La Corse a-t-elle besoin d’un statut particulier, de son indépendance… ou d’un bon sermon ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La population corse revendique sa culture, sa langue, sa manière d’être.
La population corse revendique sa culture, sa langue, sa manière d’être.
©Flickr

En route vers l'indépendance?

François Hollande se rend aujourd'hui en Corse à l'occasion des 70 ans de la libération de l'île. Alors que l'Assemblée de Corse a voté la semaine dernière en faveur d'un changement de statut, le Président devra se prononcer sur la possibilité de modifier la Constitution.

Atlantico : La semaine dernière, l’Assemblée de Corse a voté massivement en faveur de l’inscription de l’île dans la Constitution française. François Hollande devrait ouvrir, à l’occasion des commémorations du 70e anniversaire de la libération de la Corse, un dialogue afin de proposer à la Corse un statut particulier modifiant ainsi l’article 72 de la Constitution sur les "collectivités territoriales de la République". Mais la Corse a-t-elle réellement besoin d’un statut particulier ? Quels sont les raisons directes de cette demande ?

Antoine-Marie Graziani : Si vous voulez on a eu trois statuts successifs, le statut Defferre en 1981, qui n’a pas fait l’unanimité, mais qui a rétabli la paix civile, suivi d'un second, le statut Joxe, qui prévoyait une collectivité territoriale mais ce statut a été censuré dans son article 1 qui prévoyait qu’on parle du "peuple corse". Cette première censure du Conseil constitutionnel a été suivie de l’arrêt des discussions avec les nationalistes, pour mieux les reprendre avec les accords Matignon de 2001. Bien sûr il y a eu des avancées importantes, on est passé d’un budget de 12 millions d’euros (équivalent) en 1981 à 780 millions d’euros. Et au fur et à mesure, l’État a laissé toute une série d’éléments passer à la collectivité territoriale, un peu comme dans d’autres domaines, l’université par exemple. Mais les limites du statut ont été relevées depuis plusieurs années par la droite et la gauche corse. Le vote par l’Assemblée corse s’est fait à la quasi-unanimité la semaine dernière. Les seuls opposants sont venus du clan du président, une partie de la gauche, plutôt PRG (Parti Radical de Gauche), et deux membres du parti communiste. Les limites du système transparaissent dans un certain nombre de domaines, notamment dans la possibilité d’une adaptation de la loi sur plusieurs sujets régionaux : la question fiscale et la question de la langue. Cette dernière question est ambiguë, sur le fond, ce qui est demandé est assez lourd. On demande que la langue corse soit perçue au même niveau que le français. Et pourtant la majorité des Corses ne parlent pas corse ! C’est une question d’identité régionale qui est voulue par une partie du fond nationalo-indépendentiste, mail il y a dans tous les partis des gens qui soutiennent cette idée. La langue corse est aujourd’hui francisée et de la part des collectivités, il y a un très gros effort pour trouver des locuteurs et la développer. Ce statut permettra de les aider. A propos de la question fiscale, la suppression de l’arrêté Miot, en place depuis 1801, par l’assemblée nationale en décembre dernier, a été très mal perçue en Corse. Cet arrêté permettait d’obtenir une fiscalité particulière pour les héritages (dans certains cas la transmission s’effectuait sans droits de succession). Le vote de l’Assemblée de Corse a montré une volonté très forte de réhabiliter l’arrêté Miot.

Benoît Bertrand-Cadi : Il existe différents fondements à cette demande de statut particulier  au premier rang desquels l'insularité, déjà prise en compte par l'État par une fiscalité dérogatoire sur l'immobilier ou les cigarettes par exemple. L'État ne le sait pas, mais en pratique il a déjà reconnu en partie cette aspiration. C'est anecdotique mais révélateur : les gendarmes, très nombreux en Corse, bénéficient des mêmes avantages que leurs collègues des DOM et des TOM, à savoir des points retraites supplémentaires. Dès lors on voit difficilement comment l'État pourrait refuser un statut aux Corses puisqu'il l'octroie à ses militaires.

Plus sérieusement,  le facteur le plus prégnant à cette demande reste et demeure historique : l'État a tardé à reconnaître qu'il y avait bel et bien une "question Corse" et y a souvent répondu avec maladresse. La genèse des mouvements contestataires à la fin des années 60 jusqu'à la création du FLNC au début des années 70 est en grande partie liée à ce refus de prendre en compte les aspirations d'une jeunesse partie à la reconquête de son île et de son identité.

Cette demande illustre-t-elle la volonté de la Corse à se démarquer des autres régions françaises ? Est-ce une demande de type nationaliste et revendique-t-elle un caractère d’exceptionnalité ?  

Antoine-Marie Graziani : De toute façon la Corse est exceptionnelle et particulière. Il y a une volonté cocardière d’afficher sa corsitude. Et la population revendique la culture, la langue, la manière d’être. Prenez le débat entre Marcel Gauchet et Alain Finkielkraut, Gauchet admettait, alors même qu’il ne défendait pas les nations corses, que les Corses avaient un fort besoin de reconnaissance. C’est ce que les Corses attendent à travers cette demande. Apparaître dans l’article 72 de la Constitution montrerait que la Corse peut s’élever au même niveau que l’île de Clipperton, qui apparaît dans l’article, et pourtant qui sait aujourd’hui où se trouve cette île ?

Benoît Bertrand-Cadi : Il est clair et incontestable que cette évolution est le fruit du combat des différents mouvements clandestins et partis nationalistes. Toutefois il est remarquable de noter que l'Assemblée de Corse a voté cette demande avec un très large consensus politique. On imagine que Jean-Paul de Rocca Serra (surnommé le renard argenté), homme politique corse majeur de la génération précédente doit se retourner dans sa tombe en voyant son fils, Camille, député de Corse du Sud,  voter pour une évolution à laquelle, lui,  s'était toujours opposé. Les  nationalistes corses se sont battus (souvent avec violence) pour la reconnaissance de leur exception culturelle (qui rejoint par bien des égards l'exception culturelle brandie par les gouvernements français sur la scène internationale). Les patois dans les différentes régions françaises se sont presque tous éteints naturellement, la langue corse ne cesse elle de progresser.

Officiellement, cette réforme devrait permettre à la Corse de surmonter les obstacles institutionnels auxquels elle se heurte pour adapter la loi à la région. Quels sont donc ces problèmes ?

Antoine-Marie Graziani : Le système que l’on a installé en Corse est un système hybride. Une sorte de mélange avec l’article 72, 73 (département outre-mer) voire 74 (collectivité outre-mer). Ce système montre des éléments évidents d’inefficacité. Les évolutions législatives ne mènent à rien, si l’on veut transformer le normatif, nous devons passer par le Premier ministre, et les délais sont longs, la situation stagne… Les pouvoirs d’adaptation laissés aux régions sont virtuels et ce nouveau statut pourrait changer cela.

Benoît Bertrand-Cadi : Un exemple :  je me souviens d'avoir rencontré avec un ancien Préfet de Corse,  un éleveur de vache corse, Jacques Abbatucci. L'éleveur produit une viande bio de très grande qualité. Il expliqua au grand commis qu'il avait des gros problèmes d'eau pour ses bêtes. Le préfet se montra dubitatif avant que l'éleveur ne lui explique qu'il n'y avait qu'un seul fonctionnaire chargé de ses questions pour toute l'île. Le préfet l'ignorait.

En matière d'infrastructure routière notamment la Corse accuse un retard terrifiant qui rend ses routes extrêmement dangereuses. Il faut espérer qu'une gestion décentralisée de ces questions facilitent l'évolution du quotidien de nombreux corses et des autres d'ailleurs.

Si cette demande est agréée, il s’agira de la quatrième réforme institutionnelle pour la Corse en trente ans (les statuts Defferre en 1982, Joxe en 1991 sur l’organisation de collectivité territoriale et Jospin en 2000). Visiblement, l’organisation régionale corse ne parvient pas à se stabiliser, pour quelles raisons ? Un statut particulier pourrait réellement arranger cela ?

Antoine-Marie Graziani : Ce n’est pas un problème corse mais un problème français. Je me souviens, il y a une quinzaine d’année,  le journal Le Monde avait fait six doubles pages en montrant où en était l’État en France. Cette étude montrait que l’État et les préfets se préoccupaient de beaucoup de choses qui n’étaient plus de leur domaine, les routes par exemple, par contre les domaines régaliens ont été mis de côté. Il y a une bataille générale dans ce domaine, et en Corse notamment. On a connu des affrontements entre préfets et présidents de l’exécutif à plusieurs reprises. Ceci reste donc un problème français qui interroge : jusqu’où veulent aller les Français dans la décentralisation ? A l’échelle de la Corse, le statut particulier peut résoudre des problèmes mais la norme est une chose la pratique en est une autre.

Benoît Bertrand-Cadi : Je dirais plutôt le contraire : la période est étonnamment stable. Il est là aussi remarquable de noter que, pour la première, fois cette demande d' évolution est le fait d'élus de tout bord et non pas du (des) FLNC qui, il faut le rappeler, en tant qu'organisation politico-militaire a toujours revendiqué sa prééminence sur les partis politiques nationalistes. Le  consensus y compris sur la co-officialité de la langue montre que les clivages d'hier ont tendance à diminuer.

Ce statut pourrait mettre un terme à la violence politique même s'il faut être prudent tant les Corses, mouvements clandestins en tête, ont l'art de se désunir. Pour la première fois le dialogue s'ouvre sans mort, sans bombe. L'occasion est sans doute historique pour l'État de mettre un terme à plus de trente ans de drames de part et d'autre.

La grande majorité des corses tient-elle à ce statut particulier ou bien, à terme à l’indépendance ? Ne se laisse-t-elle pas diriger par un groupe plus régionaliste qui véhicule une image stéréotypée de la Corse ? Et n’est-ce pas là réellement le problème ?

Antoine-Marie Graziani : Non, la question de l’indépendance est une vue de l’esprit. Mais dans le cas du statut, si l’on propose des avancées sur un certain nombre domaine, la majorité des Corses sera favorable. Je crois quand même aux vertus de la démocratie, les élus représentent la population, et si le vote de l’Assemblée corse a été approuvé à la quasi-unanimité (46 voix sur 51), c’est qu’une grande partie de la population se retrouve dans ces demandes. Il y a une volonté dans la population insulaire de voir les choses aller dans ce sens-là, les sondages l’ont prouvé.

Benoît Bertrand-Cadi : Je crois sincèrement qu'aujourd'hui la majorité des Corses a compris l'intérêt de cette évolution, pas seulement d'un point de vue symbolique mais tout simplement pour leur intérêt quotidien. On ne peut que se féliciter du dialogue entre les différents adversaires d'hier. Au contraire cette "victoire" des idées nationalistes peut apparaître comme le chant du cygne des mouvements clandestins. Dans leur grande majorité les Corses n'ont jamais souscrit au projet d'indépendance revendiqué par le FLNC. Les dirigeants clandestins devaient se douter qu'en brandissant la bandera de l'indépendance il finirait par obtenir davantage qu'en négociant autour d'une table un statut fiscal particulier.

Il demeure cependant quelques nationalistes historiques qui considèrent que cette affaire est une vaste tartufferie. Espérons que le gouvernement et le Parlement ne leur donnent pas raison !

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