Les bulles existent-elles ? L'étrange prix Nobel d'économie qui se garde de trancher entre ceux qui y croyaient et ceux qui n’y croyaient pas<!-- --> | Atlantico.fr
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"Robert Shiller, depuis son ouvrage "L’Exubérance Irrationnelle" paru en l’an 2000, est devenu le pape de la bulle."
"Robert Shiller, depuis son ouvrage "L’Exubérance Irrationnelle" paru en l’an 2000, est devenu le pape de la bulle."
©Flickr

Le juste prix

Le prix Nobel d’économie a été décerné à trois économistes pour des travaux portant sur le même thème : l’analyse empirique du prix des actifs.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le prix Nobel d’économie a été décerné ce 14 octobre à trois économistes, non pour un travail en commun, mais pour des travaux portant sur le même thème : l’analyse empirique du prix des actifs.

Les trois lauréats sont Eugene Fama, Lars Peter Hanson et Robert Shiller. Il est intéressant de noter les divergences d’analyses exprimées entre Fama et Shiller, largement contradictoires. Lars Peter Hanson est quant à lui incarcéré dans la case du statisticien, dont le travail repose sur les méthodes employées pour tester des théories économiques, et notamment celles développées par ses co- lauréats du Nobel 2013.

Eugene Fama a développé au cours des années 60 la théorie des marchés efficients qui est une contribution majeure de la finance actuelle. Ses travaux sont pourtant un véritable crève-cœur pour les gérants, les fonds d’investissements et conseillers de tous poils. Selon Fama, il n’est pas possible de prévoir les mouvements de marché, car l’ensemble des informations disponibles sont d’ores et déjà intégrés dans le cours de votre actif. Il ne sert à rien de courir, ce que vous croyez savoir est déjà absorbé par le marché. Les évolutions de prix sont imprévisibles. Et dans ces conditions, il serait tout aussi intelligent de confier la gestion de votre argent à Madame Irma, Mabrouk le chien, ou encore à l’âne Trotro. Les frais versés à votre gérant deviennent une perte assurée et il serait plus raisonnable de prendre possession d’un indice tout entier (Cac 40 etc..) et de laisser courir tranquillement votre investissement. Un gérant qui a pour fonction de choisir des actions donne une impression de contrôle qui rassure le client, mais ce n’est qu’une impression.

Robert Shiller est venu porter quelques coups dans cette théorie des marchés efficients. Depuis son ouvrage « L’Exubérance Irrationnelle » paru en l’an 2000, il est devenu le pape de la bulle. Son travail a consisté à valider une partie du travail de Fama, en indiquant qu’à court terme, le prix des actifs suivait en effet la théorie des marchés efficients. A contrario, sur le long terme, Shiller tente de prouver qu’il est possible de prévoir l’évolution du prix des actifs. Et il y parvient. Malheureusement, des écarts à la hausse ou à la baisse viennent gâcher tout ceci par des mouvements irrationnels, des bulles. Son apport ne s’arrête pas là, et nous lui devons notamment la construction de nombreux indices (immobilier « case-shiller index, indice de prix des actifs « shiller ratio » etc..).

Concernant les bulles, Eugene Fama répondait sèchement à Schiller : « Vous savez, les économistes sont des gens arrogants. Et lorsqu’ils ne peuvent expliquer quelque chose, ils disent que c’est irrationnel ». Le terme de bulles est en effet devenu si populaire qu’il peut être résumé comme étant l’investissement du voisin. Une bulle est le terme scientifique du pénible « je te l’avais bien dit ».

Fama répondait également à des questions relatives à la supposée bulle du crédit qui précédait la crise de 2008 :« Je ne sais même pas ce que ça signifie. Les personnes qui obtiennent un crédit doivent bien le sortir de quelque part ! Est-ce qu’une bulle du crédit signifie que les gens ont trop épargné pendant cette période ? Je ne sais pas ce qu’une bulle du crédit veut dire, je ne sais même pas ce que bulle veut dire. Ces mots sont devenus populaires. Je ne pense pas qu’ils aient une quelconque signification ». Selon Fama, l'existence des bulles n'est pas fondée, elles ne sont que le reflet des informations à la disposition des investisseurs à un moment donné. Il n'est alors en rien prévisible que celle ci éclate. Le fait de prédire l'explosion d'une bulle relève dès lors de la simple supposition.

L’intérêt du Prix Nobel 2013 est qu’il récompense ici deux théories contradictoires dans des circonstances qui ne peuvent être anodines. Alors que la Réserve fédérale américaine est engagée dans des politiques non conventionnelles, le terme de bulle est fréquemment utilisé pour mettre en avant l’irresponsabilité des autorités monétaires. Bulle de la dette, bulle immobilière, etc…

En donnant le Prix à ces économistes, le comité Nobel ne tranche pas sur leurs visions. L’existence des bulles n’est pas un fait incontestable et une telle situation complique gravement les choses pour les autorités de contrôle. Si les bulles existent et que nous pouvons les prévoir, nous pourrons lutter. Si elles n’existent pas, il serait dangereux d’intervenir car nous pourrions modifier l’ensemble du marché.

Cette dernière observation résonne parfaitement avec la déclaration du gouverneur de la Réserve Fédérale américaine, Benjamin Strong, en 1928 : «Devons-nous accepter la paternité de chaque développement économique dans le pays ? Nous aurions un grand nombre d’enfants. A chaque fois que l’un d’eux se comporte mal, nous devrions leur donner une fessée à tous ? » Strong était interrogé sur sa volonté de lutter contre la supposée bulle boursière de la fin des années 20. Mais selon lui, un relèvement des conditions de crédit aurait pénalisé l’ensemble des secteurs de l’économie pour en sanctionner un seul. Strong décédera peu après. Ses remplaçants vont durcir considérablement les conditions de crédit pour mettre fin à ce qu'ils pensent être une bulle spéculative sur les marchés boursiers. Cette décision va provoquer l'écroulement de l'économie dans son ensemble. Il est aujourd'hui admis par la Réserve Fédérale elle-même que le responsabilité de la crise de 1929 lui incombait. Et cela pour avoir voulu lutter contre une bulle.

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