Santé : la stratégie nationale hors-sol de Marisol Touraine <!-- --> | Atlantico.fr
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La Cour des Comptes a proposé un développement de la chirurgie ambulatoire.
La Cour des Comptes a proposé un développement de la chirurgie ambulatoire.
©Wikipédia commons

Plan d'attaque

Marisol Touraine a dévoilé sa stratégie nationale de santé lundi 23 septembre. Un document qui soulève plusieurs questions.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’élaboration d’une stratégie nationale de santé par Marisol Touraine tient de l’accouchement au forceps. Certains observateurs ne manquent pas de le rappeler. Ce document semble avoir, dès le début, été battu par les flots : imposé par Jean-Marc Ayrault à la ministre de la Santé, qui n’eut pas pour lui que des mots tendres, son incrémentation dans les politiques sanitaires ne semble pas couler de source.

De fait, alors que la santé est l’un des rares sujets dont la société dans son ensemble s’est emparé, et qu’elle traite de manière relativement collégiale (entre le rôle de l’Assurance Maladie, du Haut Conseil à l’Avenir de l’Assurance-Maladie, de la Cour des Comptes, et de quelques autres, la France ne manque vraiment pas d’espaces de réflexions sur ces questions), le ministère de la Santé donne le sentiment de peiner à jouer son rôle de chef d’orchestre, ou de matrice générale pour toutes ces réflexions. C’est un peu comme si le ministère de la Santé travaillait à côté de tout le monde, « dans son coin » comme on dit, au lieu de « mainstreamer », pour reprendre des mots communautaires, une doctrine fédératrice. Certains professionnels ne manquent pas de s’en plaindre.

Or, de "mainstreaming" en ce moment, il est grand besoin sur les questions de santé. Alors qu’une pétition a tenté de circuler pour un "débat national" sur la sécurité sociale, deux rapports officiels ont percuté frontalement les objets même de la stratégie nationale de santé. Le rapport de juillet du HCAAM (évoqué dans ce blog) sur la généralisation de la complémentaire santé a formulé certaines propositions défrisantes, reprises partiellement par la Cour des Comptes il y a une dizaine de jours.

Ce n’est évidemment pas une question neutre, en termes stratégiques, de savoir si la santé en France doit faire l’objet d’une nouvelle répartition des rôles entre régime obligatoire et acteurs complémentaires. En proposant le déremboursement de l’optique, la Cour des Comptes a eu le mérite de mettre les pieds dans un plat pré-chauffé par le HCAAM.

En réalité, derrière ces problématiques pointe la question de fond que la France doit aujourd’hui traiter: avec 12% du PIB consacré à la santé, quelle optimisation des coûts ? quelle allocation des moyens?

De façon relativement surprenante, la réponse apportée par le ministère de la Santé est celle d’une stratégie hors-sol qui cite les problèmes mais esquive leur instruction, et surtout les solutions qu’il entend y apporter. Et ce silence laisse perplexe.

Le cache-misère du tiers-payant

De ce point de vue, on pourrait soupçonner la stratégie nationale de santé d’avoir cédé à la tradition bien française d’une logique de moyens en lieu et place des logiques de résultats. Donc, on annonce que pour régler le problème d’un accès équitable aux soins, on généralise le tiers payant, qui permettra à tous les assurés de ne payer que le reste à charge des consultations médicales, lorsque reste à charge il y aura. Et pour le reste, débrouillez-vous.

Certes, l’idée est bonne, encore que personne n’ait vraiment expertisé, semble-t-il, son impact effectif sur l’accès aux soins. Mais… qu’en est-il du désert médical français qui constitue, on le sait, un véritable barrage d’accès aux soins ne France ? qu’en est-il des logiques de réseaux de soins qui permettent de donner une cohérence aux prises en charge médicale ? qu’en est-il des hôpitaux de proximité, pour lesquels la Cour des Comptes a formulé des propositions qui méritent d’être discutées ?

Sur toutes ces questions, la stratégie nationale de santé est muette.

La stratégie de soins, objet de silence

A côté des ces questions d’organisation, la Cour des Comptes, comme le HCAAM, ont soulevé des questions majeures dont certaines touchent au contenu même des politiques sanitaires.

Par exemple, la Cour des Comptes a proposé un développement de la chirurgie ambulatoire, qui est très sous-utilisée en France par rapport aux autres pays européens. Et c’est un sujet majeur: la chirurgie ambulatoire permet de réduire fortement le stress de l’acte chirurgical tout en soulageant efficacement les finances publiques. La Cour des Comptes estime qu’une économie de 5 milliards d’euros pourrait être réalisée, en améliorant la qualité des soins, grâce au doublement de la part de chirurgie ambulatoire en France.

Que le ministère de la Santé ne souhaite pas porter cette mesure est une chose qui peut s’entendre. Mais, par les temps qui courent, refuser 5 milliards d’économies sans toucher à la qualité des soins mérite une explication un peu plus convaincante qu’un silence. Et pourtant, silence il y a bien… qui interroge quand même sur la pertinence de cette stratégie nationale.

Un raisonnement sinueux sur l’open data

Dans ce tableau global, on notera que la stratégie nationale conclut, au terme d’un raisonnement tortueux, à la possibilité de mettre en place un open data sur les données de santé. Concrètement, il s’agit de mettre à disposition du public les données de santé collectées – après "floutage" et anonymisation, évidemment – par l’assurance-maladie.

Cette mesure, au demeurant obligatoire au regard des directives communautaires, et pour l’application desquelles la France est en retard, est parfois présentée par les défenseurs des privilèges et de l’opacité comme une abomination. Rappelons une fois encore que la connaissance et l’analyse du risque que permettent ces données sont une condition nécessaire pour une optimisation des tarifs et une diminution des consommations.

La crainte que l’on peut avoir, face à l’altitude hors-sol de cette stratégie, est qu’au fond, elle ne pèse pas. Et qu’elle retarde la maîtrise des dépenses de santé. Un luxe que nous ne pouvons plus guère nous permettre.

 *Cet article a précédemment été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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