Les 9 graphiques qu'il faut avoir vus pour comprendre l'état de l'économie mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le site Business Insider a publié une centaine de graphiques pour éclairer de manière large de nombreux élements de l'économie.
Le site Business Insider a publié une centaine de graphiques pour éclairer de manière large de nombreux élements de l'économie.
©Reuters

Leçon de choses

Business Insider a publié dans un article "Les plus importants graphiques du monde" issus des travaux de nombreux spécialistes afin d'apporter un éclairage économique général sur le fonctionnement de notre monde. L'économiste Mathieu Mucherie nous en commente les morceaux choisis.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Dans un article très spécial, le site Business Insider a publié une centaine de graphiques pour éclairer de manière large de nombreux élements de l'économie et des interactions mondiales intitulés "Most important charts in the world" (Les graphiques les plus importants du monde". L'économiste Mathieu Mucherie livre pour Atlantico sa sélection commentée pour comprendre l'état actuel de l'économie mondiale.

Des graphiques très utiles publiés par Business Insider, je ne retiens ici que les plus stimulants et surtout les plus structurels (il y a parfois chez les stratégistes une dérive très courtermiste) :

A tout seigneur tout honneur : la décomposition de la zone euro

On le voit à travers les déflateurs du PIB (la mesure officielle la moins mauvaise de l’inflation) par rapport à l’Allemagne. On aurait pu aussi illustrer le phénomène par les divergences dans les prix des exports. Anyway : les écarts persistent, à moins de chocs déflationnistes titanesques qui ne semblent être financièrement/politiquement/socialement soutenables qu’en Irlande (et encore).

L'important fossé de compétitivité de la zone euro

En fait le titre du graphique est quelque peu fautif, la compétitivité des pays n’existe pas, il n’existe que des pays avec des taux de changes inadaptés. Passons. L’important ce que, contrairement à ce que nous assènent les notes de brokers depuis des années, la zone euro ne se « rééquilibre » pas. L’important c’est aussi de voir que l’Allemagne si elle sert de benchmark et de « monnaie-ancre » si je puis dire n’est en aucun cas un « bon élève » : la stratégie de la déflation, du mercantilisme et de la monnaie chère est celle empruntée par le Japon dans les années 1990-2000 (une impasse totale) et c’est une stratégie qui n’est pas exportable en zone euro. A quand le « rebalancing » du modèle allemand pour permettre la survie de la zone euro ? à quand un changement de cap de la BCE ?

Bilan comparé de la FED et de la Banque centrale chinoise

Autre graph’ de grande envergure, les bilans comparés de la FED et de la Banque centrale chinoise, autour de 4000 milliards USD chacun, un bon point de départ pour parler de ces affaires monétaires internationales où on atteint souvent le Mont Fuji de l’hypocrisie et de la mauvaise foi :

Beaucoup de bruit du coté de la Chine (mais aussi de la Russie, du Brésil…) pour critiquer ces méchants ricains laxistes qui inondent le globe de billets verts fraichement imprimés. Mouais. Mais qui développe le plus la base monétaire ? Où se trouvent les masses monétaires les plus dynamiques, les M2 qui progressent de 20%/an, les bulles immobilières les plus démentes (essayez d’acheter à Sao Paulo… ou à Hong-Kong…) ? qui manipule le plus sa devise ? Où les réserves FX progressent-elles vivement ? Et qui sont les premiers à critiquer l’arrêt possible du QE3 ?

Bref. Derrière les Allemands, les Chinois sont les premiers trafiquants monétaires de cette planète, les premiers pour bloquer les dévaluations qui s’imposent chez ses voisins, les seconds pour subventionner les clients de Wal-Mart euh pardon pour soutenir leurs exports. Dans les deux cas, des balances courantes déformées, un modèle mercantiliste, des déséquilibres contagieux, et un bous-émissaire facile, la FED, à l’abri de laquelle le free riding prospère (regardez la BCE).

La synthèse des deux précédents graphiques donnée par celui-ci, qui vaut le détour :

Excédents commerciaux allemands

Le texte dit clairement les choses. On voit plus de rebalancing (transition du modèle économique des exports vers la demande domestique et les services) en Chine qu’en Allemagne. En dépit des « taux bas » et d’un faible taux de chômage, les consommateurs et les investisseurs allemands sont toujours aux abonnés absents (regardez les courbes lamentables des ventes au détail outre-Rhin), l’immobilier frémit à peine, les salaires sont plus que sages. Le pays reste orienté vers l’épargne et vers la production de surplus commerciaux stériles (quand vous n’avez pas eu d’augmentations depuis 10 ans, ça vous fait une belle jambe de savoir que vous vivez dans un pays excédentaire). Pourquoi pas, personne outre-Rhin ne remettra en question l’historiographie fantaisiste et les dogmes bullionistes de la Bundesbank. Par contre, exporter ce modèle ne peut se faire que par la force et le chantage. A court terme, le graphique ci-dessous suggère que cela fonctionne ; mais à quel prix, et pour combien de temps ?

Balance courante en fonction du PIB (en %) dans la zone euro

Pour enfoncer le clou, un mot sur les prêts bancaires aux entreprises en zone euro. Il parait que la BCE autorise des conditions monétaires très harmonieuses et parfaitement accommodantes en zone euro via sa politique très résolue et centrée sur le canal du crédit, et il parait que les banques vont très bien, et il parait que nous débordons d’entrepreneurs à l’œil vifs qui n’ont pas du tout des taux d’utilisation des capacités aux plus bas historiques. Vérifions tout de même au cas où on ne nous dirais pas toute la vérité :

Tendance des prêts bancaires aux entreprises en zone euro

Oup ! on nous aurait menti ? Au global le crédit bancaire recule sur un an en zone euro, et la tendance ne fait que se détériorer en dépit de la pseudo-reprise conjoncturelle de cet été. La preuve en image :

Ah… les conditions monétaires ne seraient pas si accommodantes (M3 qui décélère, l’inflation en berne, l’euro très cher) ? La BCE ne fait que bluffer avec son canal du crédit puisque les vaines tentatives de désendettement et le recloisonnement des marchés financiers européens obstruent largement ce canal ; elle aurait mieux fait de jouer sur 3 autres canaux au lieu de les polluer : pas de canal des anticipations sans une forward guidance digne de ce nom, pas de canal des prix d’actifs sans un gros quantitative easing, pas de canal du taux de changes sans une petite avancée vers la dévaluation. Il semblerait aussi que la demande agrégée ne soit pas là et ses perspectives plutôt ternes (nominal GDP, stupid !!), avec des surcapacités partout et en prime au passage des banques assez fragiles dans plusieurs pays (mais tout va s’arranger car la BCE et son cabinet de conseil en stratégie Oliver Wyman récupèrent la supervision du secteur…). Quant à la croissance potentielle que ces évolutions impliquent via le régime de sous-investissement et la spirale de debt-deflation…

Nous allons entrer dans la « 3e révooolution-industrielle-numééérique » avec un stock de capital inadapté et des légions de jeunes chômeurs pas du tout aigris ; à moins de suivre les estimations d’un autre cabinet en stratégie joliment résumées l’autre jour par Alexandre Delaigue sur le site des Econoclastes : je cite : «… A grands renforts de conférence de presse, de photo-souvenir avec un robot parlant, le gouvernement a présenté 34 projets innovants pour relancer l'industrie et la croissance française. Voitures sans conducteurs, ou qui consomment moins de 2l aux 100, TGV du futur... Le tout accompagné d'évaluations à n'en pas douter fort sérieuses du cabinet McKinsey, qui garantit sans rire 45 milliards d'euros de valeur ajoutée pour un investissement public de 3,7 milliards; même les arnaqueurs nigérians n'oseraient pas vous promettre un tel rendement total de plus de 1200% »... Plus belle la vie, plus innovante. Avec une innovation tombée du ciel, sans investissements préalables (autres que ceux de la BPI), de la création sans destruction, un redressement productif sans dévaluation de l’euro cher et des voitures sans conducteurs…

Enfin, le clou du spectacle ne vient pas de Business Insider mais de The Economist. C’est une façon de boucler la boucle, la décomposition par le bas, souterraine, insidieuse, de la zone euro. Une zone conçue pour décloisonner les marchés européens, pour autoriser des déficits sans pleurs, pour écarter les pressions à la répression financière, pour faire émerger un vaste marché de la dette corporate où des BBB espagnoles trouveraient à se financer comme des BBB allemandes, une union monétaire pour décorréler investissement domestique et épargne domestique… et qui échoue sur tous les plans :

Corrélation entre épargne et investissement :

Mario Draghi, 10 janvier 2013 : « We are now back in a normal situation from a financial viewpoint ». Nombreuses autres citations du même genre depuis des mois de la part des officiels de la BCE. Circulez, il n’y a rien à voir.

Conclusion

Pour ma part, si je suis autorisé à ajouter mon grain de sel, j’ai un graphique amusant sur un thème qui est certes sans grand intérêt (les finances publiques, combien de divisions face aux politiques monétaires en plein dans une crise déflationniste ?) mais qui dans le débat sur le debt-ceiling ne manque pas de saveur. Il semblerait que les dépenses publiques n’aient pas tout à fait le même profil des deux cotés de l’Atlantique, et que les discours soient souvent peu coordonnées aux données concrètes :

Il faut conclure. Les graphiques c’est épuisant voire déprimant, surtout ceux de la zone euro quand on ne prend pas bien garde de les lire à l’envers.     

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