Rumeur d'un compte en Suisse de Sarkozy : et la pensée unique fit un pas de plus vers la Terreur<!-- --> | Atlantico.fr
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Retour à la Terreur.
Retour à la Terreur.
©Wikipédia commons

Maccarthysme

Dans leur livre "French corruption" qui paraît ce mercredi, Fabrice Lhomme et Gérard Davet laissent entendre que Nicolas Sarkozy aurait pu disposer d'un compte en Suisse. Problème : dans une interview à l'Express, les deux journalistes du Monde reconnaissent eux-mêmes qu'ils n'ont pas de preuves.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L'Express publie l'interview complaisante des journalistes Lhomme et Davet, auteur d'un French corruption publié chez Stock. Dans l'ordre du Sarko bashing, cet ouvrage fait un pas de plus de la bien pensance vers la Terreur pure et simple, selon les bonnes méthodes d'une France qu'on croyait oubliée.

Que disent en effet Lhomme et Davet dans leur ouvrage ? Qu'il existe une clique de corrompus à droite (ce dont personne ne doute) et que, dans ce lot, ils ont eux-mêmes acquis la conviction que Nicolas Sarkozy a disposé d'un compte en Suisse. Probablement même Sarko serait-il une sorte d'initiateur de l'exil fiscal en Suisse, puisque c'est lui qui a en premier parlé du "passeur" Heyer à Didier Schuller, grand fraudeur fiscal devant l’Éternel. Cette hypothèse, qui est plausible, n'est malheureusement pas étayée par un raisonnement plus consistant que celui-ci:"Il aurait été abusif de dire : il a un compte. Mais encore une fois des juges, des policiers en sont persuadés. Nous avons enquêté sur l'enquête. Et montré à quel point, au passage, ces journalistes ou magistrats avaient le même espoir : faire tomber Sarkozy."

Il faut bien reconnaître que, dans l'immense dégradation du débat public à laquelle nous assistons, les auteurs de cet ouvrage se livrent à un exercice détestable : nous n'avons aucune preuve selon laquelle Nicolas Sarkozy a eu un compte en Suisse, et d'ailleurs nous ne l'accusons pas. Nous nous répandons simplement dans les médias pour dire que des gens sérieux sont convaincus de sa culpabilité, et que, selon le bon principe du : "il n'y a pas de fumée sans feu", il est tout à fait probable que Nicolas Sarkozy soit coupable.

On sait où ce genre d'accusation par approximation et assimilation commence : Sarkozy connaît des gens punis par la justice pour corruption, il leur a probablement présenté des corrupteurs, donc il est probablement coupable. D'ailleurs beaucoup de gens sérieux le pensent.

Tous les régimes de Terreur débutent ainsi, par un mécanisme de soupçon. Sous la Révolution, il y eut même une loi en ce sens, appelée loi des suspects. Elle consistait à présumer chaque Français coupable, surtout lorsque ces Français étaient politiquement exposés, et elle prévoyait que chaque Français avait la charge de prouver son innocence. La mécanique de la Terreur adorait un principe bien connu : plus c'est gros, mieux ça passe. Installons la suspicion sur un homme en portant sur lui des accusations voilées d'une extrême gravité, et laissons-le se dépatouiller de ces accusations devant un jury populaire.

Le problème, c'est que ces débuts terroristes sont rarement porteurs de bonnes nouvelles pour les libertés publiques. L'ère du soupçon est généralement cousine de l'ère du bouc-émissaire. Sous la Révolution, la moindre rupture d'approvisionnement chez un boulanger pouvait se terminer par le lynchage de celui-ci, sous le soupçon devenu certitude qu'il était un accapareur des biens du peuple. Je n'évoque pas ici les tristes errances de la France entre 1939 et 1945. J'inclus délibérément 1945 dans le lot, car l'épuration, après la collaboration, fut aussi un moment emblématique de cette terreur où le soupçon devenait une arme pour abattre un adversaire.

Assez curieusement, Lhomme et Davet avouent d'ailleurs que beaucoup en France ont un objectif : l'abattage du Sarko. Là encore, les auteurs, qui en sont à leur troisième livre sur le même sujet, devraient mesurer avec un peu plus de sens des libertés publiques la signification de ce genre d'actes. On commence par jeter la suspicion sur un homme pour l'abattre, avec tous les moyens médiatiques possibles, et peu à peu, c'est le débat politique qui voit son centre de gravité se déplacer vers la Terreur en bonne et due forme. A quand un ouvrage sur les soupçons que certains nourrissent à propos de François Hollande et de sa déclaration de patrimoine ? A quand un ouvrage du même tonneau sur chaque des responsables politiques, puis sur chacun des responsables religieux ?

Peut-être Lhomme et Davet devraient-ils présenter leur ouvrage avec un peu plus de transparence : nous savons tous que le marché de l'édition est sinistré, que même les plus grandes maisons cherchent de l'argent pour finir l'année. Pour vendre, il faut du trash et des crash. Un livre relatant l'impossible démonstration selon laquelle Sarko aurait un compte en Suisse ne se vendait pas, ne rapportait rien à ses auteurs, ni à leur éditeur. Le même livre rédigé autrement : nous n'avons pas de preuve, mais la conviction intime des ennemis de Sarko suffit à l'accuser de fraude fiscale et à étayer l'accusation est déjà beaucoup plus vendeur.

De grâce, mesdames et messieurs les éditeurs, prenez vos responsabilités. Au lieu de transformer vos maisons honorables en vitrine de quartier rouge à Amsterdam pour sauver les meubles, les frais de bouche et les fonds propres, prenez la seule décision qui vaille : arrêtez l'édition de torchons en papier et passez au livre numérique. Vous aurez moins de frais fixes à couvrir, et aurez ainsi d'autant plus le loisir de vous consacrer à la qualité de vos publications.

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