Et les Chinois créèrent leur Hollywood... mais sont-ils en position de gagner un jour la bataille de la culture de masse en Occident ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La culture mainstream américaine génère du rêve, de l’empathie, ce que la culture cinématographique chinoise ne sait pas encore faire.
La culture mainstream américaine génère du rêve, de l’empathie, ce que la culture cinématographique chinoise ne sait pas encore faire.
©wikipédia

Du cinéma au Sinéma

Alors que s'ouvre ce jeudi à Busan en Corée du Sud le plus grand festival du monde consacré au cinéma asiatique, l'homme le plus riche de Chine, Wanda Jianling, entreprend de créer un Hollywood chinois pour diffuser la culture de son pays à travers le monde.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico: La Chine cherche-t-elle, en proposant un tel projet, à acquérir un monopole culturel international dans l’objectif d’enrailler l’oligopole américain sur la production cinématographique ? Est-ce là une nouvelle manifestation du soft power chinois ?

Emmanuel Lincot : Que Wang Jianling, de par son projet, voit les choses en grand ne surprendra personne. Il appartient à une génération qui a connu la Révolution culturelle puis une ascension sociale fulgurante. On reconnaîtra à cet homme originaire du Sichuan - dont le père a été un ancien compagnon de route de Mao Zedong durant la Longue Marche - des qualités managériales exceptionnelles qu’il a su mettre en valeur depuis son adhésion au Parti Communiste en 1976 et son parcours d’administrateur au Liaoning.

La création du Oriental Movie Metropolis est un rêve un peu fou à la Citizen Kane. De par son emplacement, il a valeur de symbole. Il est inauguré dans la province du Shandong, pays natal de Confucius. En Chine, un tel choix n’est évidemment pas anodin. Des films étrangers pourront y être produits. De là à dire qu’un tel projet peut concurrencer Hollywood, nous pouvons sérieusement en douter. D’une part, parce que le plus grand producteur de film au monde est l’Inde et non les Etats-Unis. D’autre part, parce que la culture mainstream américaine génère du rêve, de l’empathie, ce que la culture cinématographique chinoise ne sait pas – encore – faire. Citez- moi de but en blanc le dernier et incontournable film chinois que vous devez aller voir. Je vous mets au défi de pouvoir me répondre. Sauf quand il s’agit de films d’art et d’essai. Encore faut-il rappeler que la plupart d’entre eux - dont l’impact reste toutefois très limité - sont produits et promus à la fois par des producteurs et des critiques de cinéma… français ! Est-ce lié à la nature du régime en Chine que d’avoir un nombre si réduit de films ? Je le crois profondément. Des Spielberg ou Coppola ne sont envisageables que dans un univers propice à l’évasion, au rêve, à la liberté. En Californie, le ciel est bleu. Toute l’année. A l’infini. Au Shandong, il fait gris. L’air est saturé de pollution et la mer n’est pas belle… Bref, Hollywood n’a guère de soucis à se faire et il serait temps que le soft power chinois se nourrisse d’un nouvel idéal.

Cet objectif chinois est-il, à votre avis, réalisable ? L'Occident serait-il bon public pour ce type d’offre cinématographique ou bien les différences culturelles risquent-elles de constituer un frein à l'expansion du cinéma made in China ?

J’ai souvent à l’esprit la phrase de Billy Wider déclarant dans "A Bout de souffle", le film de Jean-Luc Godard : « A film is a girl and a gun ». Eros et Thanatos de l’Occident. Que la Chine cherche à concurrencer les Etats-Unis, c’est évident. Le problème est que son moteur tourne à vide. Ce qui est vrai aujourd’hui pour la Chine ne l’était pas pour le grand cinéma soviétique. Voyez "Quand passent les cigognes" ou "Soy Cuba" d’un Mikhaïl Kalatozov. Ces films vous touchent encore aujourd’hui pour leur qualité plastique et leur valeur humaniste. Aux cinéastes chinois de recouvrer une tradition qui leur est propre, en évitant la citation voire le plagiat. A eux de se réinventer.

Comment les Chinois peuvent-ils s'inspirer de l'expérience américaine pour contourner la difficulté ?

C’est l’erreur précisément. Les budgets, les moyens, les ambitions, l’ADN même de leur culture ne sont absolument pas comparables. C’est bien davantage Bollywood qui pourrait constituer un modèle pour la Chine. Et encore, nous raisonnons ici en termes de grosse production. Ce qui touche les gens partout en Chine maintenant, ce sont les soap stories coréennes, taïwanaises, parfois inspirées de séries brésiliennes. Je ne dis pas que c’est la panacée quant à l’édification du plus grand nombre. Mais c’est un fait. Je ne serais pas surpris que le conglomérat créé par Wang Jianling aille dans le sens de ce type de production.

A quelles conditions le soft power chinois pourra-t-il se diffuser à plus grande échelle ? Et à quel horizon ?

Ce soft power nous montre ses limites. D’une part parce que même si la Chine avait des prétentions hégémoniques, elle se heurterait à des résistances bien réelles comme celles qui se manifestent en Afrique ou en Asie centrale où les populations ont une appréciation négative de la présence chinoise dans ces régions. D’autre part, parce que vous raisonnez d’après des paradigmes qui sont largement dépassés. L’affrontement entre hyper puissances est un schéma hérité du passé. La Chine est une grande puissance mais ayons le sens de la justesse : c’est une puissance parmi d’autres. Que le soft power chinois consiste à promouvoir la langue et l’écriture chinoises, je ne vois rien de pernicieux à cela. Au contraire, leur apprentissage est un gage d’intelligence. Qu’il cherche à imposer ses normes (en matière de savoir-vivre, d’être au monde, d’agir et de penser…) aux dépens des nôtres, et il échouera car nous sommes irréductiblement destinés à la liberté.

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