Angelino Alfano, portrait de celui qui pourrait bien avoir eu la peau de Silvio Berlusconi <!-- --> | Atlantico.fr
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Angelino Alfano.
Angelino Alfano.
©Reuters

L'arroseur arrosé

Les pages politiques de la presse italienne ne parlent que de lui : Angelino Alfano. Hier encore fidèle de Berlusconi, il est aujourd'hui le numéro deux du gouvernement Letta.

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

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Depuis quelques jours, un nouvel héros est apparu dans les pages politiques de la presse italienne. Il ne s’agit pas d’un nouveau venu qui par la force de ses convictions et de son éclat ait ressemblé la société toute entière autour de lui, mais du peu charismatique et jusqu’à aujourd’hui assez terne Angelino Alfano, numéro deux du gouvernement Letta et surtout secrétaire du Popolo della Libertà, le parti de Silvio Berlusconi. Quel est donc le grand mérite de cet homme discret, hier encore fidèle parmi les fidèles de Mr Berlusconi ? Quel événement vient d’en faire un personnage de premier plan, presque plus aimé par ses adversaires historiques du Partito Democratico (gauche) que par ses confrères de droite ?

Union sacrée, alliance contre-nature ou "inciucio" ?

Faisons un pas en arrière de quelques mois. Après la paralysie institutionnelle issue des élections législatives de février et la très inattendue reconduction de Giorgio Napolitano à la présidence de la république, sous la pression de ce dernier les deux rivaux historiques de la "Deuxième République" italienne, le "Popolo della Libertà" et le "Partito Democratico", avec comme troisième invité "Scelta Civica", le parti fondé autour de Mario Monti, ont donné vie à un gouvernement de coalition présidé par Enrico Letta, jeune vice-secrétaire du Partito Democratico (et neveu de Gianni Letta, très respecté conseiller de Silvio Berlusconi). Compte tenu de la situation politique et financière italienne, le choix de faire participer ces trois forces politiques à la guide du pays semble logique et dictée par un sens de responsabilité. En effet cela semble naturel dans plusieurs pays : l’Allemagne d’Angela Merkel se fonde sur la "grosse koalition" entre la CDU et la SPD, David Cameron gouverne grâce à une alliance de conservateurs et libéraux, aux USA Barack Obama doit composer presque quotidiennement avec un Congrès à majorité républicaine très aguerrie. Il semblerait donc logique que les majeures forces politiques italiennes soient unies, même temporairement, autour d’un projet de salut public. Toutefois, dans un pays qui, après les cinquante années de pouvoir feutré et soporifique de la Démocratie Chrétienne (de 1946 à 1994) a redécouvert les joies de la contraposition exacerbée et où des tons dignes d’une guerre civile caractérisent chaque campagne électorale (certains diront que cela repropose l’animosité des affrontements de la guerre civile entre 1943 et 1945, nous irons même plus loin en dépoussiérant les Guelfes et les Gibelins…), toute alliance entre forces historiquement rivales est stigmatisée sur la place publique comme un acte contre nature, mieux encore, comme un "inciucio" !

Nous sommes au regret d’avouer notre impossibilité de fournir une traduction française de ce vocable : il puise ses origines dans les dialectes du Centre-Sud de l’Italie, sa sonorité nous fait inexorablement penser à un âne (dans le sud de l’Italie, ledit animal est appelé "ciucio"), le mot évoque une sorte de promiscuité de mauvais genre, à la fois charnelle et opportuniste, bref, on pourrait évoquer un mélange entre commixtion, copinage, arnaque et complot… Bref, l’inciucio se manifeste dans l’alliance post-électorale entre partis qui, avant le vote, déclaraient leur pureté et clamaient "jamais avec ses gens-là" et, par nécessité induite par les résultats des urnes et en hommage à la realpolitik, finissent par s’allier sur des programmes de complaisance, mais toujours prêts à se rétracter et aller vers des elezioni anticipate. A leur décharge, disons que cela n’est pas du (uniquement …) à leur perversité et à leur vice, mais aux arcanes d’une loi électorale tout bonnement incompréhensible et que tout le monde critique sans vouloir la reformer (ladite loi électorale est tellement insatisfaisante que elle est surnommée "porcellum", c'est-à-dire le… cochon en pseudo-latin !).

Tel donc est le destin du gouvernement d’Enrico Letta, décrié par ses adversaires d’extrême gauche (anciennement embarqués avec le Partito Democratico), et de droite plus au moins extrême :  une Ligue du Nord désormais en voie de marginalisation à niveau national, bien que tenant solidement les administrations régionales du nord de l’Italie et des minuscules formations de membres récalcitrants de la mouvance berlusconienne, sans oublier le mouvement protestataire brouillon et sans programmes concrets et réalisables qu’est le Movimento Cinque Stelle de l’imprécateur et ancien comique génois Beppe Grillo.

Majorité fragile mais nécessaire

Largement majoritaire mais fragile par l’étendue et la diversité de ses composantes, le gouvernement Letta a vu ses chances de vie se réduire presque à néant à la fin du mois de septembre, quand Silvio Berlusconi, voyant sa déchéance parlementaire de plus en plus imminente à la suite d’une condamnation définitive, a semblé céder aux chantres du "tant pis, tant mieux" de son parti et ordonner aux ministres issus du Popolo della Libertà de démissionner, prélude à l’inévitable crise politique. Crise d’autant plus malvenue, car l’Italie doit boucler sa loi des finances, si elle veut éviter de facto une mise sous tutelle de la part du trio FMI-BCE-UE, dans un contexte tendu où la valeur de la dette publique italienne est considérée par les marchés financiers inférieure à celle espagnole. En connaissant la structure de parti-entreprise du mouvement berlusconien et la forte identification de ses membres avec leur chef, Enrico Letta ne se fait guère d’illusions sur sa survie. C’est sans compter sur Angelino Alfano…

L’ange qui terrassa le dragon…

Qui est donc Angelino Alfano ? Très jeune pour la scène politique italienne (42 ans), un passé (court, vue l’âge), dans les files de la jeunesse démocrate-chrétienne, il a fait toute sa carrière (et sa vie) à l’ombre de Silvio Berlusconi, en assumant la direction du parti en qualité de secrétaire en juin 2011, au moment où la pression interne et internationale se fait de plus en plus forte sur le Cavaliere, en l’obligeant enfin à démissionner de la tête du gouvernement en novembre de cette même année et laisser la place à Mario Monti. Angelino Alfano, homme lige donc, qui guida la protestation des élus du Popolo della Libertà, il y a quelques mois, en manifestant devant le Palais de Justice de Milan contre les juges "coupables" de s’acharner sur Berlusconi. Homme lige qui proposa en qualité de Ministre de la Justice, une loi (dite "lodo Alfano") visant à mettre à l’abri de toute poursuite judiciaire les plus hautes fonctions de l’état, et donc le Président du Conseil des Ministres (rôle tenu alors par… Silvio Berlusconi). Angelino Alfano, porte-drapeau loyal et insoupçonnable de félonie à la cour berlusconienne. Mais il ne faut jamais oublier le vieil adage empreint de sagesse : "la politique est l’art du possible".

Pendant vingt ans la personnalité de Silvio Berlusconi a forgé la politique italienne. Dans le bien comme dans le mal, il a été le seul homme politique de relief, dans le sens que tout s’est organisé autour de lui, entre fideles et opposants. Ce ne fut pas la gauche à le battre ; les vaines rodomontades de ses leaders, de Pierluigi Bersani ("Nous allons effacer les tâches du jaguar"), récemment reprises par Matteo Renzi ("Nous allons asphalter la droite") restent au stade des brèves du comptoir, ni les juges (le jugement et la déchéance parlementaire sont moins lourds de conséquences que ce qu’on pourrait croire), mais des facteurs plus inattendus : l’âge, contre laquelle il a toujours lutté, et l’entourage : le parti et la famille. Parlons d’abord de cette dernière : même si soudée autour du patriarche, elle n’est pas une famille "politique" comme les Le Pen en France. La famille Berlusconi a des intérêts économiques considérables, qui peuvent se poursuivre et aussi prospérer même si le père fondateur sort de la scène publique : cela serait d’ailleurs un bénéfice pour un groupe principalement actif dans la communication, libre enfin de faire son travail professionnellement sans le soupçon permanent de soutenir une faction politique. Le parti ensuite, dont la large majorité n’a pas été prête à provoquer une crise aux effets redoutables et que surtout, si débouchant sur des élections anticipées, n’aurait pas réservé une victoire incontestable à la droite. Angelino Alfano l’a compris, il a compté sur les forces les plus modérées et centristes du parti ; il n’a pas hésité à s’opposer aux volontés du "père noble". Silvio Berlusconi, au bout de quelques jours de tergiversations, a donc fini par renoncer à la crise politique annoncée et n’a pas appelé à voter la "sfiducia" (défiance) au gouvernement, mais évitera-t-il la rupture au sein de son parti ? Et, surtout, a-t-il abandonné tout rêve de reconquête du pouvoir ou de leadership politique ? Pour une fois ses chances semblent être bien diminuées, même si sa surprenant capacité de rebond nous a surpris plus d’une fois. Surtout, si la politique italienne veut éviter, à droite comme à gauche, de n’être qu’un scénario permanent de la geste berlusconienne, elle doit savoir dans le plus bref délai possible mettre en œuvre des programmes concret et alternatifs, afin d’élever le débat au-dessus des querelles personnelles.

Dans cette attente, Mr Alfano est l’homme du jour, reconnu par la gauche de gouvernement comme le champion de la responsabilité nationale, salué par la droite modérée comme le rénovateur d’une composante essentielle du jeu politique et décrié par les populistes de deux cotés comme l’auteur d’un inénarrable "inciucio" ! Les commentateurs les plus facétieux vont même jouer sur son prénom ("Petit Ange ") en le dépeignant comme l’envoyé céleste qui terrassa le dragon berlusconien…

Le gouvernement repose donc maintenant sur Angelino Alfano et Enrico Letta. Deux centristes, deux modérés, d’une sensibilité politique différente, l’un à droite, l’autre à gauche, tous les deux ayant milité, à vingt ans, dans les rangs de la Démocratie Chrétienne, mais assez intelligents pour se défaire des vieux carcans idéologiques et démagogiques qui pèsent depuis toujours sur l’Italie républicaine. Deux hommes assez semblables (même physiquement), deux personnes de bonne compagnie, qui pourront même jouer un rôle significatif dans les prochains années, si les leçons de l’année 2013 seront retenues par la classe politique italienne.

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