Pourquoi on n'est pas près de comprendre ce qu'est la conscience<!-- --> | Atlantico.fr
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La science peine à comprendre la façon dont le cerveau produit la subjectivité.
La science peine à comprendre la façon dont le cerveau produit la subjectivité.
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Eurêka ! Ou pas

"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme", écrivait Rabelais pour expliquer que la recherche doit être soumise à la moralité pour éviter les débordements. Mais que sait vraiment la science de la conscience ? La subjectivité reste en partie une terra incognita pour la communauté scientifique.

René Misslin

René Misslin

René Misslin est professeur émérite de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg. Après avoir enseigné les lettres classiques durant plusieurs années, il s’est tourné vers les sciences comportementales (psychologie, éthologie). Il est l'auteur de Le comportement de peur:une approche multidimensionnelle (Publibook, 2006).

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Atlantico : La manière dont le cerveau produit la sensation d’une expérience subjective demeure un mystère. La science a-t-elle abandonné tout espoir de comprendre cette énigme ?

René Misslin : Les scientifiques considèrent comme une évidence le fait  que tous les êtres vivants ont des structures qui leur permettent de détecter des stimulations environnementales. C’est même le cas de la paramécie, un organisme unicellulaire microscopique couvert de cils, dont certains lui permettent de se mouvoir et d’autres de détecter des concentrations chimiques, comme celles d’un prédateur par exemple. Cette faculté de perception lui permet, une fois traitée l’information, d’émettre des réponses adaptatives de défense ou d’attaque. Dès le niveau unicellulaire, l’être vivant est donc capable de percevoir certains aspects du monde extérieur. En disant cela, on considère qu’elle a un univers intérieur. Par définition, la cellule est entourée d’une membrane qui l’isole de l’environnement et lui donne un caractère intérieur et subjectif. La conscience n’est donc pas seulement propre à l’homme. Les querelles autour de ces questions dépendent alors de la définition que l’on donne à ce terme polysémique.

Quelles sont les progrès neuroscientifiques ou informatiques qui permettent aujourd’hui d’avancer dans cette recherche ?

On est plus à même aujourd’hui de comprendre les mécanismes cérébraux sous-jacents à l’émergence de la subjectivité, de la conscience et des émotions. Je vais vous donner un exemple en tant que spécialiste de l’anxiété : lorsque vous vous promenez dans une forêt et que vous apercevez brusquement un serpent à vos pieds, cette perception déclenche une réaction quasi automatique de défense qui se traduit par l’arrêt puis le recul ou l’évitement. Mais cette réaction est-elle due à la peur ? Non car elle est tellement rapide qu'elle intervient avant même l'émotion de la peur. Notre cerveau est donc capable de court-circuiter les structures corticales responsables de la conscience de la peur et de déclencher les réactions de défense avant même qu’on ait eu le temps d’éprouver la peur.

Le passage d’un niveau de conscience réactif à un niveau réflectif est considéré la plupart du temps comme propre à l’homme. Or, on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai : les animaux sont également capables d’apprendre à inhiber certaines réactions et faire preuve d’apprentissage. C'est le cas de jeunes singes qui élaborent des outils pour chasser par exemple. Dans la théorie de l’évolution, les états de conscience sont apparus avec la vie et se sont développés plus ou moins vite selon le degré de complexification de l’organisme en question.

Pourquoi la vie mentale interne reste-t-elle pour l’instant inaccessible à la science ?

En tant que neurobiologiste, j’aurais tendance à adopter une philosophie moniste, qui envisage l’homme comme un organisme purement matériel, plutôt que dualiste, qui l’appréhende comme un corps et une âme. Mais certains faits restent étranges et mystérieux. Certaines personnes ayant une lésion de l’amygdale du cerveau n’éprouvent plus le sentiment de peur. Cette partie du cerveau est donc bien à la genèse de cette émotion mais en revanche, le ressenti de cette émotion reste énigmatique. Comment un organe qui fonctionne chimiquement et physiologiquement peut-il générer un sentiment subjectif ou une émotion ? On peut imaginer que cela est lié au fait que le cerveau lui-même est capable de se ressentir. Cet organe est une structure complexe car issu d’une évolution.

Le neurophysiologiste Mc Lean a émis l’idée que le cerveau humain était en fait constitué de trois cerveaux : reptilien, mammalien, et néocortical. Or lorsqu’on lui demandait ce qui nous différencie des autres espèces animales, Mc Lean a répondu : « Nous sommes les seuls animaux à avoir conscience de la mort. Ceci est une information qui nous provient du cerveau récent mais le vieux cerveau n’en veut rien savoir ».Nous sommes en effet les seuls à avoir conscience de notre mortalité, et encore, cette perception n'est acquise qu'au cours de notre développement, vers 5 ou 6 ans. Les grecs anciens au 5e siècle refusaient toujours cette réalité en continuant à nourrir leurs cadavres avec du miel et du lait. Cette faculté est liée au développement exponentiel de notre cerveau. Alors que le volume du cerveau d’un chimpanzé n’est que de  450 cm cube, celui de l’homme atteint 1350 cm cube. L’espèce humaine est donc particulièrement consciente, oui, mais elle n’est pas la seule espèce consciente.

Que sait-on sur l’apparition de la conscience ? Provient-elle d’un processus biologique, aussi complexe soit-il ou d’une origine encore inconnue ?

Si nous admettons que ce qu’on appelle la conscience est le fait que les êtres vivants ont un accès perceptif au monde, alors elle est effectivement une propriété de la vie. Dans son ouvrage récent, Expliquer la vie, l’historien des sciences André Pichot montre bien que tout être vivant s’est émancipé de la physique du monde ambiant, mais reste néanmoins dépendant de cet environnement. Ce qui leur permet d’être en relation indirecte avec l’environnement, c’est la perception.

Il est absolument primordial qu’un être vivant puisse percevoir son environnement, sinon il ne pourrait survivre. Et ces contacts avec l’extérieur se font sous forme de relation. Dans une certaine mesure, la conscience est l’un des aspects de cette relation avec l’environnement qu’elle soit sous une forme primaire comme une simple réaction ou élaborée avec l’apprentissage.

Peut-on imaginer un jour être capable de (re)créer la conscience ?

Il est aujourd’hui difficile de répondre à cette question. Mais certains sont convaincus qu’à force de sophistiquer les robots, ils auront un jour une image d’eux-mêmes. A partir du moment où on considère que le cerveau est à l’origine des sentiments, on peut imaginer qu’un robot perfectionné sera à terme capable, dans une certaine mesure, de faire une erreur d’appréciation et de corriger cette erreur à partir de la perception de ses conséquences négatives et ainsi émettre des réactions analogues à celles que nous appelons conscientes.

Propos recueillis par Pierre Havez

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