Christine Lagarde et Shinzo Abe en sont certains mais les femmes sont-elles vraiment l'avenir de l'économie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y aurait un lien entre le taux de travail des femmes dans les économies émergentes et la croissance.
Il y aurait un lien entre le taux de travail des femmes dans les économies émergentes et la croissance.
©Reuters

Girl power

Selon un rapport du FMI, il y aurait une corrélation entre le taux d'activité des femmes dans les pays émergents et le niveau de croissance.

Atlantico : Selon un rapport du FMI, il y aurait une corrélation positive entre le taux de travail des femmes dans les économies émergentes et le niveau de croissance économique. Que peuvent apporter les femmes dans une économie et que n'apportent pas les hommes ? A l'inverse, en quoi ne faut-il pas non plus exagérer ce phénomène ?

Mary-François Renard : Ce qui est frappant avant toute chose, c’est la persistance d’une discrimination à l’encontre des femmes sur le marché du travail. Alors qu’elles représentent  un peu plus de la moitié de la population, elles ne comptent que pour 40% de l’emploi salarié. Et encore, cette participation concerne encore largement des emplois peu qualifiés et mal payés. Sur les 865 millions de femmes qui n’ont pas accès au marché du travail, 812 millions sont dans les pays émergents ou en développement.

Il est assez difficile de répondre si on veut éviter les lieux communs. Il est fréquent de considérer qu’elles ont le rôle principal en matière de baisse de la fécondité, pourtant, des démographes ont montré sur une assez longue période et un grand nombre de pays, que le rôle des hommes était tout aussi important. En revanche, deux chercheurs de l’Université de San Diego (Californie) concluent à l’impact positif de la présence de professeurs femmes sur l’éducation des filles. En effet, le fait que les cours soient donnés par des femmes, notamment en mathématiques, est positivement lié à l’accroissement de la réussite scolaire des filles, réduisant l’écart avec les garçons, sans pénaliser le niveau de ces derniers. De même, l’éducation des femmes, qui conditionne leur accès au marché du travail, a des effets positifs sur la santé des enfants.

Mais il ne faut pas oublier qu’un meilleur accès des femmes au marché du travail est avant tout une question d’équité. Si 51% des étudiantes dans le monde sont des femmes, elles sont, dans les pays émergents ou en développement, plus nombreuses que les hommes à ne pas être scolarisées. Il en résulte que si elles ont un emploi, il s’agit souvent d’un emploi informel, ce qui accroit leur vulnérabilité puisqu’elles n’ont pas de protection et que leur revenu est instable.

Vu d'Europe, il semble que plus de femmes occupent des postes importants dans les pays émergents que dans les pays occidentaux ? Qu'est-ce que cela révèle ?

Mary-François Renard : Leur accès aux postes d’influence, direction d’entreprises, représentation politique, est encore généralement très limité. En 2012, 19% des parlementaires dans le monde étaient des femmes, 19 pays ont une femme chef de gouvernement et elles ne sont que 4,2% à avoir un poste de directeur général. Même dans les pays où certaines occupent de hautes fonctions, ce ne sont que des cas relativement isolés et non le reflet d’une meilleure situation, les différences culturelles pouvant toutefois jouer d’un pays à l’autre.

Bien que la situation des femmes soit encore souvent dramatique en matière de santé, l’écart avec les hommes s’est restreint dans de nombreux domaines. Il demeure élevé s’agissant de l’emploi puisque par exemple les différences de salaires sont importantes, particulièrement en Chine, en Indonésie ou en Afrique du sud.

Les efforts à faire pour lever les discriminations à l’encontre des femmes sont encore nombreux ; mais la mise en évidence du gain économique résultant de leur participation accrue à l’emploi, pourra peut-être inciter les gouvernements à être plus déterminés et à faire de ce sujet leur priorité.

Comment le taux d'activité des femmes affecte-t-il la croissance économique d'un pays ? En quoi cela peut constituer une stratégie économique efficace ?

Nicolas Goetzmann : Tout d’abord, avant de poser la question du taux d’activité des femmes, se pose la question du taux d’activité. La moyenne de l’OCDE se situe à environ 65%, c’est à dire que 65% de la population active travaille effectivement. Plus ce ratio augmente, plus le pays produit, il s’agit donc d’une réserve de croissance pour peu que vous vous donniez la peine de pratiquer une politique de plein emploi. Le taux d’activité des femmes se situe à 57% au sein des pays de l’OCDE, et certains gouvernements y voient une marge de progression relativement importante pour produire plus. Mais certaines particularités liées au taux d’activité des femmes existent. Elles sont principalement valables dans les pays émergents:

Étant donné que les femmes sont en moyenne plus pauvres que les hommes, une politique en faveur du travail des femmes permet de réduire la pauvreté. En fait, il s’agit probablement du facteur le plus efficace dans un objectif de lutte contre la pauvreté.

Ensuite, les femmes ont tendance à consacrer une portion plus importante de leurs revenus à l’éducation de leurs enfants, il y a dès lors un avantage non négligeable à voir une progression du taux de scolarisation.

Un dernier point intéressant à souligner est l’évolution du taux d’activité des femmes dans le temps, et qui se distingue en trois phases : Après une première phase de hausse favorable à la croissance, à la réduction de la pauvreté etc., une seconde phase prend place, signe d’un développement intermédiaire qui voit le taux baisser en conséquence d’un niveau de revenus suffisant pour un retour au foyer. Puis, une dernière phase qui est la conséquence d’un haut niveau d’éducation et d’un faible taux de fertilité dans les pays occidentaux, et qui conduit à un rebond du taux d’activité.

Mary-François Renard : La réponse tient d’abord au fait que leur participation au marché du travail entraînerait une meilleure allocation des ressources puisqu’actuellement ce marché est privé d’une partie de la population. Les femmes rencontrent des obstacles les empêchant de participer pleinement aux activités économiques. La FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture) considère que si les femmes avaient le même accès aux terres et aux engrais que les hommes, la production agricole augmenterait de 2,5 à 4% dans les pays en développement. Dans certaines régions, la perte attribuable aux écarts entre hommes et femmes sur le marché du travail atteindrait 27% du Produit Intérieur Brut.

De plus, le fait de travailler leur donne un pouvoir supplémentaire sur les dépenses du ménage. Une étude de la Banque mondiale a conclu que cela entraînait des dépenses plus profitables au bien-être des enfants. D’ailleurs si les projets de micro-crédits ont été créés pour les femmes, c’est précisément pour cela.

Shinzo Abe souhaite faire du travail des femmes un élément majeur de sa politique, pourquoi ?

Nicolas Goetzmann : Pour aborder la question du Japon, il faut se rendre compte de la problématique japonaise qui est à peu près à l’opposé de la notre. Pour des raison démographiques, la population active se contracte d’année en année, donc le pays perd progressivement sa main d’oeuvre et donc sa capacité de production. Le pays doit donc trouver une solution au problème de la baisse de l’offre de travail.

La première ressource serait le taux de chômage, mais celui ci atteint 3,8%, ce qui laisse très peu de potentiel. Ensuite, il serait possible d’inciter les Japonais à travailler un plus grand nombre d’heures (par une baisse d’impôts) mais le nombre d’heures travaillées est déjà supérieur à 1700 pour une année. Ce qui est élevé (moins de 1500 en France), il n’y a la encore que peu de levier. Enfin reste l'immigration, mais celle ci est presque nulle et c’est une volonté du pays. En conséquence, le seul levier qui permettrait au Japon de répondre à une plus grande demande de travail serait d’inciter les femmes à intégrer le marché de l’emploi.

Cependant le taux d’activité des femmes atteint les 60% (comme en France) et le gouvernement va être pris en tenaille entre la nécessité de favoriser une politique familiale pour s’attaquer au problème démographique et le besoin de répondre à la demande de travail.

Finalement, c’est un problème de riche, les Japonais travaillent en moyenne plus que les autres pays, n’ont pas de chômage, et souhaitent trouver plus de main d’œuvre pour répondre à la demande que Shinzo Abe est en train de créer grâce à sa politique. En France, si nous avions ce type de problème, cela voudrait dire que nous avons le plein emploi, que les 35h sont du passé, et que l’économie est proche de la surchauffe. Ce n’est pas exactement notre situation.

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