Mais pourquoi la France détient-elle le quasi record européen du nombre d'individus renonçant à se soigner pour des raisons financières ?<!-- --> | Atlantico.fr
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33% des Français renoncent à se soigner ou reportent le moment des soins dont ils ont besoin faute de moyens.
33% des Français renoncent à se soigner ou reportent le moment des soins dont ils ont besoin faute de moyens.
©Drchiodo.com

Panser ses plaies

Malgré notre système de santé souvent porté aux nues pour sa qualité, les Français sont les Européens qui renoncent le plus à se soigner pour des raisons financières. C'est ce que révèle le baromètre d'Europ d'assistance, révélant au passage le désengagement - non assumé politiquement - de la Sécurité sociale.

Frédéric  Pierru

Frédéric Pierru

Frédéric Pierru est sociologue, chargé de recherche au CNRS,au CERAPS-Université Lille 2 . Il travaille sur la réforme des systèmes de santé français et européens. Il a publié, entre autresHippocrate malade de ses réformes (Editions du Croquant – 2007), Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, Paris, Odile Jacob, 2011 ; L'hôpital en réanimation, Editions du Croquant, 2011 et L'hôpital en sursis. Idées reçues sur le système hospitalier, Le Cavalier Bleu, 2012 (avec Bernard Granger).

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Atlantico : Selon le baromètre d’Europ assistance, 33% des Français renoncent à se soigner ou reportent le moment des soins dont ils ont besoin, faute de moyens. La France est d'ailleurs le seul pays de l'Union européenne dans lequel cette tendance est en forte hausse avec +6 points par rapport à 2012. Qu’est-ce que cela révèle de l’état d’esprit des Français sur la question ? Pourquoi renoncent-ils ainsi à se soigner ?

Frédéric Pierru : Le fait est que les Français s’aperçoivent progressivement d’une transformation, qui était jusque-là assez souterraine, qui est le désengagement de la sécurité sociale, de longue date dans l’optique et le dentaire, mais aussi des soins courants. Petit à petit, mesure après mesure, il y a un choix qui a été fait mais qui n’a pas été assumé politiquement, qui est de recentrer la Sécurité sociale sur les affections de longue durée. Sur les affections courantes, on est passé à moins de 50% de prise en charge, ces soins étant ristournés vers les complémentaires santé qui constituent un monde complètement inégalitaire. D’ailleurs, près de 4 millions de Français n’en ont pas. Nombreux sont les Français ne sont pas éligibles à la CMU, ni à l’aide à l’achat d’une complémentaire santé et renoncent donc aux soins…

Cette prise de conscience de nos concitoyens prend d’autant plus d’ampleur que nous sommes en période de fragilité économique, de fort chômage et de baisse de revenus. Ce sondage n’a donc rien de surprenant au sens où il révèle le sentiment de délitement de leur système de santé, réalisant que de plus en plus de choses sont déremboursées, ils s’en éloignent progressivement pas par manque de besoin mais en prévision de contraintes économiques.

Si les Français sont de moins en moins à se soigner, ils ont a contrario une opinion plutôt favorable de leur système de santé comparé à leurs voisins européens (les Français attribuent une note de 5.1 contre 4.7 de moyenne en Europe). Comment peut-on expliquer cette situation ?

Ce phénomène un peu paradoxale est assez classique des enquête d’opinion, particulièrement sur les questions de santé. Que l’on parle de la médecine en général, de l’hôpital en général ou autres, le système français part de très haut et reste donc assez bon à l’échelle du monde – notamment par rapport à son homologue américain – et dans l’esprit des gens. Il est même surprenant que les Américains notent le leur à  environ 4,5 alors que nous notons le notre à 5,1…

Cela n’empêche cependant en rien la présence d’un sentiment d’effritement et d’injustice croissante. Je n’ai rien contre le privé mais sur la question de la santé, tous les économistes vous le diront, c’est opaque et inégalitaire. La concurrence ne fonctionne pas là-dessus car il est très complexe de comparer véritablement les offres et cela limite donc fortement le gain pour le consommateur qui est généralement attribué à la privation d’un marché. Ce système ne régule pas les dépenses et il suffit de prendre l’exemple l’optique qui n’est plus à la charge de la Sécurité sociale : rien n’a été amélioré par la privatisation et les lunettes en France sont très chères à l’échelle de l’Europe.

Les soins dentaires et optiques sont ceux auxquels les Français renoncent le plus. Sont-ils devenus des soins secondaires à leurs yeux ?

Non, c’est juste qu’ils sont les plus mal remboursés par la Sécurité sociale, ils sont « la pointe avancée » des soins courants. Cela nous donne une idée de ce que seront bientôt ces derniers si on continue ce désengagement progressif de la Sécurité sociale.

Quelles solutions pour ce constat ? Doit-on remettre en cause le système de santé français ?

La première des solutions serait avant tout de mettre en place un débat ! Un débat sur l’égalité que les Français souhaitent conserver ou rajouter, ou encore retirer à leur système de santé. S’ils n’en ont rien à faire – et bien que tous les baromètres indiquent le contraire – alors très bien. S’ils souhaitent conserver un système égalitaire, il faut prendre des mesures.

Ce que nous prônons dans l’appel que nous avons lancé avec de nombreuses personnalités , dont entre autres Michel Rocard, c’est le maintien des affections longue durée à 100%, un taux de prise en charge des dépenses hospitalières à 93% et retour à la prise en charge des soins courants à 80%.

Est-il vraiment  concevable de revenir à ce niveau de remboursement  aujourd’hui ?

Pour un individu lambda comme vous et moi, que ce soit la CSG ou votre mensualité de complémentaire santé qui augmente ça ne change rien puisque de toute façon c’est vous qui assumez cette dépense. Reste à savoir si vous préférer que de l’argent soit donné à des organismes privés qui financent leur marketing et leur publicité ou payer de la CSG… Personnellement, j’ai choisi. Quel que soit le côté duquel on vous prend l’argent, peu importe puisqu’une complémentaire santé est quasiment un prélèvement obligatoire. Il ne s’agit pas de se prononcer sur les bienfaits ou pas de la privatisation mais sur ce que l’on veut faire du système.

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