Liberté de conscience des maires : "l’aspect politique de l’affaire a primé sur le juridique"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Liberté de conscience des maires : "l’aspect politique de l’affaire a primé sur le juridique"
©

Dilemme cornélien

Le Conseil constitutionnel a tranché. La liberté de conscience réclamée par les maires opposés au mariage homosexuel ne sera pas reconnue. Mais les motivations des sages restent floues.

Geoffroy de Vries

Geoffroy de Vries

Geoffroy de Vries est avocat au Barreau de Paris et avocat des maires du Collectif des maires pour l'enfance.

Voir la bio »

Atlantico : Le Conseil constitutionnel n'a pas reconnu, ce vendredi, la liberté de conscience réclamée par les maires opposés au mariage homosexuel. Comment les sages ont-ils motivés leur décision ?

Geoffroy de Vries : Dans sa décision n°2013-353 QPC du 18 octobre, le Conseil constitutionnel a reconnu que la liberté de conscience est « au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » mais il a considéré que la loi Taubira n’a pas porté atteinte à la liberté de conscience des officiers d’état civil.

Cette décision ne précise en rien les motifs justifiant la non reconnaissance aux élus locaux officiers d’état civil d’une réelle liberté de conscience ou d’une objection de conscience, ce qui est très choquant et qui peut laisser penser que l’aspect politique de l’affaire a primé sur le juridique.

Il faut se référer au commentaire de la décision qui a été préparé par le Secrétariat général du Conseil constitutionnel pour y trouver quelques motifs, qui ne manqueront cependant pas de subir la critique des juristes.

Ainsi, à titre d’exemple, le maire est à la fois un agent de l’Etat / officier d’état civil chargé de certains services publics (notamment la célébration des mariages, la tenue du registre d’état civil) et un élu au suffrage universel qui tient son élection de la mise en avant de ses opinions, notamment politiques ou éthiques. Or le Conseil constitutionnel semble ignorer ce dédoublement fonctionnel en ne retenant que la fonction d’officier d’état civil du maire et en l’assimilant ainsi à un simple fonctionnaire aux ordres de l’Etat.

Par ailleurs, selon ce commentaire de la décision, le principe de neutralité du service public s’opposerait à ce qu’un maire puisse s’abstenir de procéder à un tel mariage. Or on ne voit comment la liberté de conscience puisse être contraire au principe de neutralité du service public, à moins de considérer que les autres cas d’objection de conscience reconnus en droit français (par exemple pour le médecin de l’hôpital public ou le médecin libéral s’agissant de l’IVG, pour le chercheur s’agissant des recherches sur l’embryon) soient également contraires à ce principe.

La clause de conscience faisait partie des promesses faites par François Hollande au moment des débats du mariage pour tous. Celle-ci aurait-elle dû être prévue par la loi ?

Le président de la République a effectivement évoqué la question de la liberté de conscience le 20 novembre 2012, lors du congrès des Maires de France. Il avait déclaré, devant des milliers de maires qu’ « il y a toujours la liberté de conscience (…). La loi s’applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience » et ce, alors même que le Parlement n’avait pas encore commencé à discuter du projet de loi Taubira.

Conformément à l’article 5 de notre Constitution, le président de la République « veille au respect de la Constitution » et « assure (…) le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » dont les maires sont un rouage essentiel. Le président a ainsi rappelé au législateur (qui devait prochainement discuter du projet de loi) la nécessité de protéger la liberté de conscience, étant précisé que cette liberté n’aurait aucune application concrète si l’objection de conscience n’était pas reconnue… Mais, la sage recommandation du président n’a pas été suivie d’effet par le gouvernement et le Parlement.

Cependant, le Conseil constitutionnel n’a pas fermé la porte à une clause de conscience. Elle pourrait ainsi exister si elle était prévue par une loi. Et d’ailleurs, deux propositions de loi ont été récemment déposées en ce sens, l’une au Sénat par le sénateur Bruno Retailleau et l’autre à l’Assemblée nationale par le député Philippe Gosselin.

Vous prévoyez de vous tourner vers la Cour européenne des droits de l'Homme. Peut-elle casser la décision du Conseil constitutionnel ?

Cette décision du Conseil constitutionnel est non seulement critiquable sur le fond du droit mais également sur la forme, en ce qui concerne la procédure relative à l’affaire. Plusieurs griefs peuvent être reprochés en l’occurrence et il semble notamment que certains principes d’un procès équitable, au sens notamment de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’ont pas été respectés. Les maires requérants ont ainsi annoncé leur décision de saisir prochainement la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg pour faire valoir leurs droits.

Il est ainsi possible que la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour violation des principes liés au procès équitable et à la liberté de conscience, qui sont garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les maires ont déjà la possibilité de déléguer les mariages à leurs adjoints. Dans ce contexte, votre combat est-il idéologique et symbolique ?

Le combat des maires en faveur de la liberté de conscience n’est pas symbolique : il est pratique, juridique et, à certains égards, anthropologique !

La délégation n’est pas une solution, bien au contraire. En effet, il ne peut pas déléguer à un conseiller municipal la célébration du mariage qui lui cause un cas de conscience car une telle délégation suppose « l’absence » ou « l’empêchement » du maire, notion juridique précise et qui ne comprend pas l’hypothèse de l’objection de conscience. Qui plus est, la délégation se fait « sous la surveillance et la responsabilité » personnelle du maire. Autrement dit, c’est le maire qui agit par son mandataire, et donc qui « assume » juridiquement, certes, mais moralement aussi les actes du délégataire. Une telle délégation est bien loin de l’idée d’objection de conscience.

En somme, le maire objecteur de conscience est pris au piège : s’il ne veut procéder à un mariage qui heurte profondément sa conscience, il n’a le choix qu’entre la démission et la sanction (notamment 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende) !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !