"Shutdown" : ce que la guérilla budgétaire entre républicains et démocrates risque de coûter à l’économie américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Bras de fer entre républicains et démocrates sur le budget.
Bras de fer entre républicains et démocrates sur le budget.
©Reuters

Bras de fer

N'ayant pas trouvé d'accord sur le budget, l'Etat fédéral américain a été mis au chômage technique mardi 1er octobre pour la première fois depuis 17 ans. Les républicains n'ont pas cédé au bras de fer qui met en danger le fonctionnement de l’État fédéral américain.

Atlantico : Les parlementaires américains ont échoué, lundi 30 septembre, à trouver un accord sur le budget 2014. Comment en sont-ils arrivés là ?

Anne Deysine : Il s'agit du résultat de la polarisation de la politique américaine. Il y a encore une vingtaine d'années, il y avait des républicains et des démocrates modérés donc un accord au centre. Désormais, les élections ne se jouent pas lors d'élections générales mais lors des primaires pour départager les républicains des démocrates. Il y a une surenchère à gauche pour les démocrates mais surtout à droite pour les républicains. Ceci explique qu'en 2010, un contingent important d'élus qui n'avaient jamais fait de politique ont été portés à la Chambre par le Tea Party. Donc sur un programme anti-Obama, ils n'y a ni hausses d'impôt, ni loi sur la santé. Ces élus n'ont aucune conscience de la nécessité des compromis et Obama a eu de bonnes raisons de résister et de ne pas céder.

Tout ce chantage était pour éviter de financer la loi sur la santé qui a été votée et validée par la Cour suprême. Les Américains ont réélu Obama en 2012, il est temps que les républicains acceptent d'avoir perdu et ne prennent pas le pays en otage. Ils ne le font pas car près de 70% du Tea Party sont irresponsables.

Que cherchent à obtenir les républicains ? Avec quelles conséquences politiques ?

Anne Deysine : Les républicains sont uniquement critiques. Par exemple, sur le plan santé, ils n'ont aucune proposition concrète et positive. Ils sont dans une attitude négative et veulent déstabiliser Obama qui n'a pas encore fini son mandat. A terme, ce n'est pas bon pour les républicains car la majorité des Américains les jugent responsables de la fermeture de leur gouvernement. Ce n'est pas bon non plus pour le pays, ce shutdown va coûter cher à l'économie et ceux qui ne recevront pas leur retraite et leurs versements à cause du chômage technique des fonctionnaires ne vont pas consommer et vont se rendre compte que c'est à cause des républicains. Si on est un minimum réaliste, on s'aperçoit que les républicains sont dans une politique suicidaire.

On est déjà en train de parler des élections 2016 où Hillary Clinton, si elle se présente, a toutes les chances d'être élue. En face, côté républicain, il n'y a personne. L'intransigeance de ces Tea Party à la Chambre fait beaucoup de mal au parti républicain qui n'a plus de programme et rien à proposer, si ce n'est des choses négatives. 

Comment les choses risquent-elles d'évoluer jusqu'au 17 octobre, date à laquelle le plafond de la dette américaine sera atteint ?

Alexandra Estiot : La division des deux chambres du Congrès a plusieurs fois conduit au bord du shutdown, mais aussi au défaut pur et simple, lorsque, à l’été 2011, le plafond de la dette fédérale n’avait été relevé qu’in extremis. Depuis, les parlementaires ne sont pas parvenus à s’accorder sur une alternative aux baisses automatiques de dépenses ("sequestration") et il s’en est fallu de peu que l’économie plonge dans le « précipice budgétaire » ("fiscal cliff"). Il faut dire que le processus budgétaire est particulièrement long et complexe avec, non pas une mais trois occasions pour l’affrontement. Dans un premier temps, le Congrès doit voter un budget.

Chaque chambre vote un texte et une procédure de réconciliation est alors est initiée. Une fois ce budget voté (ou en son absence), il s’agit alors de voter les lignes de crédit "("appropriation law", lorsqu’un budget existe ou, dans le cas contraire, "continuing resolution" ou "short-term resolution") pour les dépenses discrétionnaires hors intérêts. Alors que les parlementaires ont alors déjà eu deux occasions de s’accorder sur les dépenses de l’Etat, ils doivent le faire une troisième fois en autorisant le relèvement du plafond de la dette à hauteur des besoins créés par les lois de financement…Tant que le plafond de la dette n’aura pas été supprimé ou modifié (on pourrait imaginer un niveau indexé sur l’inflation ou la croissance du PIB), les mêmes tensions sont susceptibles d’apparaître.

Sur cette question de la dette, comment se positionnent les démocrates et les républicains ?

Le relèvement du plafond de la dette fédérale était, jusqu’à l’été 2011, une simple formalité parmi d’autres dans l’agenda parlementaire. C’est à cette date qu’une frange du Parti républicain a utilisé cette procédure pour exiger une réduction drastique des déficits de l’Etat fédéral. La crise avait alors été intense, un accord n’étant trouvé qu’à la toute dernière minute. C’est suite à cet accord d’ailleurs que les baisses automatiques de dépenses ont été décidées. Les lois d’appropriation ont également été des objets de chantage à répétition.

Jusqu’ici, la Maison Blanche a accepté de négocier. Mais le Président Obama aura finalement accepté des réductions de dépenses bien plus importantes que ce qu’il désirait, alors qu’il est de plus en plus évident que les dommages pour l’économie américaine sont profonds. On comprend d’autant plus son refus de négocier aujourd’hui que les exigences affichées des Représentants républicains sont inconcevables pour lui, avec en premier lieu le retard de mise en place des deux lois phares de son premier mandat : Obamacare et la loi Dodd-Frank (sur la régulation bancaire).

Quelles sont les conséquences et les coûts de cette incertitude permanente pour l'économie ?

Les conséquences d’un shutdown (à défaut d’un vote de loi d’appropriation) ou du non relèvement du plafond de la dette sont très différentes.

Dans le premier cas, nous disposons des estimations des épisodes de 1995 et 1996 qui conduisent à estimer le coût journalier pour les finances du gouvernement fédéral à environ 200 millions de dollars américains.

Dans l’éventualité du non-relèvement du plafond de la dette, les dépenses devraient être entièrement couvertes par les recettes, et ainsi, toute dépense supérieure aux recettes ne pourrait être honorée. Sous l’hypothèse que la charge de la dette et les dépenses obligatoires (pensions publiques, couverture santé des plus âgés…) seraient privilégiées, les dépenses discrétionnaires devraient être réduites de 48%, sachant qu’un peu plus de la moitié de ces dépenses sont destinées à la défense ! D’un exercice budgétaire à l’autre, la baisse de dépenses du gouvernement fédéral représenterait environ 400 milliards de dollars, soit 2,5% du PIB.

Avec un multiplicateur budgétaire à l’unité, la croissance serait alors nulle, voire probablement négative. Mais comme la période récente l’a montré, lorsque la tendance est au désendettement chez l’ensemble des agents économiques, le multiplicateur budgétaire est bien supérieur à 1, et il ne fait aucun doute que si le Congrès ne relevait pas le plafond de la dette, l’économie retomberait instantanément en récession (avec des conséquences négatives sur les recettes fiscales, donc les dépenses de l’Etat…).

Il s’agit d’apporter des nuances. Si le Congrès pourrait bien manquer la date du 17 octobre, date à laquelle le Trésor déclare qu’il arrivera à court de liquidités, un vote interviendrait peu après. La période de blocage pourrait donc être assez courte, ce qui éviterait de replonger l’économie américaine dans la récession. Par ailleurs, si le plafond de la dette ne pouvait être relevé, le Trésor ne ferait pas défaut : pour couvrir les tombées de dette, il suffirait que les investisseurs acceptent de renouveler leurs positions, et la Fed aurait toujours par ailleurs la possibilité d’intervenir.

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