Refonte des programmes scolaires : ceux qui ne sont plus adaptés au monde moderne, ceux pour lesquels les élèves ne sont plus au niveau<!-- --> | Atlantico.fr
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Entre 20 et 40% d'élèves n'atteignent pas un niveau suffisant en français et en mathématiques tant en fin de primaire qu'en fin de collège.
Entre 20 et 40% d'élèves n'atteignent pas un niveau suffisant en français et en mathématiques tant en fin de primaire qu'en fin de collège.
©Reuters

On reprend tout

Vincent Peillon vient de mettre en place jeudi 10 octobre un Conseil supérieur des programmes, destiné à rassembler l'avis de la communauté enseignante sur la refonte de l'enseignement des matières de la maternelle à la troisième. Un véritable travail de titan...

Atlantico : Bien qu'un "lifting" thématique apparaisse nécessaire sur de nombreux points en matière de refonte des programmes scolaires, quels sont ceux qui sont aujourd'hui trop déconnectés des réalités actuelles ?

Jean-Rémi Girard : Les programmes n'ont pas en tant que tels à être "connectés aux réalités actuelles" : ils ont à assurer une formation humaniste des élèves visant au développement d'une culture, d'une pensée et d'un esprit critique. Certains sont justement tombés dans l'excès inverse : en voulant absolument parler de "développement durable", on a rendu les programmes de géographie méconnaissables, par exemple. Les programmes en éducation musicale sont également un champ de ruines, car ils ont fait passer au second plan l'apport culturel et artistique de la musique. L'École est avant tout là pour apporter des valeurs et des savoirs universels : on l'a peut-être un peu oublié. Cela dit, il convient de s'interroger sur le statut d'une discipline comme la technologie.

Eric Deschavanne : Le Conseil Supérieur des Programmes, comme l'avait fait auparavant le Conseil National des Programmes (supprimé en 2005 par la Loi Fillon), devrait conduire l'élaboration des programmes dans une relative transparence. C'est une excellente chose, mais il ne faut pas se leurrer, la réforme des programmes ne comporte pas d'enjeux cruciaux.

L'adaptation aux "réalités actuelles" n'est absolument pas le problème d'une réforme des programmes. En la matière, moins il y a d'actualisation et d'innovation, mieux cela vaut. Si l'école primaire, par exemple, pouvait se consacrer à son cœur de métier - l'enseignement du  français et des mathématiques - plutôt que de se disperser en donnant l'illusion qu'elle va former les enfants à l'histoire de l'art, au développement durable ou, demain, à la morale laïque, cela ne serait pas plus mal.

Y a-t-il des programmes où les élèves ne sont plus au niveau aujourd'hui ? Comment pallier à ce problème ?

Jean-Rémi Girard : Les différentes enquêtes montrent qu'on a entre 20 et 40% d'élèves qui n'atteignent pas un niveau suffisant en français et en mathématiques tant en fin de primaire qu'en fin de collège. On est coincé entre la volonté de conserver un bon niveau d'exigence et celle d'introduire de nouvelles disciplines, enseignements, activités (type histoire des arts, parcours pluridisciplinaires, découverte professionnelle, etc.). Or le temps n'est pas extensible, et l'École ne peut pas tout faire. À l'arrivée, le résultat est souvent déprimant, car on a tantôt des programmes ambitieux mais dont les objectifs sont impossibles à tenir (par exemple les programmes de français), et de l'autre du saupoudrage et du papillonnage dont les effets sont quasi nuls (on pensera entre autres à certains passages des programmes d'histoire). Il faut que les nouveaux programmes se recentrent sur les fondamentaux, dans le cadre d'une démarche progressive et réaliste. Arrêtons de vouloir faire faire de l'informatique, de l'anglais ou des parcours artistiques à des élèves de CP à qui il faudrait déjà apprendre à lire correctement. Autrement, on marche sur la tête.

On pourrait également concevoir différentes vitesses de progression au collège dans des matières telles que le français, les mathématiques ou les langues vivantes, afin  que les élèves qui arrivent avec des lacunes aient une bonne chance de s'en sortir plutôt que de couler corps et biens. Mon syndicat, le Snalc, a proposé un projet de collège modulaire qui s'appuierait sur des programmes conçus de cette manière.

Eric Deschavanne : Le maillon faible du système éducatif, aujourd'hui, c'est l'école élémentaire. Depuis au moins trois décennies, les capacités des élèves en mathématique et en français à la sortie de l'école élémentaire n'ont cessé de se détériorer. Avant de réformer les programmes à l'aveuglette, il serait peut-être nécessaire de tenter de diagnostiquer les causes de cette dégradation.

Il s'est produit à la fin des années 90 une prise de conscience qui a conduit à recentrer les programmes du primaire sur l'appr­entissage des fondamentaux, en particulier la lecture et l'écriture. Cette orientation caractérisait aussi bien, par-delà les polémiques, les programmes de 2002 et ceux de 2008 (nés d'une initiative malheureuse, car le changement ne s'imposait pas).

Il faut espérer que l'on poursuive dans le même sens, mais rien n'est moins sûr, puisque Vincent Peillon multiplie les déclarations visant à mettre un terme à la "prim­arisation de la maternelle". C'est la seule orientation qu'il affiche pour le moment, et elle est pour le moins surprenante dans la mesure où l'école maternelle est l'unique niveau scolaire où les réformes récentes aient produit des résultats tangibles et positifs. Une études de la DEPP l'a en effet montré, sur la base d'une évaluation soumise de manière identique à des panels d'élèves entrant en CP en 1997 et 2011. On a pu mesurer une élévation des compétences en matière de prélecture, d'écriture et de numération ainsi qu'une réduction des inégalités. La volonté, affirmée en 2002, de placer le langage au cœur des apprentissages de la maternelle a donc porté quelques fruits. Il serait dommage de changer de cap.

A l'inverse, quels programmes peut-on imaginer pour mieux connecter nos élèves aux enseignements contemporains ?

Jean-Rémi Girard : Comme je le disais, la technologie est une discipline qui a beaucoup souffert de réforme en réforme. Or aujourd'hui, on demande aux élèves de se servir d'un ordinateur, de maîtriser des outils numériques et même d'avoir une réflexion à leur sujet (ce qui n'a rien d'idiot quand on regarde le monde qui nous entoure), mais personne n'est là pour le leur enseigner. Le brevet informatique et internet délivré par le système scolaire est une fumisterie. On pourrait intégrer à la technologie un enseignement explicite du numérique, qui ne soit d'ailleurs pas qu'utilitaire, mais également culturel. Au moins on ferait enfin quelque chose de concret pour nos élèves en ce domaine, plutôt que de crier sur tous les tons qu'ils sont des digitaux natifs et des Mozart de la tablette et du smartphone, ce qui est complètement faux.

Plus largement, une révision de notre conception générale de l'enseignement n'est-elle pas nécessaire pour assurer une meilleure cohérence des programmes ?

Jean-Rémi Girard : Je crois que c'est justement parce que l'on a voulu réviser notre conception de l'enseignement qu'on a obtenu des programmes instables et pas toujours très efficaces, voire illisibles (bourrés de "compétences" absconses et de "capacités" fumeuses)… alors que notre système était loin d'être mauvais. Maintenant, l'existence d'une instance supérieure pourrait être une bonne chose afin d'apporter de la cohérence entre les disciplines. Il n'est pas normal que les programmes de mathématiques et ceux de physique soient construits de façon autarcique. De même, quand on étudie une période historique en histoire, on devrait pouvoir l'étudier parallèlement en littérature, en musique et en arts plastiques. Chaque discipline possède un fonctionnement qui lui est propre (il serait stupide de vouloir faire rentrer dans le même moule les programmes d'éducation physique et ceux d'espagnol), mais rien n'interdit de concevoir ces programmes en permettant que des liens puissent être tissés entre plusieurs matières.

Dernière chose : les réformes des programmes se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. Cela finit par être intenable. Les professeurs ont besoin de temps pour les appliquer au mieux. Le zapping programmatique actuel est extrêmement néfaste et décourageant.

Eric Deschavanne : Il serait souhaitable, mais j'ai parfaitement conscience que c'est un vœu pieux, d'en finir avec une conception rhapsodique et superficielle des enseignements qui ne permet pas aux élèves de structurer leurs connaissances et d'acquérir de solides compétences. Il faut, a-t-on souvent entendu répéter, "enseigner moins pour enseigner mieux", mais l'allègement doit viser à mieux cibler les enseignements fondamentaux, non à vider ceux-ci de leurs contenus.

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