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Communication : comment la cacophonie est devenue une appellation d'origine contrôlée de la gauche au pouvoir
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Bonnes feuilles

Denis Pingaud décrypte les erreurs de com' du début du quinquennat de François Hollande qui expliquent, pour une part, son déficit record de popularité. Extrait de "L'Homme sans com" (2/2).

Denis Pingaud

Denis Pingaud

Denis Pingaud est président de la société Balises, conseil en stratégie d’opinion et de communication. Il enseigne la communication politique à Sciences Po. (@pingaud)

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Bien que le chef du gouvernement affiche régulièrement sa volonté de surveiller la parole de ses ministres, cette manifestation légitime d’autorité n’est pas toujours suivie d’effets. Le mouvement vient de loin. Dès le jour de sa prise de fonction, le 17 mai 2012, Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, joue la première fausse note du gouvernement.

Au micro de France Inter, il rappelle que François Hollande a promis de revenir sur la semaine de quatre jours à l’école primaire, instaurée en 2008. Mais il s’engage plus loin : « Nous allons revenir à la semaine de cinq jours, dit- il, ce n’est pas le plus simple, mais nous le ferons, pour la rentrée 2013. » Il est optimiste, comme va le prouver l’histoire mouvementée de la réforme des rythmes scolaires, mais surtout maladroit. Le Premier ministre doit rappeler, dès le lendemain, sur la même antenne – ce qui fait forcément désordre ! – que la concertation prime et qu’une décision ne sera prise qu’à son terme.

Quelques semaines plus tard, Cécile Duflot, ministre de l’Égalité territoriale et du Logement, s’amuse à évoquer la muselière qu’elle est désormais obligée de porter. Elle a été sévèrement recadrée pour des propos tenus en faveur de la légalisation de la consommation de cannabis. Et Vincent Peillon, encore lui, s’autorise bientôt, à titre personnel, à défendre le même point de vue, en vérité partagé par la plupart des responsables politiques, de gauche comme de droite, mais ne figurant pas dans les promesses de François Hollande.

Cette fois, Jean- Marc Ayrault se fâche tout rouge : « Les ministres ont à se concentrer sur la mission qui est la leur. » Il n’est pourtant pas le dernier dont le geste ou la langue fourchent. Alors qu’un coup de filet antiterroriste fait l’actualité du week- end, en octobre 2012, le voici en train de poser dans un train fantôme aux côtés de Martine Aubry, large sourire au visage, à l’occasion d’un déplacement à Lille. Quelques jours plus tard, il doit faire son mea culpa devant la représentation nationale après avoir très imprudemment annoncé, un matin, la décision du Conseil constitutionnel d’invalider le projet de loi sur le logement social, alors même que les sages n’ont pas encore rendu publique leur sentence.

Peu après, il fait encore plus fort. Il allume le feu sur les 35 heures, sujet particulièrement sensible de la vie politique française, en répondant aux questions des lecteurs du Parisien : « Les 35 heures, dit- il, ne sont pas un sujet tabou1. » Dérapage étonnant s’agissant de réponses que son cabinet a la possibilité de relire, et éventuellement de corriger, et qui oblige le Premier ministre à contrebraquer sèchement dès le lendemain matin : « Il n’est pas question de revenir sur les 35 heures2. » Les maladresses ne sont décidément pas l’apanage des ministres.

Elles sont parfois le fait du président lui- même qui, au moins à deux reprises, contribue directement ou indirectement à la cacophonie. La première fois, le très fâcheux tweet de sa compagne Valérie Trierweiler réplique à un écart que s’est autorisé le chef de l’État. Contre tout usage, François Hollande avait accepté, la veille, de signer un appel à voter pour son ex- compagne, Ségolène Royal, à l’occasion du deuxième tour de l’élection législative de La Rochelle. Le scrutin s’annonçait particulièrement périlleux face à un dissident du Parti socialiste et le texte figurait en bonne place dans la profession de foi de la candidate. Voilà le chef de l’État ridiculisé tous les soirs aux Guignols de Canal+, assis entre deux femmes qui lui donnent des ordres contradictoires. Il faudra une ferme mise au point un mois plus tard, lors de son interview du 14 juillet, et ensuite un certain temps pour que se floute l’image fâcheuse d’un homme manquant d’autorité.

La deuxième fois, c’est une improvisation de quelques mots – qui ne figuraient pas dans le discours officiel – lors du congrès des maires de France, en novembre 2012. François Hollande reconnaît d’avance aux édiles la « liberté de conscience » pour ne pas célébrer, le cas échéant, les mariages entre personnes du même sexe dont le Parlement s’apprête à introduire le droit dans le Code civil. La grosse boulette, dont l’opposition se saisit immédiatement après le succès des premières manifestations « pour tous », est corrigée le lendemain à l’occasion d’un entretien du président avec les représentants de l’Interassociative lesbienne, gay, bi et trans (Inter-LGBT). Après la longue joute qui dure plusieurs mois, il précise de nouveau, la veille de la promulgation de la loi, que celle- ci s’applique désormais à tous les officiers d’état civil.

L’interminable discussion a donné lieu à d’autres cafouillages. Au début de l’examen du texte en séance plénière à l’Assemblée nationale, en février 2013, Dominique Bertinotti, ministre de la Famille, est publiquement désavouée par le Premier ministre. Depuis Phnom Penh où il effectue un voyage officiel, ce dernier la contredit ouvertement sur la date d’inscription dans un projet de loi du droit à la procréation médicale assistée (PMA) pour les couples de femmes. Le sujet est sensible. Promesse de campagne finalement écartée du débat sur le « mariage pour tous », elle a été soumise à la réflexion du Comité consultatif national d’éthique pour calmer les opposants. Après un psychodrame de quelques heures, le gouvernement accorde ses violons.

Extrait de "L'Homme sans com", Denis Pingaud, (Editions du Seuil), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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