, on légitime la distinction entre membres et non-membres de cette tribu en se référant à leurs origines. Si l'on croit que c'est une idée, l'origine ne compte plus. Cette distinction traverse en profondeur la droite et la gauche.

Elle entraîne des conséquences fortes en termes de sécurité. Faut-il rassurer les membres de la tribu effrayés par la dilution de leur identité ethnique? ou bien faut-il ignorer l'angoisse et demeurer dans la conviction que la France est d'abord la somme des volontés d'être Français?     

Les Français considèrent que le FN est mieux placé que l'UMP et le PS pour réformer. Est-ce à dire que le protectionnisme et l'Europe sont devenus les principaux problèmes du pays aux yeux des Français ? En quoi se trompent-ils ?

William Genieys : Les réformes protectionnistes, anti-européennes et anti-mondialisation dont il s’agit consiste à proposer le retour à un Etat « fort » imaginaire avec des frontières, une identité, une monnaie, etc. permettant de nous protéger contre l’Europe et l’économie globalisée et ensuite d’imposer nos idées. Cela ce n’est pas s’inscrire dans une logique de réforme, c’est se projeter dans une logique de régression dont les effets sociaux et économiques seraient très forts pour la France. Pour le dire autrement, à propos d’un pays si fier de son tour de France cycliste, c'est comme si on proposait de le faire à l’envers en pratiquant le retro pédalage. L’UE et la mondialisation ne sont pas les obstacles aux mutations nécessaires, c’est tout le contraire. Il faut arrêter de penser la France comme dans le monde merveilleux d’Asterix d’Uderzo, c’est à dire un petit village qui, doté d’une potion magique, va faire plier le Monde.

Eric Verhaghe : Ils se trompent en partie parce que le libre-échange n'est pas la cause du déclin français. L'économie française ne s'est pas adaptée à la transformation numérique mondiale qui est à l’œuvre, et qui est loin d'être achevée. Cette adaptation commence, et elle détruira encore bien d'autres certitudes. En revanche, ce qu'on appelle injustement le libre-échange (injustement parce que la libéralisation ne porte que sur les capitaux et les marchandises, pas sur les personnes) a un effet d'accélération et d'amplification de ces difficultés. Il les amplifie, mais il ne les cause pas. 

Il faut aujourd'hui prendre le temps d'expliquer tout cela aux Français, et se préserver la possibilité de desserrer l'étau.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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