Alain Lambert : "La crise des finances publiques pourrait nous emporter dans une situation à la grecque" <!-- --> | Atlantico.fr
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"Nous n’avons jamais tiré vraiment les conséquences du choc pétrolier de 1973."
"Nous n’avons jamais tiré vraiment les conséquences du choc pétrolier de 1973."
©Reuters

Situation explosive

Ancien ministre du Budget (2002-2004), Alain Lambert publie ce mercredi "Déficits publics, la démocratie en danger", dans lequel il alerte sur le risque d'une dilution de l’État provoqué par la crise de la dette.

Alain Lambert

Alain Lambert

Alain Lambert a été ministre du Budget et de la Réforme budgétaire de 2002 à 2004. Il est actuellement président du Conseil national d'évaluation des normes.

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Atlantico : Vous publiez ce mercredi "Déficits publics, la démocratie en danger" (voir ici) . Selon vous, la dette menace désormais la démocratie, et la crise de nos finances publiques pourrait conduire au délitement de l’État. La France est-elle la Grèce de demain ?

Alain Lambert : Pour l'instant la France bénéficie d'un paratonnerre puisqu'elle est classée "systémique", ce qui veut dire que son "défaut" serait réputé entraîner celui des autres pays européens et celui notamment de toute la zone euro. Cela étant Lehman-Brothers était aussi considérée comme "systémique" et chacun a vu le résultat. Le mur de Berlin était aussi réputé infranchissable, il a fini par céder. A force de nous abriter derrière un statut protecteur, la digue pourrait sauter et nous emporter soudain dans une situation d'abord à la portugaise ou l'espagnole et ensuite à la grecque. Il nous reste moins de deux ans pour réussir le sursaut indispensable.

L’État, qui ne sait plus vivre sans l'emprunt, a-t-il déjà abdiqué devant l'omnipotence des marchés et des agences de notation ?

 Pour l'instant les marchés et les agences de notation ont été d'une complaisance anesthésiante pour la France. L’État continue d’emprunter plus que de raison à un coût faible comparé aux risques que nous représentons. Ne cherchons donc pas des boucs-émissaires du côté des marchés ou des agences.

Vous brandissez également la menace d'un délitement de la démocratie intergénérationnelle, la crise des finances publiques peut-elle déboucher sur un choc des générations ? Comment ?

C’est une grave lacune de nos démocraties que de limiter la protection aux seules générations vivantes. Tout se passe comme si la politique se résumait à un arbitrage des intérêts entre les générations présentes. Les ajustements se font dès lors au dépend des générations montantes minoritaires, de celles qui n’ont pas encore le droit de voter ou qui sont à naître. C’est une tragique imposture qui annonce une révolte des enfants à l’endroit de leurs aînés qui leur laisseront pour héritage des dettes et des pensions à payer supérieures à leur propre revenu.

Comment en est-on arrivé là ? Est-ce la responsabilité des politiques, des administrations ou des citoyens eux-mêmes ?

Nous n’avons jamais tiré vraiment les conséquences du choc pétrolier de 1973. Notre modèle économique fondé sur une énergie et des matières premières quasiment gratuites a perdu sa compétitivité. Notre niveau de vie a été artificiellement préservé par les déficits et la dette, mais 37 ans après nous sommes au pied d’un mur de dettes et de déficits.

L’aveuglement est une responsabilité collective. Le corps politique a esquivé sa responsabilité en s’étourdissant dans une médiatisation assourdissante transformant les élections en concours télévisés de promesses fallacieuses. Les administrations se sont emparées du pouvoir ainsi abandonné par les élus politiques et se sont dévoyées dans une bureaucratie kafkaïenne. Enfin les citoyens candides se sont offerts au plus offrant sans se rendre compte que c’était eux qui paieraient.

Vous balayez les critiques des eurosceptiques. Pourtant, face à la crise de la dette souveraine des Etats, les politiques de réduction budgétaire n'ont pas encore prouvé leur efficacité. Malgré la multiplication des plans de rigueur la Grèce continue de s'enfoncer dans la crise. Les dirigeons européens ont-il fait une erreur de diagnostique sur la nature de la crise ? Celle-ci est-elle seulement budgétaire ou également monétaire ?

La politique de change est restée entre les mains des Etats. Les allemands n'ont pas choisi de dévaluer leur monnaie pour effacer leurs lâchetés. Si les Français veulent le faire, ils doivent le dire clairement : nous voulons vivre au-dessus de nos moyens et renvoyer la facture à nos enfants ! Quel leader politique sera prêt à assumer ce discours qui est tacitement celui actuel non assumé.

S'agissant des déficits qui alimenteraient la croissance, c'est une vieille théorie qui n'a jamais connu d'application durable et réussie nulle part. Alors que le redressement par la maitrise des dépenses a de nombreux exemples, Suède, Canada, Nouvelle-Zélande etc.

Les déficits se conçoivent en bas de cycle pour alimenter la machines économique et éviter qu'elles ne cale. Mais en haut de cycle, cela aboutit chaque fois à une débauche de dépenses nouvelles pérennes qui se paient au prix fort au premier ralentissement.

Enfin si nous n'avions pas eu l'Europe et l'Euro, nous aurions déjà dévalué 2 ou 3 fois et nous n'aurions jamais survécu à la crise de 2007.

Vous déplorez la technicité de la question des finances publiques et voulez faire  œuvre de pédagogie. Votre livre n'en reste pas moins extrêmement complexe et technique. Comment rendre les questions budgétaires accessibles à chaque citoyen ?

Le bon équilibre entre pédagogie vulgarisation, simplification et caricature n’est pas toujours facile à trouver. Le livre est moins technique que ne l’est la réalité des questions de finances et d’économie qui s’imposent pourtant à tous les Français. Je me suis efforcé de rédiger un manuel de bon usage de la démocratie, un guide pratique pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. C’est une invitation à réfléchir ensemble à la manière de rendre la vie plus responsable et plus humaine. Cela suppose de faire un tout petit effort de compréhension, effort qui permet de passer de la condition de sujet à citoyen.

Quels sont les principaux remèdes pour réduire la dette française ?  Ces derniers sont-ils acceptables par l'opinion ?

Le seul moyen de réduire la dette est de maitriser les dépenses. Par exemple d'accepter la stabilisation en valeur (en euros courants) pendant 2 ou 3 ans des dépenses des administrations publiques. C'est tout à fait acceptable pour l'opinion, surtout quand on aura la loyauté de lui révéler que ce qu'elle ne voudrait pas accepter sera payé encore plus cher par ses enfants. Le redressement d'un Pays appelle moins à la technique qu'à l'éthique c'est-à-dire à un comportement moral et humain responsable

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