Le bar menacé d'extinction : comment une mode alimentaire peut décimer une espèce en quelques années<!-- --> | Atlantico.fr
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150 000 tonnes de bar ont été consommées l'année dernière à travers le monde.
150 000 tonnes de bar ont été consommées l'année dernière à travers le monde.
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Après le thon rouge

Au four, à la plancha, en papillote, à la maison ou au restaurant... Le bar est à la mode. A tel point que la réserve mondiale de ce poisson a diminué de 32% ces quatre dernières années.

On savait le thon rouge gravement menacé d'extinction. Quid du bar ? Le stock mondial de ce poisson, parfois appelé "loup", a diminué de 32% depuis 2009, selon le Conseil International pour l'Exploration de la Mer (CIEM). Cet organisme scientifique affirme que les pêcheurs du Royaume-Uni, des îles de la Manche, de Belgique, des Pays-Bas, du Danemark et de France devraient collectivement réduire leurs prises de 36% pour espérer sauver cette espèce, rapporte Quartz.

Le bar européen, également nommé "perche de mer", est un poisson très populaire qui se retrouve facilement dans nos assiettes. Les Italiens en mangent beaucoup, notamment pendant les fêtes de fin d'année. Depuis une dizaine d'années, il est aussi particulièrement apprécié par les Espagnols, les Grecs et les Turcs. Plus récemment, le bar est devenu un mets de choix outre-Manche : les Britanniques en ont acheté pour 35,6 millions d'euros en 2012 (+10% par rapport à 2011).

Environ 150 000 tonnes de bar ont été consommées l'année dernière à travers le monde, selon les chiffres du Service national de la Pêche maritime (un organisme fédéral américain). La quasi-totalité de cette quantité n'a pas été pêchée en mer mais élevée dans des bassins qui se trouvent généralement en Grèce, en Espagne et à Chypre. 

Ce qui peut paraître étrange, étant donné que le bar d'élevage a des risques importants d'être bourré d'antibiotiques et impropre à la consommation. Il est aussi - bien sûr - beaucoup moins cher : le prix du bar sauvage s'établit actuellement 22,2 euros le kilo, selon Globefish. De son côté, le bar d'élevage coûte environ 9,6 euros le kilo - un prix qui peut descendre à 3 euros !

A cause de l'appauvrissement des ressources, le Conseil International pour l'Exploration de la Mer a demandé à l'Union européenne de pêcher seulement 2 070 tonnes de bar l'année prochaine. Une perspective qui séduit peu les pêcheurs européens. "Une réduction de 36% nous mettrait à genou. Je pêche en moyenne cinq bars par jours, en pêcher deux ou trois ruinerait mon business", fait valoir Andy Alcock, secrétaire du syndicat des Pêcheurs britanniques.

Atlantico a demandé son avis à Patrick Rambourg, historien des pratiques alimentaires et culinaires. Il tient un blog à lire ici.

Atlantico : Comment se fait-il que le bar, et plus généralement le poisson, soit devenu un aliment à la mode ?

Patrick Rambourg : Les Français se sont désintéressés du poisson pendant longtemps. Autrefois, il était imposé par l'Eglise certains jours de la semaine (le mercredi, le vendredi et le samedi) et durant la période du carême. Au XXe siècle, on considérait, notamment chez les classes moyennes, qu'il n'était pas assez valorisant. Puis la crise de la vache folle est venue modifier profondément les habitudes alimentaires des Français : on s'est méfié de la viande au moment où l'on a commencé à tenir des discours positifs à propos du poisson.

Concernant le bar, je pense qu'il bénéficie de l'image d'un produit proche de la nature. Il est cuisiné de manière simple, on le trouve dans toutes les grandes surfaces et son coût est assez faible. Mais c'est une observation valable pour un grand nombre de poissons. De grands progrès ont été réalisés dans le domaine de la pisciculture, permettant d'obtenir des poissons d'élevage tout à fait satisfaisants.

Plus généralement, comment se crée une mode alimentaire ?

On peut identifier quelques raisons objectives comme le discours diététique. On dispose aujourd'hui d'une grande somme d'informations sur les aliments que nous consommons. Celles qui sont fiables jouent un vrai rôle dans le développement d'une mode alimentaire. C'est le cas avec le poisson. A l'inverse, l'histoire peu réaliste selon laquelle l'ananas ferait maigrir n'a tenu que quelques mois.

Le besoin de changer intervient aussi. Il a par exemple suffi que l'on transforme dans les années 1970 la présentation du saumon (en filets) pour que tout le monde s'y intéresse de nouveau. Lorsqu'un chef s'intéresse à un produit et qu'il présente une nouvelle manière de le cuisiner, il relance, ou crée, l'intérêt.

Pendant longtemps, enfin, l'élite a voulu consommer une cuisine différente de celle du peuple. C'est un phénomène qui s'est notamment vu lors de l'arrivée des épices. Une fois les marchés inondés, elle s'en est détournée pour chercher d'autres produits qu'elle serait la seule à consommer. Néanmoins, une mode alimentaire reste en grande partie aléatoire.

Qu'est-ce qui peut faire disparaître ces modes ?

On peut invoquer plusieurs raisons. Une crise alimentaire peut mettre fin à une mode (voir l'épisode de la vache folle). Le discours diététique fonctionne dans les deux sens : s'il peut valoriser un aliment, il peut aussi conduire à son abandon. Nous en avons de nombreux exemples : la chasse aux aliments trop gras dès le XVIIIe siècle et la diabolisation du beurre par la nouvelle cuisine - alors qu'on vante dans le même temps les mérites de l'huile d'olive.

Evidemment, l'envie de nouveauté des consommateurs joue un grand rôle dans la disparition d'une mode. On commence par épater les gens avec de nouvelles préparations mais lorsque celles-ci se diffusent trop, elles finissent par lasser. C'est notamment le cas des desserts (crème brûlée et fondant au chocolat). A force de les voir au menu de tous les restaurants, les Français s'en sont détournés. On peut enfin penser au prix des produits. Lorsqu'un aliment devient trop cher, on finit par l'abandonner.

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