Comment la France a perdu le sens de la famille<!-- --> | Atlantico.fr
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La filiation a toujours vu s’opposer deux principes : la filiation biologique et la filiation sociale.
La filiation a toujours vu s’opposer deux principes : la filiation biologique et la filiation sociale.
©Reuters

Objet familial non identifié

Depuis les années 1970, une multitude de lois est venue modifier le droit de la famille. L'évolution des mœurs influençant l’évolution des lois, qui ensuite accélère l’évolution des mœurs. Résultat : la famille est devenue un objet juridique non identifié.

  1. 1. Le droit des époux

Nicolas Graftieaux : Sur les dernières décennies, le droit des époux globalement, en même temps que la société, a évolué vers l’équilibre des droits en élargissant ceux des femmes.  Cinq lois principales sont à noter. La loi du 18 février 1938supprime la puissance maritale, l’incapacité juridique de la femme mariée ainsi que son devoir d’obéissance puis la loi du 13 juillet 1965les autorise à exercer une profession sans l’accord de leur mari, à avoir des comptes bancaires de toutes formes personnels et donc d’émettre des chèques de leur propre chef. Vient ensuite la loi du 4 juin 1970 qui remplace la "puissance paternelle" par l’autorité parentale, puis l’égalité dans la gestion des biens est mise en place par la loi du 23 décembre 1985. Enfin, la loi du 8 janvier 1993 installe le principe de l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard de tous les enfants quelle que soit la situation des parents.

Gérard Neyrand : L’évolution des mœurs est toujours celle qui influence l’évolution des lois, qui ensuite accélère l’évolution des mœurs. Le rôle du père par exemple, son évolution, témoigne de quelque chose d’encore plus lointain que l’égalité homme/femme : la démocratie, dont les valeurs se sont peu à peu insérées dans la cellule familiale au quotidien. Notamment l’idée que tout le monde peut donner son avis. Cela a naturellement été largement favorisé par l’accroissement de l’éducation des deux sexes. A partir des lois Jules Ferry qui ouvrent l’éducation secondaire aux jeunes filles, commencera à se dérouler ce que l’on observe au XXème siècle, c’est-à-dire l’égalisation progressive des deux sexes et notamment dans le mariage.

S’en suit donc une évolution progressive des habitudes à partir de la fin des années 1950, de l’égalité des sexes mais aussi des générations et sur l’autonomie et l’indépendance des personnes etc. Tout cela contribue à produire un autre schéma familial "à double carrière" qui supplante progressivement son homologue classique.

  1. 2. Le divorce

Nicolas Graftieaux : La question du divorce connait son tournant essentiel en 1975, avant quoi le droit essayait de le restreindre au maximum afin de préserver la famille. N’existait à l’époque que le divorce pour faute grave dont la liste était exhaustive : adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante ou encore excès, sévices et injures graves. Qui plus est, le divorce ne pouvait être demandé qu’après trois ans de mariage.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 modifie toutefois tout cela afin de se rapprocher des évolutions sociales de notre pays. Elle crée ainsi 4 types de divorce : le divorce par consentement mutuel, pour faute, pour rupture de la vie commune (incluant un délai de six ans) et le divorce sur "demande acceptée". Sont également supprimés l’amende et la peine de prison dont écopaient respectivement le mari ou la femme adultère. La loi n°2004-439 du 26 mai 2004 (EV 01.01.2005) tente quant à elle d’apaiser les relations entre les époux en simplifiant les procédures, raccourcissant les délais.

Gérard Neyrand : La prise d’autonomie liée à l’augmentation du niveau d’éducation des femmes et donc au fait qu’elles soient de plus en plus amenées à travailler est une des raisons de cette évolution juridique du divorce. De plus, l’augmentation de l’importance du sentiment amoureux dans la décision maritale, puis finalement comme unique ressort de celles-ci finit d’encourager la souplesse du divorce. Si deux individus sont autonomes et qu’ils ne s’aiment pas, ou plus, ils vont naturellement se quitter. Cela ne va pas plus loin que ce raisonnement d’une simplicité très humaine. Le droit va donc finir par assouplir le divorce jusqu’à la situation que nous connaissons tous maintenant.

1975 est le moment à partir duquel les choses seront complètement reconfigurées par la notion de consentement mutuel précédé par l’unique divorce pour faute. Apparaît alors une nouvelle problématique, "l’après divorce" et la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Nous avons clairement changé de paradigme.

  1. 3. La Filiation

Nicolas Graftieaux : Depuis la loi du 3 janvier 1972établit quela présomption de filiation n'est plus désormais irréfragable, la relation de filiation a fait l’objet de plusieurs  lois et d’une ordonnance qui vont élargir le concept ainsi que ses origines. Ainsi, la loi du 25 juin 1982permet que la filiation naturelle puisse être établie par la possession d'état ou par jugement. Puis, la loi du 29 juillet 1994donne une définition juridique de la filiation par PMA, puis la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale affirme l'égalité des filiations dès lors qu'elles sont légalement établies.

L’ordonnance du 4 juillet 2005va quant à elle apporter un nombre conséquent de nouveautés :

  • suppression des termes "légitime", "naturel" et "adultérin",
  • maintien de l'interdiction d'établir la filiation des deux parents en cas d’inceste,
  • suppression de l'égalité des parents non mariés (la mère n'a plus à faire de reconnaissance en mairie),
  • précision du fait que la filiation par "possession d’état" doit être paisible, publique et non équivoque. Si la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, son père, sa mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par 5 ans. A défaut de conformité possession et titre, elle est ouverte à toute personne qui y a intérêt et se prescrit par 10 ans (art. 334).
  • codification des reconnaissances prénatales,
  • suppression de la procédure de désaveu au profit de la procédure en contestation de paternité,
  • maternité pouvant être contestée en apportant la preuve que la mère n'a pas accouchée de l'enfant,
  • paternité pouvant être contestée en apportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père
  • impossibilité d'établir un lien de filiation entre l'auteur du don d'ovocyte et l'enfant issu de la procréation
  • le consentement donné à la procréation médicalement assistée interdit toute action en contestation de filiation, à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de cette procréation

Enfin, vient la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 qui a beaucoup agité notre pays et qui établit la possibilité d’adoption par deux personnes de mêmes sexes à condition qu’elles soient mariées ainsi que la possibilité d’adoption de l’enfant du conjoint. Toutefois, la présomption de paternité n'est pas étendue aux couples de même sexe.

Gérard Neyrand : La filiation a toujours vu s’opposer deux principes : la filiation biologique et la filiation sociale puisque l’intérêt du mariage est de désigner le mari comme père des enfants d’une femme. Les choses se complexifient donc à partir des années 1970 avec l’évolution des mœurs que j’évoquais et qui recompose le visage de la famille au sens traditionnel du terme puis en 1982 avec la procréation médicalement assistée. La médecine intervenant, il devient alors possible d’inclure un "tiers donneur de gamète" et donc de décorréler la filiation sociale de son aspect biologique. Se pose alors la question de ce qu’est un parent, et notre société actuelle le définit comme celui désigné par la société, par les faits et non pas par le sang. Toutefois, cela existait déjà et dans notre société et dans presque toutes à travers l’histoire notamment puisqu’il n’y avait pas d’identification biologique possible. Ces deux filiations continuent donc de s’opposer d’une certaine manière mais coexistent et s’entremêlent.

Plus généralement, les liens d’affiliation c’est-à-dire ceux qui sont "construits" sont de plus en plus importants dans notre rapport aux autres. Et les liens familiaux eux-mêmes sont des liens construits, pas uniquement basés sur un patrimoine génétique partagé. D’ailleurs la notion de parentalité rend bien compte de cette évolution. Le lien que l’on crée avec un enfant est également psychique et il l’a toujours été, nous en avions peut-être simplement moins conscience avant. Si ces liens ne sont pas construits, s’ils ne sont que naturels (au sens biologique) alors il semble difficile de parler d’une véritable famille.

  1. 4. Succession

    Nicolas Graftieaux : La succession a également beaucoup évolué ces dernières décennies surtout depuis 1972. Elle s’est globalement, dans la suite logique de la filiation, orientée vers une dilution de la dimension biologique dans la transmission. La loi du 3 janvier 1972 établit ainsi l’égalité entre enfants légitimes et naturels, celle (loi) du 31 décembre 1976 réforme de l'indivision entre l'ouverture de la succession et le partage et celle (loi) du 3 décembre 2001 modifie les droits du conjoint survivant et des enfants adultérins par les notions suivantes :
  • amélioration sensible de la vocation successorale légale du conjoint survivant et organisation d’un certain nombre de mesures de protection en sa faveur telles que le droit de rester dans son logement ou le droit à une pension,
  • suppression des discriminations successorales subies par les enfants naturels (abrogation des restrictions aux droits successoraux de l’enfant naturel adultérin à la suite de la condamnation de la France par la CEDH)
  • ouverture de l’action en retranchement aux enfants naturels
  • précision sur les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant  (elles s'imputent sur les droits  du conjoint survivant sans pouvoir excéder la QD spéciale entre époux,
  • abrogation des dispositions relative à la théorie des comourants.

La loi du 26 mai 2004 (EV 01/01/2005)met ensuite en place l’irrévocabilité des donations de biens présents faites entre époux à compter de son entrée en vigueur sous réserve d'ingratitude ou d'inexécution des charges et sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Elle établit également que les donations de biens présents avec effet différé (notamment les donations avec clause de réversibilité d'usufruit au profit du conjoint survivant ou  les contrats d'assurance-vie) qui ne prennent pas effet au cours du mariage, sont révocables.

Loi du 23 juin 2006 (EV 01/01/2007) vient faciliter le règlement des successions notamment par l'assouplissement des règles de l'indivision. Notamment, l'héritier pourra demander à être déchargé d'une dette qu'il avait toutes les raisons d'ignorer et qui obérerait gravement son patrimoine. 

Gérard Neyrand : La succession, qui découle naturellement de la filiation, tend à être de moins en moins "subie", les successeurs sont moins soumis à la volonté du défunt. Cela traduit une vision nouvelle de la succession vient de l’augmentation dans l’esprit des gens de se positionner à titre personnel, on se détache plus facilement du poids d’un héritage qu’il soit immobilier ou mémoriel. Cependant, cela traduit aussi la complexité actuelle du rapport à la famille puisque d’une part, nous l’avons précédemment, il y a la possibilité de créer des liens familiaux non biologique, et d’autre part le droit protège symétriquement les enfants contre leur propre héritage, contre les "successions abusives" en quelque sorte.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure et Carole Dieterich

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