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La prison à la maison est elle encore la prison ?
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Barreaux sciés

Dans un entretien accordé au "Parisien Magazine", la Garde des Sceaux défend les principales mesures de sa réforme pénale, dont la "peine en milieu ouvert" afin de lutter contre la récidive. Si le principe de probation est loin d'être une aberration du système judiciaire, il reste encore à savoir à quelles populations ce type de mesures doit s'appliquer.

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Atlantico : La ministre de la Justice a récemment défendu dans le Parisien Magazine les peines de probations qu’elle s’apprête à inclure dans le système judiciaire. Sachant que les contraintes de ce système sont relativement légères (obligation de pointage, interdiction de fréquenter un lieu…), peut-on encore parler d’une exécution de peine ?

Alain Bauer : Bien sûr. Il faut rappeler que la probation est un modèle qui date de 1885 en France. Le vrai débat se situe sur le moment où se déroule une vraie prise en charge pénale après la commission d’une infraction. La France a cette spécificité bizarre de ne pas savoir passer du prêt-à-porter au sur-mesure et d’avoir une gestion de la sanction qui va assez rapidement entre rien et trop. On envoie ainsi en prison trop de gens qui n’ont rien à y faire (auteurs de délits non-violents ou de délits routiers...) alors que l'on trouve nombre de récidivistes qui devraient être incarcérés depuis longtemps, ces derniers étant sujet à une sorte d’obstination thérapeutique du système judiciaire qui considère que ces individus changeront s’ils ne sont pas concrètement condamnés. Je défends donc l’idée qu’une vraie contrainte pénale doit trouver sa place afin de traiter intelligemment la question dès la première infraction.

Le bracelet électronique, l’instauration d’interdits amenant des sanctions s’ils ne sont pas respectés, font dans ce sens partie de la panoplie naturelle du système pénal. Je rappelle qu’il y a trente ans, on pénalisait 12 millions de faits pour des chèques sans provisions, et je ne pense pas que l’on renvoie la gestion de ces problèmes au tribunal correctionnel. Ces affaires sont ainsi traitées directement par la Commission technique de la Banque de France et il est autrement plus efficace d’interdire les gens de chéquiers que de les mettre en prison. Un peu de bon sens permet ainsi de comprendre ce que pourrait être l’efficacité d’une vraie réforme pénale en la matière. La vraie question est de savoir si cela se retrouve dans le projet de loi portée actuellement par la Garde des Sceaux, la réponse étant pour l’instant négative.

Derrière cette logique on retrouve l’idée que le milieu carcéral est une université du crime qui ne ferait qu’augmenter les probabilités de récidive. Cette théorie est-elle vérifiée par les faits ?

Rien ne permet de prouver un tel argument, en particulier lorsque l’on prend en compte le fait que l’interprétation des statistiques est ici sujette à la mauvaise foi des uns et des autres. Les seules études qui existent démontrent que l’écart entre récidivistes et non récidivistes (à population identique) est de 4% en faveur de l’aménagement. Cela s’explique par le fait que ceux qui sont aujourd’hui autorisés à avoir des sorties, des libérations conditionnelles et des réductions de peine sont sélectionnés en fonction de leur propension à récidiver. En toute logique, ceux qui seront concernés par la contrainte pénale représenteront le même type d’échantillon.

Par ailleurs, j’ajouterai que la prison n’est "l’école du crime" que pour ceux qui n’auraient pas dû dans l’absolu y aller et qui y deviennent des éléments criminogènes. Pour d’autres détenus, le crime est littéralement une profession, un acte choisi, contrairement à ce qu’affirment certains sociolâtres bêlants. Ces personnes feront donc du crime leur activité pour une partie importante de leur vie.

On peut même prendre un contre-exemple à cet argument en citant la politique carcérale menée par la ville de New-York qui a rempli ses prisons de la fin des années 90 à la fin des années 2000. Résultat, les prisons sont aujourd’hui en train de s’y vider sans que le taux de criminalité augmente. C’est là la démonstration que la certitude de la peine, dans certains cas, génère des effets positifs dans la lutte contre la récidive.

Mme Taubira défend son projet en affirmant que la contrainte pénale a fait ses preuves en Angleterre et aux Pays-Bas. Est-on pourtant réellement en train de s’inspirer de ces modèles ?

On ne saurait comparer les situations. L’Angleterre et les Pays-Bas sont tout d’abord des pays très décentralisés où les processus de contraintes sont des processus de proximité qui garantissent un meilleur contrôle. Les systèmes de contraintes n’y sont du reste pas noyés au milieu d’un océan juridique déjà existant. La contrainte pénale fonctionne bien dans ces pays car elle a été pensée comme un outil à part entière qui s’inscrit de manière cohérente dans l’ensemble du système pénal. Nous sommes en France dans un système "d’entre-deux" pénal où l’on réalise très mal le passage de l’inquisitoire vers l’accusatoire. Nous sommes ainsi très loin du système de contrainte pénale tel qu’il a été conçu par son inventeur, Pierre Victor Tournier.

L’ouverture d’un système de contrainte pénale pose la question des moyens administratifs de suivi des futurs condamnés. Est-on en mesure de soutenir cette réforme sur le plan des effectifs d’accompagnements (conseiller en probation, conseiller de réinsertion…) ?

Actuellement, en termes de moyens humains, on peut dire que non. Il est indiqué cependant dans le projet de loi qu’un plan de recrutement important de personnel de probation est prévu à cette occasion. De ce point de vue, il y a certes un écart important entre ce qui devrait être réalisé et ce qui devrait être proposé, mais le début de l’effort est ici budgétaire avant tout.

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