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Histoire du pénis : quand se faire traiter de "petite bite" était un compliment
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Bonnes feuilles

Tom Hickman écrit une balade érudite à travers les âges et les continents au pays de cet inconnu célèbre qu'est le pénis. Extrait de "Le bidule de Dieu" (1/2).

Tom Hickman

Tom Hickman

Écrivain et journaliste, Tom Hickman est l'auteur de nombreux ouvrages sur la Grande-Bretagne. On lui doit notamment une histoire de la BBC durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'une histoire du service militaire. Il a aussi consacré un essai (Un siècle d'amour charnel, Éditions Blanche, 1999) à l'évolution des mœurs sexuelles au XXe siècle.

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L’importance de la taille du pénis s’ancre très tôt dans l’esprit masculin. Lorsqu’un tout petit garçon se trouve confronté à un pénis d’adulte, il n’en croit pas ses yeux : impossible que son propre petit morceau de chair ait un quelconque rapport avec une chose qui ressemble au Gruffalo. Alexander Waugh, dans son livre Fathers and Sons, se demande si une telle découverte « ruine ou accroît la confiance sexuelle des jeunes mâles ». Le jour où il surprit son jeune fils, debout sur un seau posé contre la fenêtre, avec vue plongeante sur ses « zones privées 1 », Waugh écrivit un poème qu’il fit apprendre par coeur à son fils :

Car il n’est qu’un idiot et un pleutre

Celui qui rêve de l’engin de son père

Ou rampe et épie et tente d’espionner

Ce qui se cache derrière la braguette (de son pauvre papa)

Mais un garçon a besoin de savoir. Et qu’il le découvre par accident ou en le cherchant, à partir du moment où il a décidé qu’un jour le sien aussi ressemblera à cela, il meurt d’impatience, comme Portnoy, prêt à échanger son « pénis de la taille d’une phalange » contre quelque chose qui égalerait le « schlong » de son père :[il] fait penser aux tuyaux d’incendie enroulés dans les couloirs de l’école. Schlong : le mot évoque à la perfection la bestialité, l’aspect bidoche que j’admire tant, le balancement totalement stupide, lourd et animal de cette section de tuyau vivante. (Philip Roth, Portnoy et son complexe)

La crainte de voir leur pénis échouer dans sa métamorphose est une chose terrifiante pour la plupart des mâles, à l’âge d’une puberté hormonalement perturbée, état on ne peut mieux décrit dans cet article- confession d’un collaborateur du magazine Cosmopolitan :

C’était en 1984. J’avais douze ans. Un jour, un joueur de rugby plus âgé que nous et qui restera anonyme fit nonchalamment son entrée dans le vestiaire où quelques copains et moi étions réunis. Il se dévêtit et se dirigeait vers la douche quand il remarqua que plusieurs adolescents le regardaient fixement, écarlates et la mâchoire pendante. Sur quoi, il se tourna vers nous et déclara : « Qu’est- ce qui vous arrive, les gars ? Vous aviez encore jamais vu 45 centimètres de tuerie en liberté ? » Je l’avoue franchement, aucune femme au monde ne pourrait me faire me sentir aussi petit.

Le résultat, c’est que bien peu de mâles parvenus à l’âge d’homme sont capables de se libérer complètement des préoccupations relatives à la taille de leur pénis. Un phénomène qui, comme le fait remarquer Alex Comfort dans Les Joies du sexe, est « biologiquement inscrit en nous » et qui fut qualifié d’« obsession » par l’anthropologue Jared Diamond à l’époque où il enseignait la physiologie à l’université de Californie..

Il en allait pourtant tout autrement dans la Grèce antique. À Athènes, les pénis les plus appréciés étaient petits et nerveux (dans les pièces d’Aristophane, des diminutifs tels que posthion, « petite bite », sont des compliments) tandis que les gros étaient considérés comme vulgaires et affreux, apanage (selon les Athéniens) des seuls barbares ainsi que des satyres qui, dans leur mythologie propre, étaient comiques un peu à la manière des vieux films muets, même si nous en avons tiré le plus subtil mot « satire ». « Les Athéniens n’auraient rien compris aux blagues contemporaines des enterrements de vie de garçon sur les hommes bien montés », écrit Eva Keuls dans The Reign of the Phallus. Les Romains, eux, voyaient les choses d’une façon peu différente de celle de l’homme moderne : ils avaient une prédilection pour les gros pénis – il arrivait aux généraux romains de faire monter des hommes en grade sur la seule foi de leurs généreux additifs génitaux. « Quand dans les bains on entend crépiter des applaudissements, écrivit l’inventeur de l’épigramme Martial, il est probable que l’énorme bite de Maron en est la cause. » Et, tout comme l’homme contemporain, les Romains ne se gênaient pas pour ridiculiser quiconque se situait de façon flagrante au- dessous de la moyenne, ce que fit le poète Catulle à propos d’un compatriote romain « dont la petite dague pendouillant plus mollassonne que la tendre betterave ne se dressait jamais jusqu’au milieu de sa tunique » – deux mille ans plus tard, la moquerie trouve un écho sous la plume de l’envoyé spécial d’un magazine dans un camp de nudistes qui, après avoir observé à la dérobée « une pauvre petite chose, une portion de mollusque garni façon nouvelle cuisine », conclut que, s’il en était le propriétaire, « [il] serai[t] terré chez [lui] ».

Secrètement, les hommes ont toujours rivalisé avec les autres à propos de leur pénis. Si leurs lointains ancêtres s’en flagellaient l’abdomen pour décourager leurs rivaux ou le secouaient sous le nez de leurs inférieurs ainsi que certaines espèces de primates continuent de le faire, les hommes modernes perpétuent cette pratique, quoique de façon métaphorique – comme dans l’art japonais, où l’hypertrophie des organes sexuels est de mise et où l’on voit souvent des hommes se battre en duel avec leurs pénis. L’homme politique américain Walter Mondale déclara un jour, après un différend avec George Bush Senior : « George Bush n’a pas la virilité suffisante pour s’excuser. » Ce à quoi son adversaire se sentit autorisé à rétorquer : « Pour ce qui est de la virilité, je compare quand il le veut la mienne à la sienne » – évoquant ainsi Grumio qui, dans La Mégère apprivoisée, répond à l’insulte de Curtis au sujet de son appendice en disant : « Je ne mesure que sept centimètres ? Si ta corne en fait trente, la mienne est à tout le moins aussi longue. » Aucun homme ne veut être pris pour ce que Shakespeare appelait « un idiot de sept centimètres » ; cette vérité n’échappa pas à l’agence publicitaire en charge de la communication de Tel Aviv, qui conçut en 1994 une campagne d’affichage visant les conducteurs, notoirement mauvais, de la ville : « Les études le prouvent : les conducteurs agressifs ont un petit pénis », proclamait la publicité. Il n’est donc pas surprenant que dans les vestiaires, tant d’hommes se sentent obligés d’étirer subrepticement le leur quand d’autres congénères sont présents – comme Alan Bates et Oliver Reed reconnurent l’avoir fait avant le tournage de la scène de Love dans laquelle ils luttent tous deux nus – afin de s’assurer qu’il se présente au mieux de sa forme.

Toutes choses qui aboutissent à ce que Rosalind Miles décrit, dans Les Rites de l’homme : Amour, sexe et mort dans la fabrication du mâle, comme la « manie de l’observation subreptice des bites. Dans les toilettes publiques, les piscines, les gymnases et même au ballet, [les hommes] jaugeront toujours la concurrence ».

Vrai ou faux ? Dans un de ses nombreux sondages consacrés au sexe, le magazine Cosmopolitan a demandé à des hommes s’ils « lorgnaient furtivement le petit matériel des autres hommes » quand ils urinaient dans des toilettes publiques ; il leur était aussi demandé s’ils préféreraient avoir un pénis de 8 centimètres et gagner cent mille livres par an ou posséder un pénis de 25 centimètres et n’en gagner que dix mille. Le sondage était bien entendu frivole et s’attira sans nul doute une bonne part de réponses du même type. Le résultat n’en fut pas moins révélateur : à la première question, 82 % des hommes interrogés répondirent « jamais », 16 % répondirent « parfois » et 2 % répondirent « toujours », alors qu’en pratique l’ordre inverse est plus probable – l’instinct qui les pousse à jeter un regard subreptice est si fort que de nombreux hommes le font sans même s’en rendre compte, et que bon nombre de ceux qui ne le font pas ne brident leur instinct que pour ne pas attenter à la morale – sauf, peut- être, dans les clubs gays.

Alors qu’il attendait au milieu de toilettes à la propreté étincelante, il se sentit seul et se demanda où pouvait être Danny. Tout le monde s’affairait autour de lui ; des hommes attendaient deux par deux devant les cabines, d’autres en short ou en jean élimé secouaient la tête avec conviction au rythme de la musique, enfermés dans leur monde intérieur. Un type en treillis se retourna à demi et lui fit signe de venir partager son urinoir – Alex se pencha sur son épaule et regarda son gros zob recourbé en train de cracher des jets de pisse intermittents. Il se déboutonna et glissa sa main à l’intérieur et… elle était là, si recroquevillée qu’il la dissimula à son ami, qui dit : « C’est pas grave, t’es bourré », puis : « Tu peux y arriver » et enfin, avec gourmandise : « Bon, montre- nous un peu ça » tandis qu’il se branlait tout en matant encore et encore. (Alan Hollinghurst, The Spell).

Extrait de "Le bidule de Dieu", Tom Hickman, (Editions Robert Laffont), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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