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Les marchés entretiennent
la crise alimentaire mondiale
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Variations saisonnières

La sécheresse, débutée il y a déjà plusieurs semaines, promet de durer. Si cette nouvelle crise climatique fragilise un peu plus l'agriculture française, peut-elle avoir des conséquences sur le niveau des prix alimentaires mondiaux ?

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard est économiste, ancien directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La régulation des marchés agricoles (L’Harmattan, 2007).

 

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La sécheresse menace l’Europe. Un coup d’œil sur le site de l’USDA, le ministère de l’agriculture des Etats-Unis, qui publie des relevés de satellites sur l’agro-météorologie mondiale, montre bien la situation : sur une grande partie de la France et de l’Allemagne ainsi que dans le sud de l’Angleterre, les précipitations sont inférieures de plus de 50 % à la moyenne des dernières années.

Faut-il pour autant craindre les catastrophes annoncées, la perte des récoltes, la hausse des prix alimentaires, l’effondrement de la balance des paiements du fait de la baisse des exportations, et de l’accroissement des importations d’urgence de produits de première nécessité ? Cela n’est pas sérieux !

Le faux problème de la sécheresse

D’abord, comme le montre le site web cité plus haut, les précipitations ne sont pas inférieures à la moyenne partout : au Portugal, en Italie, à l’est de l’Europe, elles sont « mieux que la moyenne ». Mais surtout, l’indice « NDVI » qui mesure la  santé de la végétation est partout élevé, et largement supérieur à la moyenne. Sans doute, cela peut-il évoluer assez vite dans un sens ou dans l’autre. Mais cela relativise la catastrophe pour le moment - du moins, la catastrophe « sécheresse », car d’autres, plus sérieuses, pourraient se trouver à  l’horizon…

En dépit de ces remarques optimistes, rien, en effet, ne dit que les prix alimentaires mondiaux ne vont pas exploser (ou peut-être s’effondrer) cet été.  Mais la sécheresse n’y sera pour rien, pas plus que la sécheresse en Australie n’y était pour quelque chose dans la crise des prix de 2007. Il y a toujours une sécheresse quelque part dans le monde, et c’est bien commode pour expliquer les sautes de prix. Pourtant, de tels événements sont toujours « petits » à l’échelle du globe, de sorte que s’ils surviennent en un point donné, à l’heure des  transports de masse et de la libéralisation, ils sont facilement compensés par un événement analogue en sens contraire quelque part ailleurs.  

Prix administrés vs. prix de marché

Si les prix agricoles fluctuent - et ils ont fluctué ces dernières années de façon insensée ! - c’est que les marchés ne fonctionnent pas ou fonctionnent mal lorsqu’il s’agit de produits de première nécessité à longs délais de production. Lorsque les prix alimentaires augmentent sur un marché, cela ne change guère les quantités consommées, car les acheteurs préfèrent se priver d’autre chose que de manger. Du coté de l’offre, les agriculteurs doivent planifier leur production au moins un an à l’avance (et souvent plus !). Ils ne peuvent donc pas instantanément « répondre aux signaux des prix », comme le voudraient les dogmes de l’économie libérale. Quand ils le peuvent enfin, il est  trop tard, et on tombe dans l’excès inverse : les prix s’effondrent en dessous des coûts, parce que les bas prix n’incitent pas les consommateurs à consommer plus, de sorte que les marchandises sont invendables.

Pour remédier à ces phénomènes, au siècle dernier, les conseillers du président Franklin D. Roosevelt aux Etats-Unis avaient trouvé la solution : déconnecter l’agriculture du marché, et remplacer les prix de marché par des prix administrés fixés par L’État, ce qui permet aux agriculteurs d’investir et de gagner en productivité. De 1945 à 1990, dans le long terme, les prix des denrées agricoles de base ont été divisés par quatre : les contribuables qui ont financé ces politiques en on eu pour leur argent !

Depuis les années 90, de pseudo-économistes intégristes ont pris le pouvoir et imposé  le règne du marché aussi bien lorsqu’il est efficace que lorsqu’il ne l’est pas. Nous en récoltons les fruits aujourd’hui : les prix agricoles, en moyenne, remontent à long terme, tout en devenant de plus en plus volatils à court terme. Cela, à juste titre, gène les autorités, qui cherchent des explications susceptibles de les exonérer de leur responsabilité… La sécheresse en Europe cette année, si elle se matérialise, aura bon dos ! 

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