16… ou 29 ans : à quel âge devient-on adulte aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Anglais estiment, d'après une étude de l'assureur RIAS, que l’âge adulte se situe à 29 ans, soit plus de 10 ans après la majorité légale
Les Anglais estiment, d'après une étude de l'assureur RIAS, que l’âge adulte se situe à 29 ans, soit plus de 10 ans après la majorité légale
©DR

Prématuré ou Tanguy ?

Alors que la ministre de la Famille dit réfléchir à la mise en place d'une "pré-majorité" à 16 ans, une étude de l’assureur RIAS montre que les Britanniques se sentent adultes de plus en plus tard. Indépendance financière, premier logement, premier boulot, premier enfant ou éducation : le retard pris dans ces étapes clefs de l’âge adulte fait reculer ce sentiment à… 29 ans de l’autre côté de la Manche !

Atlantico : Les Anglais estime, d'après une étude de l'assureur RIAS (voir ici), que l’âge adulte se situe à 29 ans, soit plus de 10 ans après la majorité légale, la situation est-elle selon vous comparable en France ?

Eric Deschavanne : Oui. Il faut souligner que, selon les critères de l'INSEE, on est "jeune" jusqu'à 29 ans. Cet âge correspond en moyenne au moment où sont atteints les principaux marqueurs de l'âge adulte que représentent l'indépendance résidentielle, l'emploi stable et l'arrivée du premier enfant - sachant que les différents seuils ne sont pas franchis en même temps. Le repère le plus objectif me paraît être l'âge moyen auquel les femmes ont leur premier enfant : il se situe aujourd'hui autour de 28 ans, soit quatre ans de plus qu'à la fin des années 1960.

Olivier Galland : Il est difficile en toute rigueur de répondre à cette question car on ne dispose pas d'étude comparable en France. Néanmoins, on peut remarquer que cet âge correspond à l'âge moyen à la naissance du premier enfant. Cette étape est celle qui engage définitivement dans l'âge adulte en introduisant à des responsabilités irréversibles.

Le premier obstacle cité par les participants de cette étude est « l’indépendance financière », qui ne serait plus atteinte avant 38 ans ! Cette inquiétude concernant leur situation économique est-elle nouvelle ? L’argent est-il en train de faire régresser cette génération ?

Olivier Galland : Il est très exagéré de dire que l'indépendance financière n'est pas atteinte avant 38 ans. Tout dépend évidemment comment on définit cette notion. En réalité, la plupart des jeunes accèdent à l'indépendance résidentielle et économique avant 30 ans (dans le sens où ils vivent dans un logement qu'ils paient eux-mêmes). Mais bien sûr, la question des ressources est fondamentale pour entrer dans la vie adulte : sinon comment accéder à un logement, avec les garanties que cela suppose, et envisager de fonder une famille ? La crise économique récente a eu inévitablement des effets sur cet accès et a sans doute contribué à repousser le moment de l'indépendance, mais on ne dispose pas encore de données sur les années récentes qui permettent de le vérifier. Cependant, les études économiques montrent que les Américains en moyenne accèdent plus vite à l'emploi après leurs études que les Français.

Eric Deschavanne : On sait que les transferts financiers au sein des familles vont désormais des plus âgés en direction des plus jeunes. La situation s'est inversée par rapport aux années 1960, où vieillesse et retraite étaient encore synonymes de pauvreté. Aujourd'hui, les plus de 60 ans sont plus riches que les jeunes et que les actifs, la pauvreté étant un problème affectant principalement la jeunesse. Ce nouveau rapport entre les générations est l'effet conjugué des succès de la protection sociale et de la crise économique.

Le nombre de jeunes de 20 à 34 ans vivant toujours chez leurs parents a lui aussi augmenté de 20% depuis 1997, quels problèmes le retard pris en matière d’accès à la propriété pose-t-il en termes d’indépendance ?

Eric Deschavanne : Le phénomène est particulièrement marqué dans l'Europe du sud, spécialement en Espagne. En France, qu'il s'agisse d'accéder à la propriété ou à une location, la situation des jeunes est de plus en plus problématique. Mais c'est bien entendu l'indépendance économique liée à l'accès à un emploi stable qui constitue le principal facteur de dépendance "subie", en retardant l'envol hors du nid familial. Cela pourrait devenir un problème social majeur dans les années à venir.

Olivier Galland : Tout dépend ce qu'on appelle "partir de chez les parents" : il faut distinguer la décohabitation de l'accès à un logement véritablement indépendant (qu'on paie soi-même). La décohabitation tend en moyenne à être plus précoce du fait principalement des comportements des étudiants (qui vivent de plus en plus tôt dans un logement différent de celui des parents, grâce aux aides de ces derniers et aux aides au logement). Même sur l'accès à un logement indépendant il n'est pas sûr qu'il y ait eu un recul : il faut tenir compte du fait que les jeunes des années 1990 entraient plus jeunes sur le marché du travail (du fait d'études moins longues) et accédaient plus vite à l'emploi : ils disposaient donc plus rapidement de ressources leur permettant de prendre un logement. Il vaut donc mieux comparer des cohortes de sortants du système éducatif que des cohortes par âge. Si l'on fait ceci (en comparant par exemple les jeunes ayant fini leurs études depuis moins de 5 ans) on ne constate pas d'augmentation de la vie chez les parents sur la période 1995-2010.

Peut-on voir également dans ce recul, les conséquences du culte de « l’enfant roi » qui en déresponsabilisant la jeunesse nuirait à son entrée dans l’âge adulte ?

Eric Deschavanne : C'est un peu ce que suggérait le film "Tanguy", lequel, surfant sur cette tendance sociologique, a fini par donner son nom au phénomène de l'installation de la jeunesse dans la dépendance. L'explication selon laquelle on aurait affaire à un refus volontaire d'entrée dans l'âge adulte lié à l'incapacité psychologique de faire preuve d'autonomie et d'affronter les difficultés de l'existence me semble toutefois insuffisante. A l'hypothèse de la « génération Tanguy », on pourrait opposer celle de la « génération perdue », selon laquelle ce sont la crise économique et le chômage qui barrent l'accès à l'autonomie adulte. L'explication n'est évidemment pas fausse sans néanmoins être entièrement convaincante. On assiste en réalité, par-delà les difficultés conjoncturelles, à un phénomène structurel. Le retard à l'entrée dans l'âge adulte est à la fois voulu et subi. Il résulte principalement de l'allongement de la durée des études et, plus globalement, de la période de formation à la vie adulte - laquelle comprend également une dimension existentielle indépendante de la question économique (expérimentations professionnelles, mais aussi exploration de ses aspirations profondes, éducation sentimentale et apprentissage de la vie de couple).

Olivier Galland : Ce sont des idées reçues. "Tanguy", le jeune adulte déresponsabilisé qui prolonge délibérément la vie chez les parents, n'existe pas (statistiquement, même si on peut toujours trouver des cas). Les jeunes qui le peuvent ont envie d'accéder à l'indépendance. Je ne pense pas que ce désir se soit affaibli et je ne vois pas de signes de déresponsabilisation de la jeunesse.

Certains de ces constats, et en particulier le recul du départ du foyer parental, peuvent-ils avoir des effets positifs, notamment en termes de relations intergénérationnelles ?

Eric Deschavanne : Certains ont cru pouvoir prophétiser l'avènement d'une "guerre des générations" ou d'une "lutte des âges", en l'espèce une révolte des jeunes contres la génération dorée des baby-boomers. On peut d'ores et déjà constater que ce conflit n'a pas eu lieu et qu'il n'aura pas lieu. Les liens intergénérationnels sont plus forts que jamais. Le problème est ailleurs. Depuis le milieu des années 1970, toutes les cohortes qui sont entrées sur le marché du travail sont des "générations perdues" au regard de ce que furent les conditions d'entrée dans la vie (qui ne se reproduiront plus) des baby-boomers. La situation des actifs d'aujourd'hui est fragilisée par une double charge de plus en plus pesante : celle des grands enfants, majeurs mais toujours économiquement dépendants, d'un côté, celle des parents vieillissant de l'autre. Il est donc plus que temps d'aborder le problème de la protection sociale en y intégrant une réflexion sur les âges de la vie.

Propos recueillis par Pierre Havez

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