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Pourquoi rien n'a changé, rien ne change et rien ne changera en Guadeloupe et en Martinique
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Et ça continue encore et encore

Jean-Marc Ayrault et Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, viennent de rendre des arbitrages particulièrement favorables en matière de défiscalisation dans les territoires ultramarins.

Jacques  Ménardeau

Jacques Ménardeau

Jacques Ménardeau est juriste de droit public ainsi qu'un haut fonctionnaire ayant été en poste en Outre-mer. Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

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Il faut savoir qu’à quelques mouvements de l’Histoire près, la France aurait pu avoir quatre départements d’outre-mer dans les îles caraïbes ; il aurait suffi que la Grande-Bretagne ne nous prenne pas la Dominique et Sainte-Lucie, voisines de la Martinique et de la Guadeloupe, au cours des guerres du 18 ème siècle et de l’Empire pour que deux collectivités d’outre-mer se rajoutent aux charges françaises ; il en est allé différemment, les îles anglophones, devenues indépendantes sont pauvres, la Martinique et la Guadeloupe ne le sont pas.

Pourtant le sentiment dominant est que rien ne va et que ce qui va, va en se dégradant.
Les deux îles comptent à peu près le même nombre d’habitants, 400 000 environ, avec une proportion croissante d’immigrés, d’Haïtiens, mais aussi des toutes proches antilles anglophones, venus là tenter de changer de vie.
Depuis 1946, elles sont toutes les deux des départements français auxquels se sont superposées des régions. Historiquement, l’assimilation fut, particulièrement en Martinique, le fait de la gauche, le Parti communiste martiniquais, alors dirigé par Aimé Césaire, qui rompit avec le PCF pour devenir le Parti populaire martiniquais en 1956. Alors que les riches "Béké", descendants des colons européens auraient été favorables à une indépendance ouverte sur les Etats-Unis, la gauche imposa l’assimilation aux structures françaises, porteuse d’avantages sociaux pour les salariés antillais.
Le mal-être est une donnée constante des deux dom.
La dernière manifestation, spectaculaire, en a été en 2009, un mouvement parti de Guadeloupe, avec sa tête le Lks et le fonctionnaire de l’administration du travail Domota qui a paralysé l’île pendant 44 jours, entraînant avec lui la Martinique pour protester contre la "pwofitasion", autrement dit les avantages indus que tireraient les vrais maîtres des économies des îles, les sociétés d’import-export, en particulier, responsables de la vie chère  (les prix y sont en moyennes fortement plus élevés qu’en  métropole, de plusieurs dizaines de points de pourcentage sans qu’il soit possible de le fixer avec certitude).
La grève a pris des allures de mouvement tiers-mondiste, presque millénariste, marquée par les attitudes violentes du Lks ; elle s’est achevée par un compromis qui n’a satisfait personne ; le Sénat a envoyé une mission qui a accouché d’un rapport détaillé et intéressant.
Pourtant quatre ans après, le sentiment est là que rien n’a changé et que ce qui bouge, courbe du chômage et de la délinquance va dans le mauvais sens.
Ah, ça n’est pas qu’on n’ait pas abouti à des textes et à des changements institutionnels.
Le principal changement institutionnel est la fusion de la région et du département de Martinique. Consultés par référendum local, les électeurs martiniquais ont approuvé cette fusion de deux collectivités qui se chevauchaient pour la remplacer par une collectivité unique, comme en Guyane. On dira qu’il s’agit là du plus élémentaire bon sens : eh bien, il faut savoir que la Guadeloupe n’en fera rien où la réforme a été rejetée, les Guadeloupéens semblant se méfier des pouvoirs que pourrait avoir le président ou la présidente d’une pareille collectivité, tant l’île a été marquée par la forte personnalité de Lucette Michaux-Chevry. Longtemps  sénatrice et jusqu’en 2004 présidente de la région, la majorité des électeurs ne souhaitait visiblement pas la voir à la tête d’une institution encore plus puissante.
Donc en 2015 au plus tard, la Martinique aura sa collectivité unique, qui entraînera la suppression d’un poste de président, celui du conseil général, mais qu’on se rassure, pas celle ni d’un seul autre élu, ni d’un seul fonctionnaire territorial.
Et puis il y a le bouclier LurelMonsieur Lurel était député, président de la région de Guadeloupe depuis 2004, aujourd’hui ministre de l’Outre-mer ; il s’est fait connaître par une appréciation fameuse sur l’ancien président vénézuélien Chavez, qualifié de synthèse de De Gaulle et de Léon Blum…
L'ambition du ministre de l’Outre-mer était que dans chacune des collectivités ultramarines soit établi une liste de produits de grande consommation qui reflète les habitudes des consommateurs locaux et qui donnent lieu à des négociations avec les importateurs et les producteurs pour aboutir à des baisses de ces "Chariots Lurel"  de 10% à 13%.
M.Domota, qui, pour une fois n’a pas tort, considère que le dit bouclier est "un vaste écran de fumée" dès lors que la baisse des prix n’est intervenue que sur une liste de produits établie entre autorités administratives et entreprises et que la baisse des prix n’a eu lieu qu’à partir, non de ce qui est relevé par les douanes, mais par les revendeurs. En tout état de cause, on n’obtient pas une réponse bien satisfaisante en allant sur le site du ministère où il est indiqué que le résultat de l’évolution des prix du "chariot-type" sera publié prochainement pour la Martinique ; pour la Guadeloupe. Si l’on peut se réjouir que le prix de la coiffure soit resté stable au deuxième au premier trimestre 2013, on y apprend que celui de la réparation automobile a augmenté de 12,18%. Bref, bien malin, qui pourrait dire si le bouclier Lurel sera plus efficace que tout ce qui a été tenté par le passé : on est en droit de manifester un certain scepticisme...
En revanche, il est des évolutions certaines : celles du chômage et de la délinquance.
Ce n’est pas parce que M. Domota le dit que c’est faux : en Guadeloupe, le taux de chômage est à 35% et 60% des moins de 25 ans hors scolarité sont sans emploi, les chiffres sont semblables pour la Martinique (mais il n’est pas facile d’arriver à des résultats sûrs à 100 % (tant l’Insee que l’institut d’émission des départements d’outre-mer, le nom local de la banque de France ne donnent que des résultats en faible quantité ou des résultats anciens).
Et parmi ceux qui ont un emploi, un tiers appartient à la fonction publique, chiffre largement supérieure à celle de la France métropolitaine. Ainsi un rapport parlementaire donne 313 agents en poste à la préfecture de Guadeloupe contre 206 en Eure-et-Loire ; pour être juste dans la comparaison il faut enlever une quarantaine de poste du secrétariat aux affaires régionales non comptés en métropole mais ça fait encore du 40% au dessus. Ce qui n’empêche pas, selon le même rapport parlementaire, un absentéisme élevé et institutionnalisé : les administrations sont fermées les mercredi et vendredi après-midi et même le mardi après-midi pour l’administration fiscale…).
On ne s’étonnera pas si dans ces conditions la délinquance prend des proportions alarmantes dont, même, les maîtres socialistes de l’heure ont fini par convenir. En témoignent les chiffres publiés pour la Guadeloupe, au mois de juin dernier, juste avant la visite qu’y fit le Premier ministre et l’inévitable ministre de l’Intérieur où selon les propres dires du chef du gouvernement, les atteintes aux personnes ont augmenté de 20% sur les quatre premiers mois de l’année tandis que l’on y recensait 19 meurtres. Le subtil Ayrault y a vu la responsabilité de la droite qui aurait diminué les effectifs de police et y a promis 27 fonctionnaires en plus ; on a les explications que l’on peut…
Pour aider l’économie des îles, l’Etat a mis en place depuis de longues années des dispositifs de défiscalisation. Comme ceux-ci ne permettent pas de faire reculer le chômage mais coûtent cher aux finances publiques (le Sénat les évaluait à 230 millions d’euros pour le seul impôt sur le revenu dans son rapport publié en 2009, ça n’a pas baissé depuis), on les a bien entendu maintenus.  M. Lurel, toujours lui, a annoncé que les entreprises dont le chiffre d’affaires est de 20 milliards d'euros continueront à bénéficier de la défiscalisation pour leurs investissements (avec un plafond de 18.000 euros).
Cela permet de ne pas mettre en difficulté, voire en péril, l'essentiel des petites et moyennes entreprises qui forment les tissus économiques insulaires et qui n'ont pas les reins assez solides pour avancer l'argent d'un crédit d'impôt.
Quant aux  rares entreprises de plus de 20 millions d'euros de Chiffre d'affaires qui expérimenteront le crédit d'impôt, (Il y en a 107 dans tous les outre-mer et elles représentent 40% de l'investissement), elles expérimenteront le crédit d’impôt ce qui donnera un travail supplémentaire aux avocats fiscalistes implantés dans la région.
Les investissements de défiscalisation en logement sont maintenus. En 2009, le Sénat estimait que la défiscalisation concernait surtout le logement haut de gamme et est donc peu adaptée aux besoins de la population locale ; qu’elle mobilise les entreprises du secteur et, outre la tendance à augmenter les coûts de construction, crée un effet d'éviction pour les opérations de logement social. Mais il faut bien reconnaître que l’arrêt des dispositifs aurait pour effet immédiat de plonger des économies en difficulté dans une situation pire encore.
Or, les départements antillais ont bien voté en mai 2012 : François Hollande a obtenu 68,4% des voix en Martinique et 71,9% en Guadeloupe ; les quatre députés guadeloupéens sont de gauche ainsi que les quatre de Martinique (dont deux indépendantistes plus de principe que d’action). On comprend que le président de la République ait promis aux Antillais le maintien en niveau de l’ensemble des dispositifs de financement existant…
Pour autant, les politiques mises en œuvre par les socialistes n’ont pas la moindre chance d’améliorer la situation existante.
Les difficultés de deux Antilles françaises tiennent tout simplement au curieux projet qu’a eu la France de faire de terres caraïbes les pendants de l’Indre et Loire ou de la Meurthe et Moselle, alors même qu’à un ou deux territoires hollandais près, toutes les caraïbes ont pris leur indépendance.
Coupées de leur milieu naturel par des liens étroites avec la France, territoires européens de droit commun, contraintes d’importer une large partie de ce dont elles ont besoin, les îles souffrent de coûts qui sont justement ceux de la vieille Europe, sans rapport avec ceux qui les rendraient compétitives sur le continent américain. Leurs économies tournent largement autour de la présence de fonctionnaires aux traitements supérieurs de 40% à ceux de la métropole et aux services qui leur sont destinés ; le tourisme souffre de la concurrence d’autres îles comme la république dominicaine aux coûts attractifs (et à l’accueil plus souriant). 
Tant que cette situation durera, et on ne voit pas comment elle pourrait ne pas durer, les Antillais n’ayant aucunement l’intention de rompre le lien avec la France, on ne s’en sortira pas ; la Martinique et la Guadeloupe connaîtront à intervalles récurrents des poussées de fièvre et des manifestations constantes de leur mal-être. Tout y est toujours de la faute de l’Etat, sans cesse brocardé par les organisations politiques et syndicales locales et  jusqu’il y a peu, les préfets nommés en Guadeloupe n’y restaient pas un an…
Mais qu’est ce que ça peut bien faire à Hollande et à Ayrault si les résultats électoraux n’y changent pas d’orientation.

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